La peinture des frères Le Nain - 1ère partie : reconnaissance de la dignité du réel
Submitted by Anonyme (non vérifié)Le portraitisme de Molière, d'une force incommensurable, ne pouvait bien entendu pas être isolé, et de la même manière qu'à côté de Honoré de Balzac (1799-1850) on trouve le peintre Gustave Courbet (1819-1877), qu'à côté de Denis Diderot (1713-1784) on trouve Jean Siméon Chardin (1699-1779), à côté de Molière (1622-1673) on trouve les frères Le Nain : Mathieu Le Nain (1607-1677), Louis Le Nain (1593-1648) et Antoine Le Nain (1588-1648).
C'est une question de tendance historique, et la bourgeoisie se développant, elle assume le réalisme. Il est ici particulièrement significatif que la bourgeoisie de notre époque, totalement décadente, ne comprenne plus sa propre jeunesse, et a réduit Molière à un sorte de bouffon comique, sans jamais saisir par ailleurs l'importance pour l'histoire de France de la peinture des frères Le Nain.
La peinture des frères Le Nain, il est vrai, n'apparaît dans toute sa somptuosité qu'à la lumière du réalisme socialiste, théorie matérialiste dialectique pour les arts et les lettres. Un portrait typique, avec des personnages typiques dans une situation typique, voilà leur peinture, qui retranscrit véritablement la substance d'une époque.
Dans une fameuse lettre, Friedrich Engels dit :
« J'ai plus appris dans Balzac que dans tous les livres des historiens, économistes, et statisticiens professionnels de l'époque pris ensemble. »
Les œuvres majeures des frères Le Nain nous apportent cette même dimension, cette même retranscription totale de la nature d'une époque. Si l'on prend le tableau intitulé « Repas de paysans », on voit très bien comment la peinture des frères Le Nain – réalisée principalement par Louis ou Antoine, les oeuvres n'étant jamais signée par l'un des frères en particulier – nous révèle la dimension pesante et digne d'un moment privilégié.
Que dire également du tableau intitulé « La Visite à la grand-mère », ou bien encore de « La Famille de la laitière » ? Tout le sérieux de la scène est représentée de manière typique ; on voit la vie dans sa réalité la plus nue, avec l'individu faisant face à sa propre réalité, bien loin des portraits vides de sens des grands représentants de l'aristocratie ne dépassant pas le niveau d'une simple photographie honorifique.
Nous sommes ainsi dans la première partie du XVIIe siècle, et alors que l'offensive baroque est lancée par les forces de la réaction, qu'à Versailles la monarchie absolue va exposer son triomphe sur la première étape de la féodalité, on retrouve en France un prolongement de la peinture flamande.
Quand on voit « La Famille heureuse ou Le Retour du baptême », on voit comme dans la peinture flamande un thème religieux totalement dépassé par la vigueur du réalisme ; le cadre religieux s'efface devant la force du détail, devant le caractère typique, devant le réalisme.
Le tableau est en apparence conforme à l'idéologie dominante, mais en pratique il relève totalement de la bourgeoisie dans sa substance même. Des peintres montrent la réalité, ils dressent des portraits typiques.
Et comme dans ce tableau intitulée « La Charette », une simple représentation banale s'avère en réalité la reconnaissance de la dignité du réel.