Manifestation salafiste, diam's et l'anticapitalisme romantique
Submitted by Anonyme (non vérifié)La manifestation salafiste du 15 septembre à Paris a fait beaucoup de bruit : il est vrai que 250 hommes appartenant à une mouvance appelant à la lutte armée, devant une ambassade américaine à deux pas de l'Elysée, ce n'est pas rien pour un Etat « de droit. »
De plus, l'initiative salafiste était décentralisée et organisée par l'intermédiaire des réseaus sociaux ; elle s'appuyait sur un romantisme ultra, les drapeaux nationaux étaient d'ailleurs interdits par les organisateurs de la manifestation.
C'est triste à dire, mais il n'existe à l'extrême-gauche aucune idéologie capable de mobiliser un tel nombre de personnes de manière militante, avec la perspective inévitable de se confronter à la répression en raison d'une manifestation interdite.
Il existe une extrême-gauche légaliste, syndicaliste, associative, capable de mobiliser, mais pas de manière militante. Cela ne va pas plus loin.
A l'extrême-droite, il y a davantage une telle capacité, sauf que celle-ci a compris qu'elle pouvait tranquillement accumuler des forces, sans polariser...
C'est assez terrible de la réalité sociale de notre pays. Cependant, il reste à comprendre la nature de cette manifestation.
C'est exemplaire de la réalité de la loi de la contradiction. Il existe en effet trois principaux courants salafistes. Le premier est directement lié historiquement à l'Arabie Saoudite, le second est tout aussi conservateur mais très prosélyte (par l'éducation, les institutions) et c'est finalement la stratégie des « Frères Musulmans » et le dernier est de type « rupturiste », « djihadiste. »
La nature authentiquement fasciste de ce « rupturisme » a déjà été analysée. Reste à comprendre comment la loi de la contradiction s'est réalisée.
Si l'on regarde le film Rambo III, on peut voir décrit le paysage chaotique et religieux des « moudjahidin » combattant l'invasion de l'Afghanistan par le social-impérialisme soviétique. A l'époque, l'Arabie Saoudite soutenait ces forces basées au Pakistan, ce qui amènera l'émergence des Talibans.
Sauf que nous sommes en France, et ne pouvons pas comprendre une réalité française en 2012 sur un phénomène se déroulant ailleurs et dans les années 1980. Ce qui doit nous ramener à la thèse, finalement classique, du communisme.
Cette thèse est que le fascisme a plusieurs formes. Non seulement, il a plusieurs formes de par les différentes bases sociales poussant cette idéologie en avant : la petite-bourgeoisie, la bourgeoisie catholique, la bourgeoisie impérialiste, etc.
Mais il a également plusieurs formes en raison de différentes cultures existantes : le sionisme est, ainsi, le fascisme spécifiquement propre aux personnes d'origine juive, tandis que le salafisme est le fascisme spécifiquement propre aux personnes liées à la culture maghrébine.
Ainsi, le salafisme de type pakistanais sera d'un type différent, tout comme le salafisme bangladeshi, etc.
C'est de là que vient la contradiction pour des gens ne voulant pas la révolution en France, mais combattant le racisme : faut-il critiquer les salafistes pour leur idéologie ou considérer l'origine de leurs parents comme un aspect central, « excusant » une telle déviation idéologique ?
La réponse, paradoxalement, est peut-être plutôt à chercher dans le dernier numéro du magazine VSD, qui parle de Diam's, la chanteuse si populaire et qui s'est convertie à l'Islam dans un mode rigoriste.
Mais pas seulement. Il y a à peine quelques jours, son site facebook – qu'elle ne gère pas elle-même – a publié un message d'elle au sujet de sa biographie publiée la semaine prochaine, message dont voici un extrait édifiant. On retrouve, en effet, le romantisme islamique typiquement moderne, qui de fait est salafiste au sens très large.
On a une vision ultra-pessimiste du monde, correspondant à la « vallée de larmes » que serait uniquement le monde selon la religion ; au milieu de ce populisme, on a le même appel que le Front National à ce que les femmes abandonnent tout travail pour rester auprès des enfants.
Cela est très parlant et en dit long sur la nature du salafisme au sens le plus large, au sens de la quête de la pureté dans sa version islamique. Le salafisme a, en fait, avalé le mysticisme de type soufi, qui n'a été lui-même qu'une porte réactionnaire vers le rigorisme religieux.
Un rigorisme religieux qui n'est pas qu'un opium du peuple, mais également une « révolte contre le monde moderne » correspondant exactement au fascisme non religieux.
Que la société soit corrompue, individualiste, est un fait, mais sans voir la réalité de classe de cette vérité, on tombe inévitablement dans le fascisme. En cela, le salafisme au sens le plus large correspond au fascisme qui espère « transcender » l'individu ou bien le sionisme qui entend le « régénérer. »
Pour cela, il est très intéressant de regarder ce que disait l'article publié le 3 mai 2011 sur notre ancien média Contre-Informations et intitulé La fin de Bin Laden, la fin de l’anticapitalisme romantique dans sa version religieuse musulmane.
Cet article analyse la nature de Bin Laden et de son idéologie. On peut y lire:
« De la « révolution islamique » de Khomeini en Iran en 1979 au « bolivarisme » de Chavez au Venezuela ces dernières années, la bourgeoisie trop faible pour exister face à l’impérialisme tente de mobiliser le peuple pour se renforcer, en jouant d’un idéal « révolutionnaire. »
Mais cela ne peut qu’échouer, la bourgeoisie devenant bureaucratique, se vendant à l’impérialisme. Bin Laden a tenté de contourner cela, en assumant le conflit sur le plan mondial.
Cela n’a rien de nouveau : Chavez fait de même, tout comme Khomeini hier ; Kadhafi avait essayé avec son « livre vert », Cuba le fait encore aujourd’hui avec son modèle « socialiste », la Corée du Nord essaie pareillement de vendre sa camelote idéologique, etc. etc.
Bin Laden, qui est un pur produit de l’idéologie impérialiste dans les pays opprimés, est allé encore plus loin, en jouant sur la religion. Ce faisant, il a eu un impact dans de très nombreux pays, tentant de lever une armée révolutionnaire mondiale devant affronter le « monde moderne. »
Il a en cela clairement aidé l’impérialisme, qui préférait voir se développer un millénarisme religieux plutôt qu’une proposition stratégique communiste.
D’ailleurs, le projet de Bin Laden n’est qu’un calvinisme – forme religieuse historique de l’idéologie de la bourgeoisie européenne – en version musulmane, selon les conditions concrètes de la nation arabe. Bin Laden vient lui-même du capitalisme : riche héritier, il avait créé une entreprise, Wadi al Aqiz, qui elle-même gérait d’autres entreprises, dans pratiquement 35 pays, dans l’import-export, la construction…
Ses soutiens, humains comme financiers, sont venus de la bourgeoisie arabe tentant de s’affirmer…
Son éthique elle-même est celle de la frugalité accumulatrice de capital, qui permettait un aspect « alter-mondialiste » dans une version anti-capitaliste romantique. Nous avons déjà présenté le fondement de cet anti-capitalisme romantique, qui puise dans la pensée de l’Égyptien Sayyid Qutb (1906-1966).
Et la figure de Bin Laden n’est ici que la représentation politique du théoricien d’Al Qaeda, Ayman Al-Zawahiri, qui est dans la lignée idéologique de Sayyid Qutb. Bin Laden n’existerait pas sans la pensée d’Ayman Al-Zawahiri en arrière-plan, ce que soulignent tous les analystes sérieux qui analysent la mort de Bin Laden et ses conséquences.
Car c’est Ayman Al-Zawahiri qui porte le « message » de Sayyid Qutb : il faut l’organisation d’un califat afin de dépasser la « discorde » et d’avoir de vraies valeurs.
Les vraies valeurs c’est le calvinisme en version musulmane, et le Prince c’est Machiavel et son unité nationale en version musulmane : le Califat. L’islam, à l’origine religion nationale arabe, est en fait le masque de la bourgeoisie arabe tentant d’exister face à l’impérialisme.
A la bourgeoisie européenne et ses valeurs, la bourgeoisie arabe frêle et dépendante propose un contre-modèle, tentant de conquérir l’hégémonie en utilisant les masses mondiales.
Les propos de Sayyid Qutb sont sans équivoque : « L’humanité est aujourd’hui au bord du précipice. L’humanité est menacée non pas seulement par l’anéantissement nucléaire mais par l’absence de valeurs. L’Ouest a perdu sa vitalité, et le marxisme a échoué. A ce point de jonction crucial et déconcertant, le tour de l’Islam et de la communauté musulmane est arrivée. »
Et Al Quaeda est précisément issue de la fusion de deux structures : celle de Bin Laden, Al Quaeda, issue de la bourgeoisie d’Arabie Saoudite, et celle d’Ayman Al-Zawahiri, le Djihad islamique égyptien, issu de la bourgeoisie égyptienne. »
L'article conclut alors sur l'effondrement inéluctable des prétentions de l'idéologie de Bin Laden. La manifestation parisienne, cependant, ne semble-t-elle pas contredire cette thèse ?
Au contraire, elle la confirme pleinement. Les salafistes entendaient accumuler des forces à l'ombre de l'effondrement du monde moderne. Leur essoufflement inévitable les amène à prendre l'initiative pour tenter de « combler » le manque d'énergie révolutionnaire des masses mondiales censées les suivre. L'initiative des religieux musulmans d'Oumma.com à la fête de l'huma il y a quelques jours relève du même schéma de faire du bruit pour maintenir en vie une proposition stratégique en voie d'effondrement.
La construction idéologique selon laquelle le film « Innocence of Muslims » que personne n'a vu et qui n'intéresse personne prend sa source dans cette réalité. Les salafistes ont perdu et ils sont obligés de se précipiter, de donner corps à ce qui n'est en fait qu'une illusion : que la religion a un sens réel, alors qu'elle n'est qu'illusion.
L'Islam a eu son moment progressiste, au moment de la falsafa, tout comme le christianisme a eu son moment progressiste avec l'âge roman. Cependant, cela appartient au passé.