10 Jan 2013

Le 13 janvier et le précèdent du 30 mai 1968

Submitted by Anonyme (non vérifié)

La manifestation du 30 mai 1968 est, avec celle du 24 juin 1984, le second grand modèle de la manifestation réactionnaire du 13 janvier 2013.

Le jour même de la manifestation, avec un million de manifestants pro-gaullistes sur les Champs-Elysées à Paris, Charles De Gaulle, qui est alors président de la République française, tient une allocution radiodiffusée pour le moins vigoureuse.

La veille, il avait annulé un conseil des ministres et s'était rendu en secret auprès du commandant des forces françaises stationnées en Allemagne, afin évidemment de tenir celles-ci prêtes à l'action.

Le 30 mai 1968, la bourgeoisie conservatrice réinstaurait ainsi l'ordre, mettant fin à la parenthèse de mai 1968, dont l'aspect libéral doit être nettement souligné, puisqu'il va se prolonger et moderniser le capitalisme français (voir Reconstruction capitaliste et contradictions inter-bourgeoises (1940-2012) – 5).

Car le 30 mai 1968 est une initiative gaulliste seulement, toute la bourgeoisie ne participe pas. C'est le gaullisme, la bourgeoisie impérialiste qui est en action, avec en arrière-plan les « barbouzes » du SAC, le Service d'Action Civique, véritable organisation semi-clandestine pratiquant la violence en s'appuyant sur des espions, des gangsters, des anciens de l'armée, des activistes de l'OAS, etc.

Les slogans de la manifestation reflètent la radicalité contre-révolutionnaire : « Cocos au poteau ! », « Les cocos à Moscou ! », « Le drapeau, c'est bleu-blanc-rouge ! », « Cohn-Bendit en Allemagne ! », « Le rouquin à Pékin ! », « Vidangez la Sorbonne ! », « Cohn-Bendit à Dachau ! », « De Gaulle n'est pas seul ! », « Le communisme ne passera pas ! », « La France aux Français ! », « Les Français avec nous ! », « Liberté du travail ! »

Le discours de De Gaulle à la radio est donc dans cette optique du rapport de force :

« Si donc cette situation de force se maintient, je devrais pour maintenir la République prendre, conformément à la Constitution, d'autres voies que le scrutin immédiat du pays. En tout cas, partout et tout de suite, il faut que s'organise l'action civique.

Cela doit se faire pour aider le gouvernement d'abord, puis localement les préfets, devenus ou redevenus commissaires de la République, dans leur tâche qui consiste à assurer autant que possible l'existence de la population et à empêcher la subversion à tout moment et en tous lieux.

La France, en effet, est menacée de dictature. On veut la contraindre à se résigner à un pouvoir qui s'imposerait dans le désespoir national, lequel pouvoir serait alors évidemment et essentiellement celui du vainqueur, c'est-à-dire celui du communisme totalitaire.

Naturellement, on le colorerait, pour commencer, d'une apparence trompeuse en utilisant l'ambition et la haine de politiciens au rancart. Après quoi, ces personnages ne pèseraient pas plus que leur poids qui ne serait pas lourd.

Eh bien ! Non ! La République n'abdiquera pas. Le peuple se ressaisira. Le progrès, l'indépendance et la paix l'emporteront avec la liberté. Vive la République ! »

Voici également comment Le Monde, de l'édition du 1er juin 1968, rapporte un incident significatif :

« C'est alors que va se produire un incident. La foule, parmi ses slogans avait aussi : " Brûlez le drapeau rouge ! ".

Or, à l'angle de la place de l'Etoile et de l'avenue de la Grande-Armée, une grue d'un chantier du métro express régional portait à son sommet un drapeau rouge gardé, là-haut, par quatre ouvriers. Très vite, à peine repéré cet emblème, les premières clameurs se font entendre. D'abord le cri " Enlevez le drapeau ! ", très vite devenu : " Brûlez ce torchon ! ".

Mais le drapeau demeure et les ouvriers qui le gardent paraissent fermement décidés à son maintien. Aussitôt, une brèche est faite par un groupe de manifestants dans la palissade qui ferme le chantier et quelques personnes commencent à escalader la grue, encouragées et applaudies par la foule surexcitée.

Très vite,il faut se rendre à l'évidence : à moins d'un affrontement au sommet de la grue avec toutes ses conséquences, le drapeau rouge ne pourra être pris. Un homme alors va entreprendre d'escalader l'engin dans de périlleuses conditions puisqu'il hisse avec lui un grand drapeau tricolore.

A mi-hauteur, les deux ouvriers qui sont sur la première plate-forme lui jettent des projectiles et de l'eau. Cela entraîne en riposte des envols de pierres qui naturellement, ne peuvent atteindre leur objectif.

A ce moment, un cordon de gardiens de la paix, suivi quelques minutes après par un détachement de gendarmes mobiles, vient se mettre en position autour du chantier.

Des discussions sont entamées avec un contremaître qui, finalement, ira rejoindre les ouvriers au sommet de la grue et, malgré les protestations véhémentes de l'un deux, fera retirer le drapeau. La fureur de la foule tombe d'un coup. »

Aux élections de fin juin, les gaullistes rassemblés dans l'Union pour la défense de la République obtiennent 293 sièges sur 487.

Cela confirme les thèses du matérialisme dialectique : le fait que la bourgeoisie française était profondément scindée, déjà, entre un secteur financier et un secteur industriel, le premier soutenant le gaullisme et le second un réformisme démocrate-chrétien et modernisateur.

Le fait ensuite que le niveau culturel-idéologique de la révolution socialiste doit être très élevé pour pouvoir faire face au formidable niveau culturel-idéologique de la bourgeoisie française, très éduquée, très organisée, très formée.

Le 13 janvier 2013, c'est ainsi sur cette expérience du 30 mai 1968 que la bourgeoisie s'appuie également, pour rétablir « ses » droits sur une société qui, de fait, lui appartient.

 

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