Pourquoi une nouvelle Cause du Peuple? (1974)
Submitted by Anonyme (non vérifié)[La Cause du peuple n° 1, novembre 1974.]
Le 13 septembre 1973 paraissait le dernier numéro de « La Cause du Peuple-J'Accuse ». Depuis, plus rien ; que ce soit au niveau de notre propagande comme à celui de notre pratique nationale unifiée. Pourquoi ?
Toute organisation comporte une gauche et une droite. Son histoire est celle de la lutte entre deux voies. Chez les maos de « La Cause du Peuple » la voie bourgeoise l'a momentanément emporté.
Nous travaillons actuellement à un bilan critique de notre pratique depuis 1968 de façon à préserver les acquis tout en évitant le retour des erreurs. Nous pourrons ainsi reprendre notre marche en avant. Un tel bilan ne peut être que le fruit d'un débat très large auquel nous convions tous les anciens camarades.
Pour notre part nous leur soumettons dans ce qui suit une première analyse du mécanisme de la dégénérescence qui a conduit à la liquidation.
1. Points forts et points faibles des « Maos ».
Quand en septembre 1968 nous avons fondé la « Gauche Prolétarienne », nous sommes partis avec deux idées : prolétarisation, militarisation. Par la suite, en 1969-1970, les actions de « Nouveaux Partisans » ont fait éclater les contradictions de classe et ouvert des perspectives nouvelles à la révolution dans les pays capitalistes développés.
Nous avons lutté pour l'autonomie ouvrière contre l'esprit syndicaliste qui divise le peuple, capitule face à l'ennemi, respecte la hiérarchie et la légalité.
Nous avons popularisé les formes les plus efficaces de lutte, celles aussi qui éduquent les masses et les préparent à la révolution : cassage de gueule des petits chefs, sabotages, séquestration, « grandes lessives » des bureaux. Nous avons enfin tenté de faire converger les luttes et d'unir concrètement les classes et couches populaires.
Notre itinéraire est jalonné par de grandes victoires, couronnées par la création de l'U.N.C.L.A., mais aussi par des échecs dont les leçons restent à tirer.
L'une d'entre elles porte sur la tendance des militants à comprendre d'une manière unilatérale les orientations qu'ils reçoivent du Centre. Celui-ci doit combattre inlassablement les penchants au schématisme, à l'outrance, qu'on observe surtout chez les jeunes, nombreux dans nos rangs. L'incurie de l'ancienne direction fut totale à cet égard. Nous en donnerons quelques exemples.
Un des grands acquis de la « Gauche Prolétarienne » est que la méthode correcte pour élaborer la ligne et diriger les luttes c'est de partir des masses pour revenir aux masses, non de partir des livres pour revenir aux livres.
C'est en transformant la réalité qu'on la connaît. La solution des problèmes concrets n'est pas dans les classiques, même s'ils peuvent nous aider à la dégager de notre pratique. Nous avions raison de mettre ainsi l'accent sur la pratique mais non d'avoir encouragé le mépris du « savoir » en général, le mépris des livres et de la théorie marxiste-léniniste.
Déjà dans l'U.J.C. (m-l) après la rectification de septembre- octobre 1967 les cadres affirmaient qu'on pouvait être un bon communiste en n'ayant assimilé que le petit livre rouge. Plus tard, dans la G.P., même ce recueil de citations (pourtant précieux) était rarement utilisé.
Les militants n'ayant aucune formation théorique ne pouvaient plus systématiser les enseignements de leur propre expérience. A partir de 1972, les unités n'ont plus rédigé de bilans. Ainsi la base participait-elle de moins en moins à l'élaboration de notre politique d'où blocage du centralisme-démocratique et de la ligne de masse. Les militants appliquaient mécaniquement les directives venues d'en haut parfois sans les comprendre et surtout sans réfléchir à la situation concrète.
Dans ces conditions comment pourraient-ils distinguer les erreurs et les réfuter quand les dirigeants ont commencé à basculer dans l'anarchisme ? L'ancienne direction eut le mérite, du temps qu'elle était communiste, d'avoir insufflé aux militants une volonté enthousiaste de se lier aux masses et de se battre à leur côté.
Les maos de « La Cause du Peuple » se sont distingués par leur capacité d'impulser des luttes, légales ou illégales, violentes ou non, avec initiative, audace, esprit de sacrifice. Loin d'être sectaires, ils considéraient l'organisation comme un instrument au service des luttes non comme une fin en soi.
Ils ne se présentaient pas aux masses comme des professeurs ès-marxisme racolant pour leur coterie, mais comme des combattants résolus et un peu plus conscients.
Le revers de la médaille est que la combativité sans l'idéologie prolétarienne, peut être un aspect de la mentalité de « hors la loi » ou de baroudeur gauchiste. On avait tendance à recruter n'importe qui, la volonté de se battre étant le seul critère.
Le résultat fut l'afflux d'éléments déclassés, voire lumpen, qui ont introduit un style de travail déplorable caractérisé par :
1°) la répugnance à effectuer un travail prolongé dans les masses pour consolider sur le plan politique et organisationnel les résultats acquis au cours des luttes ;
2°) l'absence de discipline, de méthode, de sens des responsabilités (bref, la pagaille) ;
3°) l'impatience et la tendance à jeter son va-tout dans chaque bataille considérée comme devant décider de la guerre, avec pour conséquence l'usure rapide des militants.
A l'étape suivante l'accent mis unilatéralement sur « l'élargissement », les objectifs démocratiques, le ralliement des bourgeois libéraux a conduit à prôner une justice et une vérité au- dessus des classes, à organiser les ouvriers uniquement sur la base du « on ne fait pas de politique ».
2. La liquidation.
Par suite de ces erreurs persistantes dans la ligne (mais qui en constituaient un aspect subordonné) la composition de l'organisation et l'idéologie de ses militants se sont modifiées graduellement jusqu'au moment où le caractère petit-bourgeois y est devenue prédominant.
La direction a tenté de réagir contre les déviations opportunistes qui relevaient sans cesse la tête. Le dernier de ces combats d'arrière-garde a été livré avant l'été 1973. A la rentrée ce fut la fin. Transfiguré par la révélation mystique de « Lip » notre grand chef charismatique a capitulé devant la pression de la base. Seulement cette base il se l'était donné lui-même.
Selon que le style de travail et la conception du monde sont prolétariens ou petits- bourgeois le métabolisme de l'organisation la transforme dans un sens ou un autre. En l'occurrence les révolutionnaires conséquents ont été éliminés alors qu'affluaient les élément anarchisants.
L'ex-direction, sous prétexte de lutter contre l'autoritarisme, a jeté le bébé avec l'eau sale du bain. Elle a détruit sans rien construire. Ces gens-là ont longtemps protesté qu'ils ne voulaient absolument pas liquider mais seulement écarter l'ancien pour faire place nette au nouveau.
Il fallait « casser la boutique » pour que le grand « mouvement » révolutionnaire, surmontant les querelles de sectes, puisse voir le jour. Ce n'était là qu'un mirage ou plutôt un miroir aux alouettes avec lequel on leurrait les militants.
Certains disent :« On ne peut accuser de tout un seul homme sinon c'est le culte de la personnalité à rebours. » Certes, mais en tant que premier dirigeant, il assume la responsabilité principale. Il ne peut la rejeter sur personne. Entre le centre et la base il y a interaction dialectique, non circulaire, un de ses aspects étant dominant. Les mettre sur le même plan c'est vouloir noyer le poisson pour protéger un individu.
Le marxisme exige qu'on intègre l'organisation dans la totalité plus vaste de la formation sociale. En dernière analyse, les causes de la liquidation sont à rechercher du côté des conditions de la lutte des classes dans un pays comme la France où les ouvriers ont « quelque chose à perdre », ce qui crée un terrain favorable au réformisme. Il n'en reste pas moins que cette explication ne suffit pas, car les facteurs sociaux sont médiatisés par des individus.
Si l'on veut y voir clair, il faudra non seulement analyser avec précision la lutte entre les deux voies dans l'organisation, mais aussi enquêter sur les motivations personnelles et l'idéologie du principal dirigeant. Une telle étude sera des plus instructives, notamment pour ceux qui lors de l'affaire Lin Piao se montraient sceptiques et ne comprenaient pas qu'un grand révolutionnaire en apparence puisse trahir « du jour au lendemain ».
Certains camarades nous disent : il faut laisser une issue à Pierre Victor. C'était justement ce que faisait Kostas Mavrakis dans son article de Théorie et Politique N° 2. Malheureusement, son appel ne fut pas entendu. Comme l'a dit Mao :« Il est difficile de se rééduquer quand on a pris l'initiative de commettre de graves erreurs de principe, de ligne ou de direction. » L'honneur révolutionnaire « ...est comme une île escarpée et sans bords. On n'y peut plus rentrer dès qu'on en est dehors ».
3. Un abîme sans fond.
L'ancienne direction qui n'en finit plus de liquider a convoqué le 1er, 2 et 3 novembre une conférence. De nombreux ex-militants en ont profité pour se retrouver et causer. Par la même occasion ils ont pu apprécier où en était le groupe invitant.
Ces individus après avoir dissout l'organisation s'en prennent au marxisme- léninisme (ils disent le « meu-leu ») qui en a vu d'autres. Ils mettent en doute le rôle dirigeant du prolétariat mais doutant de leur doute ils érigent leur doute en principe ! En fait ils tournent en rond. Coupés des masses et de toute pratique ils n'ont plus d'idées, eux qui en avaient autrefois dix dès qu'ils se grattaient la tête.
Cherchant à définir de nouvelles pratiques subversives ils n'ont su proposer qu'une communauté ouvrière-artisanale à la campagne qui s'organise pour échapper au salariat. Ces formes de repli utopique à l'abri de la lutte des classes avaient déjà été proposées par le groupe « Vive la Révolution » quand il s'est dissous il y a trois ans.
Les coopératives formées par d'anciens résistants après la guerre en étaient une version plus ancienne. Inutile de dire que les communautés ne gênent pas le pouvoir, bien au contraire. Ce n'est rien d'autre que le « gaucho-réformisme » que Pierre Victor reprochait jadis à Philippe Gavi.
Ce même Pierre Victor a mis aussi en avant le projet d'un « centre de recherches » sur la révolution. Pour goûter l'ironie de l'histoire il faut se souvenir que la G.P. a été fondée fin 1968 en réaction à ceux qui préconisaient les recherches livresques et concevaient le Parti comme un club de discussion.
Engagés sur la voie glissante de la liquidation jusqu'où ces gens- là vont-ils tomber ? L'abîme appelle l'abîme, « abissus abissum invocat ». Refusant l'autocritique ils n'ont d'autre issue que la fuite en avant. On ne voit pas comment un « centre de recherche » leur permettrait de sortir du brouillard opaque où ils tâtonnent. Que font-ils aujourd'hui sinon théoriser leur impuissance et leur faillite en les tenant pour fatales ?
Déjà leur pessimisme à l'égard des masses ne connaît plus de bornes. Dans une conversation enregistrée avec Daniel Gréaume, Pierre Victor affirmait qu'aucun ouvrier ne veut la révolution violente. Geismar déclare à « Politique-Hebdo » que les ouvriers sont racistes et phallocrates.
Quant à leur compère Serge July il explique dans « Le Monde » que « Libération » n'est pas un journal d'opinion. II reprend ainsi à son compte l'idéologie de « France-Soir ».
Cela signifie en fait que toutes les opinions même réactionnaires peuvent figurer dans le journal à condition que July-Gavi décident qu'elles expriment des points de vues présents dans les masses, donc, selon eux, à l'exclusion du marxisme-léninisme. Ils ont ainsi publié des articles sionistes, antichinois, antiléninistes, ou faisant l'apologie de la drogue.
L'organisation mao étant dissoute il ne leur restait plus qu'à dissoudre à leur tour les « Comité Libération » pour échapper à tout contrôle. Enfin seuls ils ont fait régner la dictature bourgeoise dans ce journal pour lequel tant de maoïstes se sont dévoués jusqu'au moment où ils ont compris.
4. Ce que nous voulons.
Nous voyons d'ici Geismar nous lancer à la figure : « Et vous, que proposez-vous ? » sous-entendant que la catastrophe actuelle est une fatalité devant laquelle nous devrions nous incliner comme lui. En un sens, d'ailleurs, nous ne proposons rien, car nous ne venons pas avec un programme et une ligne tous faits. Ceux-ci seront le fruit d'une élaboration collective à laquelle participeront tous les anciens camarades qui n'ont pas mis la clef sous le paillasson.
Nous ne leur demandons pas de nous faire confiance mais de se faire confiance, en se lançant, par exemple, dans la bataille pour que « La Cause du Peuple » réponde vraiment aux besoins des masses. De même, l'organisation que nous voulons édifier sera ce que vous, les militants maos, en ferez.
Nous ne partons pas de zéro. L'expérience (positive et négative) accumulée par les maos de « La Cause du Peuple » depuis six ans est d'une immense richesse. Nous devons la mettre à profit. Néanmoins nous ne voulons pas revenir en arrière et reproduire la « vieille maison » avec ses tares. Nous visons à faire autre chose et mieux.
Les camarades, révoltés contre l'autoritarisme de la direction et des petits cadres, ont eu raison en un sens d'applaudir à la dissolution parce qu'elle leur permettait enfin de réfléchir par eux-mêmes et de résoudre avec initiative les problèmes concrets de la lutte des classes sur leur lieu d'implantation.
Que leurs aspirations aient été exploitées et détournées par le courant anarcho-liquidateur ne les rend pas moins légitimes. Nous leur demandons maintenant d'enregistrer le constat de faillite de Pierre Victor et compagnie pour prendre un nouveau départ.
Nous n'irons pas loin si nous nous battons chacun dans notre coin. Pour accomplir nos tâches politiques, nous avons besoin d'une organisation communiste
- liée aux masses, impulsant et coordonnant leurs luttes ;
- offrant un lieu où les idées justes des masses soient concentrées et systématisées après étude pour produire la ligne ;
- pratiquant le centralisme démocratique, la critique et l'autocritique, capable donc de faire constamment le bilan de son expérience, de rectifier ses erreurs et d'aller toujours de l'avant.
Il nous faut un système de presse diversifié nous permettant de toucher sur le plan national divers milieux et catégories sociales. Cette presse sera :
- un instrument d'agitation et de propagande ;
- un organisateur collectif, un agent d'unification des camarades ;
- un lieu de confrontation et d'étude pour caractériser la période, analyser la conjoncture et mener la lutte des classes dans la théorie.
En lançant ce journal, nous n'avons fait que sonner le rappel de toutes les bonnes volontés communistes, de tous les révolutionnaires conséquents qui refusent de céder au marasme et à la passivité. Face à l'ennemi, les militants et les groupes isolés sont comme les doigts de la main, l'organisation comme un poing serré.
« La Cause du Peuple » est morte, vive « La Cause du Peuple » !