10 avr 2015

Bergson et le culte de l'intuition – 10e partie : mémoires vive et morte

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Henri Bergson considère en pratique le corps humain à peu près comme on conçoit un ordinateur personnel aujourd'hui. Dans ce dernier cas, il y a trois éléments : la mémoire vive qui consiste grosso modo en la capacité de calcul de mémorisation de l'ordinateur lors de ses activités, cette mémoire s'effaçant quand on l'éteint.

Il y a ensuite la mémoire morte, contenant les données de démarrage de l'ordinateur (aujourd'hui on peut réécrire ces données donc la mémoire n'est plus vraiment « morte »). Et enfin, il y a le disque dur qui stocke les données.

Il y a bien entendu tout le reste, avec notamment la carte-mère, le processeur, etc : c'est ce qui est en quelque sorte pour Henri Bergson l'esprit.

L'esprit « tourne » tel un ordinateur ; il reçoit des informations de l'extérieur, par la mémoire vive (qui sont les sens) et lui-même a une mémoire morte qui tourne en arrière-plan. Comme on le sait, les ordinateurs ne « pensent » pas d'eux-mêmes : cette mémoire morte n'est pas active d'elle-même.

Les scientifiques bourgeois tentent de résoudre ce problème, qui n'a aucun sens car le principe même de mémoire morte est incohérent, anti-matérialiste.

Mais donc Henri Bergson considère que l'humain dispose d'une « mémoire morte » active. L'être humain, ou plutôt son esprit (en quoi il consiste vraiment) a donc deux « entrées ». Voici ce que dit Henri Bergson :

« En d'autres termes enfin, les centres où naissent les sensations élémentaires peuvent être actionnés, en quelque sorte, de deux côtés différents, par devant et par derrière.

Par devant ils reçoivent les impressions des organes des sens et par conséquent d'un objet réel; par derrière ils subissent, d'intermédiaire en intermédiaire, l'influence d'un objet virtuel.

Les centres d'images, s'ils existent, ne peuvent être que les organes symétriques des organes des sens par rapport à ces centres sensoriels. Ils ne sont pas plus dépositaires des souvenirs purs, c'est-à-dire des objets virtuels, que les organes des sens ne sont dépositaires des objets réels. »

Il faut ici faire attention, car entre les mémoires morte et vive, Henri Bergson place à la fois le disque dur et l'ensemble carte-mère processeur etc. Son « coup de génie » consiste en une séparation idéaliste des deux.

Afin de bien s'opposer au matérialisme, il précise bien qu'il y a un tri dans les informations. Voici ce qu'il dit :

« Ce que vous avez donc à expliquer, ce n'est pas comment la perception naît, mais comment elle se limite, puisqu'elle serait, en droit, l'image du tout, et qu'elle se réduit, en fait, à ce qui vous intéresse (…). Il ne faut donc pas s'étonner si tout se passe comme si votre perception résultait des mouvements intérieurs du cerveau et sortait, en quelque sorte, des centres corticaux. Elle n'en saurait venir, car le cerveau est une image comme les autres, enveloppée dans la masse des autres images, et il serait absurde que le contenant sortît du contenu. »

On a là un résultat idéaliste : l'ensemble carte-mère processeur etc. fait appel au disque dur, mais parfois il a des soucis et les informations du disque dur ne sont pas utilisables. Il n'y a donc aucun résultat de l'apport d'informations du disque dur, et donc on pense qu'il n'y a pas d'informations. En réalité, le problème tient à « l'esprit ».

Voici comment Henri Bergson formule cela :

« Dans les cas où la reconnaissance est attentive, c'est-à-dire où les souvenirs-images rejoignent régulièrement la perception présente, est-ce la perception qui détermine mécaniquement l'apparition des souvenirs, ou sont-ce les souvenirs qui se portent spontanément au-devant de la perception ?

De la réponse qu'on fera à cette question dépend la nature des rapports qu'on établira entre le cerveau et la mémoire. Dans toute perception, en effet, il y a un ébranlement transmis par les nerfs aux centres perceptifs. Si la propagation de ce mouvement à d'autres centres corticaux avait pour réel effet d'y faire surgir des images, on pourrait soutenir, à la rigueur, que la mémoire n'est qu'une fonction du cerveau.

Mais si nous établissions qu'ici, comme ailleurs, le mouvement ne peut produire que du mouvement, que le rôle de l'ébranlement perceptif est simplement d'imprimer au corps une certaine attitude où les souvenirs viennent s'insérer, alors, tout l'effet des ébranlements matériels étant épuisé dans ce travail d'adaptation motrice, il faudrait chercher le souvenir ailleurs.

Dans la première hypothèse, les troubles de la mémoire occasionnés par une lésion cérébrale viendraient de ce que les souvenirs occupaient la région lésée et ont été détruits avec elle. Dans la seconde, au contraire, ces lésions intéresseraient notre action naissante ou possible, mais notre action seulement.

Tantôt elles empêcheraient le corps de prendre, en face d'un objet, l'attitude appropriée au rappel de l'image : tantôt elles couperaient à ce souvenir ses attaches avec la réalité présente, c'est-à-dire que, supprimant la dernière phase de la réalisation du souvenir, supprimant la phase de l'action, elles empêcheraient par là aussi le souvenir de s'actualiser.

Mais, pas plus dans un cas que dans l'autre, une lésion cérébrale ne détruirait véritablement des souvenirs. Cette seconde hypothèse sera la nôtre. »

C'est une conception idéaliste du cerveau. Afin de maintenir la fiction de l'être humain qui « pense », afin de combattre tant Aristote, Avicenne, Averroès que Denis Diderot et Baruch Spinoza, sans parler de Karl Marx et Friedrich Engels, Henri Bergson a été obligé de construire tout un système où la pensée n'est jamais le reflet de la réalité, mais une utilisation personnelle d'informations d'un « disque dur » issue d'une mémoire vive et façonnée selon une « mémoire morte ».

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