Baroque et contre-réforme - 2de partie : l'apologie du relativisme
Submitted by Anonyme (non vérifié)Le principe du baroque était le suivant : la vie sur Terre ne pouvait être que brève et troublée, alors que la vie après la mort était éternelle et marquée par le bonheur divin ; se préoccuper du paradis avait un sens, s'attarder sur la vie matérielle n'en avait pas.
La quête de science prônée par l'humanisme, la volonté de compréhension prônée par la Réforme protestante, tout cela devait laisser indifférent qui avait compris que la priorité, c'était la vie après la mort. Le baroque consista ainsi en une offensive relativiste.
Voici un exemple avec un poème de Jean-Baptiste Chassignet (1571-1635), où le cadavre grouillant de vers, en mouvement donc, est opposé à la seule chose justement jamais en mouvement, et seul refuge selon lui: Dieu.
Mortel pense quel est dessous la couverture
D'un charnier mortuaire un corps mangé de vers,
Décharné, dénervé, où les os découverts,
Dépoulpés, dénoués, délaissent leur jointure :Ici l'une des mains tombe de pourriture,
Les yeux d'autre côté détournés à l'envers
Se distillent en glaire, et les muscles divers
Servent aux vers goulus d'ordinaire pâture :Le ventre déchiré cornant de puanteur
Infecte l'air voisin de mauvaise senteur,
Et le nez mi-rongé difforme le visage ;Puis connaissant l'état de ta fragilité,
Fonde en Dieu seulement, estimant vanité
Tout ce qui ne te rend plus savant et plus sage.
Tel est l'esprit relativiste du baroque, cette vision unilatérale d'une vie au caractère douteux, éphémère. C'est dans cette perspective que le grand mathématicien français Blaise Pascal (1623-1662) abandonna la science après une crise mystique, et voici comment il justifie le relativisme dans son célèbre « pari ». Si l'on croit en Dieu et qu'il n'existe pas, on n'a rien perdu au moment de sa mort, mais inversement s'il existe et qu'on y a pas cru, on est damné. Il est donc plus rationnel de croire en Dieu, car on ne perd rien d'un côté, mais on peut gagner beaucoup de l'autre.
Voici ce qu'il dit dans les Pensées :
« — Examinons donc ce point, et disons : «Dieu est, ou il n'est pas.»
Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n'y peut rien déterminer : il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l'extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre; par raison, vous ne pouvez défaire nul des deux.
Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix; car vous n'en savez rien.
— Non; mais je les blâmerai d'avoir fait, non ce choix, mais un choix; car, encore que celui qui prend croix et l'autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point parier.
— Oui, mais il faut parier; cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc ? Voyons. Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins (...).Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ?
Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. »
Accepter le sens de ce pari, c'est forcément relativiser le caractère unique de la vie matérielle. Reconnaître un tant soit peu la vie spirituelle, c'est s'y subordonner, et au final ne plus se tourner que vers elle, car c'est nécessairement ce qui compte le plus. Le baroque est une véritable opération idéologique au coeur des masses populaires, visant à leur insuffler le doute. Une fois celui-ci installé, il peut être généralisé de mille manières d'un côté, tout comme on peut le combler au moyen d'une intense propagande en faveur des saints, qui permettent de demander de l'aide à Dieu.
Le relativisme est ainsi à la fois une expression de décadence de classes en perdition - l'aristocratie et les couches cléricales - et une tentative d'instaurer une vision du monde conforme à des intérêts bien précis, opposés tant à la monarchie se voulant absolue qu'à la bourgeoisie tentant de se poser comme classe sociale nouvelle.