La Picardie, des contradictions à l'image de la classe ouvrière
Submitted by Anonyme (non vérifié)La France a une classe ouvrière qui a été paralysée pendant les décennies qui ont suivi les trente glorieuses, en raison de la social-démocratie (avec Mitterrand notamment) et de la corruption massive, dont les syndicats ont été l'expression.
Avec la crise générale du capitalisme, la classe ouvrière subit un véritable électrochoc, dont l'un des effroyables avatars va être le soutien d'une forte fraction de la classe ouvrière à... Marine Le Pen.
L'option « anti-mondialisation », nationaliste, est en effet ce qui semble « de prime abord » la chose la plus simple, la plus logique, et surtout la plus faisable.
Et ici de toutes les régions de France, la Picardie est la plus exemplaire dans les caractéristiques tant positives que négatives de la classe ouvrière en France. On peut même dire que comprendre la Picardie aujourd'hui, c'est comprendre la situation de la classe ouvrière.
Qu'est-ce qui permet de dire cela ? Il faut pour cela noter les phénomènes suivant
Si au nord de la Picardie on a un Nord-Pas-de-Calais et au sud une Île-de-France tous deux fortement urbanisés, la Picardie est elle massivement rurale. Les sols sont à plus de 70% agricole ; il y a également peu de zones boisées (15% pour la région, contre plus de 25% en moyenne nationale).
Cela fait que si la classe ouvrière est massivement présente – elle forme le 1/3 des personnes salariées et culturellement elle prédomine dans les masses populaires – elle est dispersée, diluée.
Ainsi, si le Nord-Pas-de-Calais possède une forte tradition social-démocrate (avec le PS) et révisionniste (avec le P« C »F), la Picardie elle n'a pas du tout cela. Les composantes de la classe ouvrière sont isolées, et ne disposent pas non plus d'une grande ville qui capterait certaines énergies pour les concentrer (Amiens est la seule grande ville, et n'a « que » 135 000 personnes y vivant).
A cet isolement s'ajoute donc l'absence de diffusion des conceptions révolutionnaires. Cela a d'autant plus été fort que l'accès à la culture est bloquée, la Picardie étant véritablement mise à l'écart sur le plan de l'éducation et de la formation.
La population est largement moins diplômée que la moyenne en France ; 22% sont sans diplôme en 2003, contre 16% en moyenne. Les personnes salariées sont moins diplômées qu'en moyenne, et il y a un cercle vicieux qui se produit, puisque l'absence d'éducation se repércute sur les prochaines générations.
Si l'on prend donc que la pauvreté chez les enfants et les adolescents atteint pratiquement 20% (officiellement!), on a des éléments clefs pour l'arriération culturelle.
Or, les luttes de classe doivent pour autant s'exprimer. C'est ainsi que sont apparus les « nationalistes autonomes », issus des couches populaires de Picardie mais totalement incapable sur les plans idéologique et culturel de ne serait-ce que situer la bourgeoisie.
C'est là un exemple très parlant et exactement équivalent au soutien à Marine Le Pen par une partie de la classe ouvrière.
Naturellement, cela ne va pas sans contradictions, au point que Marine Le Pen n'ose pas aller trop loin dans son populisme par rapport à la classe ouvrière ; de la même manière, les « nationalistes autonomes » sont clairement rejetés par l'extrême-droite, celle-ci ayant une base grand-bourgeoise et petite-bourgeoise et n'étant certainement pas prête à ne serait-ce que tolérer un « socialisme national. »
Mais cela n'en montre pas moins l'énorme problème que représente le désarmement total de la classe ouvrière en France, sur les plans idéologique et culturel.
En l'absence d'analyse de classe, d'idéologie scientifique avec un niveau avancé, la classe ouvrière tombe dans le syndicalisme révolutionnaire, qui est une étape avant le fascisme.
Ou bien elle tombe dans la social-démocratie – ce qui ne marche pas en période de crise. C'est ainsi qu'on a pu voir le député de la Somme, Maxime Gremetz, passer à la trappe après avoir été la figure historique foklorique P« C »F local au coup de sang facile.
De la même manière, rien n'était moins picard que la conférence de presse pour le récent procès de l'ouvrier de Conti, Xavier Mathieu.
On y a vu un défilé de personnalités politiques – depuis Mélenchon à Eva Joly – alors qu'absolument jamais ces personnalités ne vont en Picardie, ni d'ailleurs dans les régions populaires, qui sont « abandonnées » politiquement depuis des décennies.
La ligne de masses du PCMLM est précisément de construire son identité dans la réalité de ces zones – l'opposé des anarcho-trotskystes dont l'activité principale est le tractage dans les manifestations social-démocrates dans les grandes villes.
Comme il était ridicule de voir Eva Joly à Amiens expliquer que... la classe ouvrière allait être sauvée par le PME qui allaient donner de l'emploi grâce à l'écologie !
On a ici un décalage absolu par rapport à la réalité de la Picardie, à la réalité de la classe ouvrière en France.
La classe ouvrière est prête « à y aller » mais elle exige du sérieux, du carré ; elle en trouvera vaille que vaille, quitte à forcer, et donc quitte à tomber dans le panneau de l'extrême-droite.
Cependant, même si elle se doute que cela ne lui correspond pas, elle est prête pour mettre une claque à « Paris » et tout ce que cette ville représente. C'est une sorte de vengeance.
Et là, quand on voit Xavier Mathieu débarqué à Amiens en procès avec un t-shirt avec un A cerclé barré d'un éclair symbole des squatts, avec marqué « Vivre libre ou mourir », on imagine le décalage culturel énorme.
Car s'il y a des punks et une tradition de squatt à Amiens, c'est dans une version extrêmement nihiliste et certainement dans une version urbaine de rébellion raffinée, propre à une petite-bourgeoisie relativement intellectuelle.
Cela est d'autant plus vrai que la majorité des gens de la Picardie habitent à moins de 100 kilomètres de Paris, les emplois se concentrant dans la banlieue parisienne, alors que la plus grande ville, Amiens, subit les assauts des cadres parisiens qui viennent s'y installer.
Cela est d'autant plus vrai que la Picardie a une identité arriérée – avec une présence massive et incontournable de l'idéologie des chasseurs – alors que les campagnes sont déjà agro-industrielles (la taille des exploitations agricoles est la double de la moyenne en France, la consommation d'engrais est de 300 kilos par hectare et par an, contre 200 en France en moyenne).
Il va de soi ici – et là aussi la Picardie est exemplaire – que la contradiction entre les villes et les campagnes joue un rôle essentiel.
Aucune ligne de masses ne peut échapper au poids massif de celle-ci, et ce n'est pas pour rien que les « nationalistes autonomes » mènent une propagande contre le « Halal » : c'est leur manière d'assumer une écologie radicale qu'ils ne comprennent en fait pas du tout.
Ce qui montre l'importance capitale de l'économie politique. L'avant-garde de la classe ouvrière doit impérativement avancer dans l'économie politique – ce que nous faisons – afin d'affirmer la vision du monde propre à la classe ouvrière.
Tout le reste n'est que populisme, comme le montre parfaitement le blocage complet de la classe ouvrière picarde, bloquée entre tentation fasciste et social-démocratie, alors que culturellement elle reste conservatrice, arriérée culturellement.
La classe ouvrière va connaître un processus douloureux d'apprentissage, elle va devoir perdre ses mauvaises habitudes.
On connaît le mot de Xavier Mathieu, le délégué CGT des Conti, dans une interview au Monde en août 2009 :
« Il y a six mois de ça, je faisais mes trois parties de pêche par semaine, je regardais le foot à la télé. Je défendais mes copains à l'usine, mais toutes ces histoires, ça me dépassait. »
La grande contradiction de la classe ouvrière est très visible ici : Xavier Mathieu s'imagine qu'il a changé, alors que c'est la situation qui a changé.
Culturellement il n'a pas changé, et une classe ouvrière qui fait trois parties de pêche est condamné à se faire écraser.
C'est ce à quoi on assiste, et la classe ouvrière de Picardie, enfermée dans son fatalisme, ses préjugés religieux, son conservatisme, est en train de le ressentir douloureusement. Elle a besoin de changer, elle le ressent. Mais cela va être une naissance, cela va être douloureux; le saut qualitatif ne se fait pas aussi simplement qu cela!
Pour cela, la classe ouvrière va devoir se remettre en cause, sortir de là où l'a placé la bourgeoisie.
Toute autre affirmation nie le léninisme, nie la direction du Parti ; Lénine l'a très brutalement expliqué dans son fameux propos:
« Une classe opprimée qui ne s'efforcerait pas d'apprendre à manier les armes, d'avoir des armes, cette classe opprimée ne mériterait que d'être traitée en esclave. » (Le programme militaire de la révolution prolétarienne)
Et ces armes, ce ne sont pas des fusils pour tuer des animaux, après avoir nourri soi-même ces animaux et prétendre après qu'ils seraient en surnombre !
Avec une telle culture « beauf » dont la chasse est un exemple pathétique, la pensée est paralysée, la vie quotidienne enfermée dans un sinistre carcan : c'est cela qui fait de la Picardie une région traumatisée, au lieu d'être une région d'avant-garde.
En construisant l'économie politique, l'avant-garde donne par contre les premières armes qu'il faut à la classe, dans un processus dialectique de fusion de la classe ouvrière et du socialisme scientifique !