Le rôle de la France napoléonienne dans la genèse du nazisme (pour en finir avec Clausewitz)
Submitted by Anonyme (non vérifié)Pour nous communistes, non seulement la pensée de tout individu porte des empreintes de classe, mais tout son déploiement possède les caractéristiques typiques d'une classe.
Ainsi, si nous nous intéressons à Clausewitz, non seulement il n'est pas possible de séparer l'individu de son origine aristocratique, mais il faut également comprendre en quoi sa pensée correspond à l'expression idéologique de la classe aristocratique prussienne.
Etre matérialiste, c'est regarder en quoi consiste la société où vivait Clausewitz et où sa pensée est née et s'est déployée.
Or, quelle est la nature de la société où vivait Clausewitz? En fait, jusqu'à l'intervention napoléonienne, la Prusse de Clausewitz était un pays particulièrement arriéré dans tous les domaines.
Dans les années 1860, soit 30 années après la mort de Clausewitz, les paysans pauvres représentaient 71,4% des foyers ruraux de ce qui allait devenir l'Allemagne, ne possédant que 9% des terres.
La Prusse, chef de file des royaumes allemands et pays d'origine de Clausewitz, était le bastion de la réaction la plus outrancière, il ne s'agissait même pas d'une monarchie, car le monarque était totalement dépendant des grands propriétaires terriens, les junkers.
Clausewitz était un officier de cette Prusse réactionnaire, Prusse qui s'est effondrée sous les coups de la France napoléonienne.
Seulement voilà, si la Prusse s'est effondrée, l'offensive napoléonienne a causée une réaction patriotique dans les royaumes allemands, et non pas sous la forme bourgeoise, mais sous la forme réactionnaire par la prise de la direction de cette résistance par la Prusse.
Les faits sont que l'intervention napoléonienne va permettre à la Prusse non seulement de se moderniser sur une base aristocratique ultra-réactionnaire, mais en plus de prendre le commandement de l'unification de l'Allemagne.
Par la suite, la Prusse maintiendra son hégémonie sur l'Allemagne, et notamment son Etat, maintenant les traditions militaristes et ultra-autoritaires: la victoire du nazisme est inconcevable sans voir cet aspect essentiel. Lénine, au sujet de l'Allemagne de son époque, parlait ainsi de "l'impérialisme des bourgeois et des Junkers".
Mais comment la Prusse a-t-elle pu se moderniser, alors que sa base économique et culturelle était si arriérée? Quel rôle a joué Clausewitz?
Tout part de la tentative de la Prusse de s'opposer à l'invasion napoléonienne, tentative qui échoue et est marquée par la défaite, le 14 octobre 1806, lors de la bataille de Iéna-Auerstedt.
L'année suivante, les restes de l'armée prussienne sont battus les 7-8 février 1807 lors de la bataille de Friedland, malgré une importante aide militaire russe.
La France napoléonienne impose alors la paix de Tilsit (7-9 juillet 1807) qui fait disparaître la Prusse en tant que puissance, en imposant l'annexion de la moitié de son territoire (en partie issue de conquêtes) à l’ouest de l’Elbe ainsi que sa partie polonaise, par la France et la Russie.
La Prusse n'existe alors qu'en tant que zone-tampon entre la France et la Russie, qui deviennent alliés; un duché de Varsovie est formé comme Etat vassal de la France napoléonienne à l'Est de la Prusse, ainsi qu'un royaume de Westphalie à l'Ouest (avec sur le trône un frère de Napoléon, qui se mariera un mois plus tard avec la fille du roi du Wurtemberg).
C'est ce moment historique qui va amener la modernisation de la Prusse, par la déviation de la mobilisation nationale anti-napoléonienne en soutien intégral au militarisme prussien.
C'est ce moment historique qui explique l'apparition de Clausewitz, aristocrate et militaire prussien traitant d'un sujet comme le peuple en armes.
Comment se déroule le processus de modernisation? Quel rôle y joue Clausewitz?
Ce qui s'est passé est simple: l'aristocratie prussienne a décidé que son armée devait intégrer les avancées françaises sur le plan de l'organisation et des structures.
Cela signifie qu'à l'opposé de la France, en Prusse la révolution se fait par en haut, par l'intermédiaire d'intellectuels, qui profitent de la mobilisation anti-française pour généraliser une forme apparemment démocratique, mais au contenu intégré dans les plans de l'aristocratie prussienne.
A partir de la réforme militaire prussienne, dans les années 1807-1808, l'armée acquiert une place prépondérante, avec un ministère de la guerre modernisé, une justice militaire réformée, la réorganisation des corps d'officiers, une division nouvelle des troupes, etc.
Ainsi, la Prusse obtenait la structuration d'une armée de type nationale, encadrée, à l'opposé des anciennes armées féodales fondées sur l'enrôlement de force (et donc caractérisées par de fortes désertions, un moral très bas, une très faible capacité d'initiatives, etc.).
Il ne s'agit donc nullement d'une révolution, mais simplement d'une modernisation par en haut, au caractère éminemment réactionnaire.
La Prusse féodale voyait que la France napoléonienne disposait de ressources dont elle ne disposait pas elle-même, et elle a cherché à les avoir également, en menant une révolution par en haut.
Ses théoriciens - principalement Karl August Fürst von Hardenberg et Karl Freiherr vom Stein, mais également Barthold Georg Niebuhr, Karl vom Stein zum Altenstein, Heinrich Theodor von Schön, Wilhelm von Humboldt - concevaient très clairement la réorganisation de la Prusse comme une révolution par en haut, mettant en avant le principe de "réformes organiques".
Quiconque a étudié l'histoire de l'Allemagne sait cela, et il faut être idéaliste pour confondre cette modernisation semi-féodale avec un mouvement national-bourgeois jouant un rôle historiquement progressiste.
La révolution par en haut a consisté en une unification admistrative de la Prusse, une séparation de la justice et de l'administration, une réforme communale, une réorganisation des impôts et des taxes, le droit de propriété (avec la fin des restrictions sur la vente des terres aux roturiers), l'abolition du servage (sans bien entendu la remise en cause de la grande propriété agricole), la mise en place de l'école publique, la liberté de l'industrie etc.
Cette révolution par en haut permettait surtout aux junkers, les grands propriétaires terriens, de faire de leurs serfs des paysans-travailleurs maintenus sous leur joug: les paysans se voyaient accorder la liberté, mais restaient dépendants des terres où ils travaillaient.
Les junkers devenaient ainsi des grands propriétaires terriens pratiquant un capitalisme agraire et exploitant leurs paysans comme des ouvriers.
Lénine a parlé de la "voie prussienne" au capitalisme; il a résumé ce processus en expliquant que "L'exploitation féodale se transforma lentement en exploitation bourgeoise à la manière des Junkers, en vouant le paysan pour des dizaines d'années à la plus dure exploitation et à l'asservissement, dégageant une faible minorité de "Grossbauern" (gros paysans)" (La question agraire en Russie à la fin du XIXème siècle).
Dans le domaine de l'éducation, Wilhelm von Humboldt modernisa la Prusse avant de se faire renvoyer en raison de ses idées libérales. Et évidemment, la question militaire n'était pas en reste, les principaux officiers prussiens responsables de cette révolution par en haut dans le domaine militaire étant Gerhard von Scharnhorst, August Neidhardt von Gneisenau, Hermann von Boyen et Carl von Clausewitz.
Clausewitz n'est aucunement un théoricien révolutionnaire, il n'a rien inventé, il est seulement un intellectuel ayant synthétisé les principes de mobilisation populaire nés avec la révolution française.
Clausewitz a été un intellectuel organique de l'aristocratie prussienne.
Sa théorie n'est pas celle de la guerre populaire en tant que guerre du peuple, sa théorie est l'utilisation de la mobilisation populaire pour la guerre de l'aristocratie prussienne, ce qui est d'une nature sociale totalement différente.
Voilà pourquoi la guerre des partisans n'a jamais été généralisée, et encore moins pratiquée, avec des bilans tirés: la nature même de la Prusse aristocratique ne le permettait pas. De même pour les corps d'officiers, évidemment trustés par l'aristocratie.
Ce n'est qu'avec la direction communiste du mouvement ouvrier et paysan en Chine, avec Mao Zedong, que la guerre populaire aura une existence réelle et généralisée sur une longue période, après les nombreuses expériences déjà faites en Russie avec l'armée rouge dans la lutte contre les blancs.
Et il est intéressant de voir qu'en République Démocratique Allemande, dirigé par le SED (Parti Socialiste Unifié) laquais du social-impérialisme russe, Scharnhorst était mis en avant, une décoration pour la défense du pays possédant même son nom.
Les révisionnistes du SED ne voyaient qu'en Scharnhorst un officier capable d'organiser la mobilisation nationale contre Napoléon, la "levée en masse"; ils n'ont pas su (ou pas voulu) voir que cette mobilisation nationale rentrait dans les plans de l'aristocratie prussienne, que sa nature même n'était pas populaire mais servait clairement les plans de la contre-révolution prussienne.
Quant à Clausewitz, sa nature aristocratique se révèle lorsqu'on sait qu'à la défaite de la Prusse, il s'est engagé dans l'armée russe, et a joué un rôle essentiel dans la convention de Tauroggen en 1812 (qui aménera celui, officie celui-là, de Kalisz en 1813), qui amène un retournement d'alliance et l'unité de la Russie et de la Prusse contre la France napoléonienne.
Pour Clausewitz, toute démarche passe par en haut, de manière aristocratique; sa théorie n'est pas celle de la guerre populaire (qui ne pouvait exister à l'époque car seul le prolétariat pouvait l'appliquer et la théoriser), mais celle de la mobilisation nationale au service de l'Etat féodal - principalement par le service militaire obligatoire.
Voilà pourquoi la théorie de Clausewitz est tellement étudiée dans les écoles militaires bourgeoises: les militaires forment une caste de type féodal au sein d'un pays bourgeois, et la théorie de Clausewitz leur va comme un gant!
Mais cela n'est pas tout. Avec cette révolution par en haut au sein de l'Etat prussien sur le plan militaire, la Prusse va pouvoir prendre localement la tête du combat contre la France napoléonienne, jouant un rôle essentiel dans la "Bataille des nations", la plus grande défaite de Napoléon, à Leipzig (16-19 octobre 1813).
La Prusse va alors pouvoir s'approprier la Confédération du Rhin, créée par Napoléon en 1806, notamment avec les royaumes de Bavière, du Wurtemberg et de la Saxe, afin de contrer d'un côté l'Autriche, de l'autre la Prusse.
Napoléon, par la formation de la Confédération du Rhin, a ainsi facilité... l'unification de ce qui va devenir l'Allemagne, sous la direction de la Prusse - et cela, tant sur le plan idéologique et culturel, en provoquant une mobilisation populaire opposée à l'invasion, que sur le plan économique et politique avec les institutions calquées sur le modèle français imposées dans les Etats germaniques vassalisés à la France.
Ainsi, les réformes démocratiques ont été considérés comme étant quelque chose d'extérieur, ce qui fait que la révolution démocratique n'a pas eu lieu, et que l'aspect national a été mis en avant par les forces féodales pour s'opposer justement aux bouleversements sociaux.
Pire, Napoléon ayant imposé des réformes bourgeoises dans les Etats de la Confédération du Rhin, notamment ceux directement sous le contrôle français, c'est une économie en plein essor qui est passée sous l'hégémonie prussienne!
Engels dit d'ailleurs à ce sujet: "Le fondateur de la bourgeoisie allemande a été Napoléon (...). L'aristocratie est ainsi devenue tellement impotente qu'elle est en partie elle-même passée à la bourgeoisie." (Le status quo en Allemagne).
Dans son document où il analyse "La question militaire prussienne et le Parti ouvrier allemand", Engels étudie d'ailleurs précisément les réformes prussiennes, mais ne fait même pas mention de Clausewitz! C'est dire si Clausewitz n'est rien d'autre qu'un théoricien militaire réactionnaire, ne présentant aucun intérêt pour les communistes.
Et c'est dire aussi si la responsabilité de la France Napoléonienne est engagée dans la genèse de la nation allemande, née sous les auspices du militarisme prussien.