Quel est le point de vue révolutionnaire sur la « Révolution française »?
Submitted by Anonyme (non vérifié)Aujourd'hui le thème de la « nation » est très largement repris par les organisations politiques, une telle chose n'est naturellement pas une surprise à une époque de crise.
Qui dit crise dit « repli sur soi », c'est-à-dire l'action politique de la petite-bourgeoisie pour freiner la concurrence capitaliste et pouvoir continuer à vivre « comme avant. »
En appeler à la nation, c'est en appeler à serrer les rangs,à s'unir autour du drapeau national, ce drapeau que chaque foyer doit posséder, selon les désirs de Ségolène Royal.
Et cette Marseillaise que tous les français doivent connaître.
Mais quelle est la signification de la révolution française?
Pourquoi en France l'appel à une politique nouvelle se fonde-t-elle non pas sur un passé glorieux et lointain, mais sur une révolution dont l'Etat français se veut la continuité?
En effet, dans la plupart des autres pays, l'appel à une « nouvelle politique » puise dans l'imagerie d'un passé « glorieux », avec lequel le régime actuel a plus ou moins rompu : en Russie on se revendique de l'époque du Tsar ou bien de l'URSS des années 1960, en Allemagne on se revendique de l'Empire de la fin du 19ème siècle, en Autriche de la domination des Habsbourg, etc.
Tel n'est pas le cas en France, où la révolution française est comprise comme le modèle de « révolution populaire. »
Comment la révolution française peut-elle être une référence révolutionnaire alors que l'Etat français est en continuité avec celle-ci?
Tout simplement parce que la révolution française, comme toute une chose, possédait deux aspects.
Ces deux aspects se sont exprimés politiquement avec les « jacobins » et les « girondins ».
Ceux qui s'appuient sur la révolution française pour vouloir transformer l'Etat français aujourd'hui se rattache à la tradition jacobine, celle de Robespierre, parce que cette tradition justifie le droit du peuple à l'insurrection.
Il y a l'idée d'une « révolution dans la révolution », une notion essentielle que l'on retrouve dans tous les partis fascistes du monde (révolution conservatrice allemande, parti révolutionnaire institutionnel mexicain, junte d'offensive national-syndical, etc.).
L'autre tradition, celle des Girondins dont le théoricien était Condorcet, est au contraire réformatrice, pour des changements au sein de la constitution existante.
Cette fraction girondine, quelqu'un comme François Bayrou s'en revendique expressément lorsqu'il dit au sujet de la nécessité que chacun ait son « drapeau tricolore »:
« Peut-être que je suis libertaire, mais cela ne ressemble pas à l'idée que je me fais de la démocratie. En tout cas, si je suis président de la République, je ne ferai pas de circulaires pour expliquer aux Français comment aimer la France »; « Je suis peut-être un libertaire un peu excessif, mais avoir ce perpétuel rappel, et un Etat qui édicte le bien, le mal, l'ordre juste, je trouve ça pesant. Il ne faut pas être dans la névrose perpétuelle de l'identité. »
Mais Robespierre était-il vraiment un révolutionnaire, défendant les droits du peuple?
Karl Marx analyse ainsi sa figure historique, celle de dirigeant de la « citadelle assiégée » qui en appelait aux modèles combattants et virils de la Grèce antique :
« Robespierre et Saint-Just parlent expressément de « la liberté, la justice et la vertu » antiques, n'appartenant qu'au « peuple ». Les Spartiates, les Athéniens, les Romains, au temps de leur grandeur, étaient des « peuples libres, justes, vertueux ».
Dans la séance de la Convention du 5 février 1794, discutant les principes de la morale publique, Robespierre demande :
« Quel est le principe fondamental du gouvernement démocratique ou populaire ?
La vertu; je parle de la vertu publique qui opéra tant de prodiges en Grèce et à Rome, et qui doit en produire de bien plus étonnants dans la France républicaine; de cette vertu qui n'est autre chose que l'amour de la patrie et de ses lois. »
Robespierre qualifie ensuite expressément les Athéniens et les Spartiates de «peuples libres». (...)
Robespierre, Saint-Just et leur parti ont succombé parce qu'ils ont confondu la société à démocratie réaliste de l'Antiquité, reposant sur la base de l'esclavage réel, avec l'État représentatif moderne à démocratie spiritualiste, qui repose sur l'esclavage émancipé, sur la société bourgeoise.
Être obligé de reconnaître et de sanctionner, dans les droits de l'homme, la société bourgeoise moderne, la société de l'industrie, de la concurrence universelle, des intérêts privés qui poursuivent librement leurs fins, ce régime de l'anarchie, de l'individualisme naturel et spirituel devenu étranger à lui-même; vouloir en même temps annuler après coup pour tel ou tel individu particulier les manifestations vitales de cette société tout en prétendant façonner à l'antique la tête politique de cette société : quelle colossale illusion !
Tout le tragique de cette illusion éclate le jour où Saint-Just, marchant à la guillotine, montre le grand tableau des Droits de l'Homme accroché dans la salle de la Conciergerie et s'écrie avec fierté : « C'est pourtant moi qui ai fait cela ! » Ce tableau, précisément, proclamait le droit d'un homme qui ne saurait être l'homme de la société antique, pas plus que les conditions économiques et industrielles où il vit ne sont celles de l'antiquité. » (La Sainte-Famille)
Comme on le voit, Karl Marx explique que Robespierre ou encore Saint-Just ont simplement donné des armes à la bourgeoisie pour réaliser sa domination; Robespierre pensait agir sur l'histoire, il n'en était que l'objet.
De plus, pour Marx et Engels, la référence révolutionnaire n'est pas Robespierre, mais Gracchus Babeuf.
Friedrich Engels explique dans « Socialisme utopique et socialisme scientifique »:
« Même si dans l'ensemble, la bourgeoisie pouvait prétendre représenter également, dans la lutte contre la noblesse, les intérêts des diverses classes laborieuses de ce temps, on vit cependant, à chaque grand mouvement bourgeois, se faire jour des mouvements indépendants de la classe qui était la devancière plus ou moins développée du prolétariat moderne.
Ainsi, au temps de la Réforme et de la guerre des Paysans en Allemagne, les anabaptistes et Thomas Münzer; dans la grande Révolution anglaise, les niveleurs; dans la Révolution française, Babeuf. »
En fait, comme on le voit, ceux qui se revendiquent de la révolution « socialiste » tout en se revendiquant de la révolution française ne suivent pas du tout l'analyse marxiste.
Inversement, ceux qui se revendiquent de la révolution française le font car ils veulent une «révolution», mais où le peuple participe passivement, comme force d'appoint à une autre classe, comme lors de la révolution française où les sans-culottes ont en pratique servi la bourgeoisie.
Elles suivent simplement l'ouvrage classique chez les sociaux-démocrates : l'« Histoire socialiste de la Révolution française », de Jean Jaurès.
C'est en effet Jaurès qui va réhabiliter Robespierre, affirmant que c'est lui qui est allé le plus loin et que Babeuf, s'il a fondé le courant socialiste, n'a jamais rien fait d'autre qu'être dans la continuité de Robespierre.
C'est ce qu'il expliquera en 1903 avec « Je suis avec Robespierre »: « Ici, sous ce soleil de juin 93 qui échauffe votre âpre bataille, je suis avec Robespierre, et c'est à côté de lui que je vais m'asseoir aux Jacobins.
Oui, je suis avec lui parce qu'il a à ce moment toute l'ampleur de la Révolution. Je suis avec lui, parce que s'il combat ceux qui veulent rapetisser Paris à une faction, il a gardé le sens révolutionnaire de Paris.
Il empêchera l'hébertisme de confisquer l'énergie populaire ; mais il ne rompt pas avec cette énergie. »
L'ouvrage de Jean Jaurès avait à l'époque comme opposition théorique l'ouvrage de Karl Kautsky, La lutte des classes en France en 1789.
Kautsky y expliquait que « la vérité, c'est que les traditions jacobines sont aujourd'hui parmi les obstacles les plus sérieux qui entravent en France la formation d'un grand parti ouvrier, un et indépendant. »
Tel n'est pas le point de vue de Jaurès, qui a toujours prôné la continuité entre la révolution française et l'idée de révolution socialiste; il dit ainsi : « le socialisme surgit de la révolution française sous l'action combinée de deux forces : la force de l'idée du droit, la force de l'action prolétarienne naissante. » (La Petite République, 7 septembre 1901, Le socialisme et la vie).
Pour Jaurès, la France porte en la révolution; « Nous qui voulons, précisément, que la France ait dans le monde une grande mission historique et morale » (Pour une armée vraiment populaire, 1913), « Un peu d'internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup y ramène. » (L'Armée nouvelle, 1914); Jean Jaurès interprète également dans un sens très particulier la notion de dictature du prolétariat, car selon lui, « La république est, selon Engels, la forme politique du socialisme : elle l'annonce, elle le prépare, elle le contient même déjà en quelque mesure, puisque seule elle y peut conduire par une évolution légale, sans rupture de continuité. » (La Petite République, 17 octobre 1901, République et Socialisme)
De fait, dans la la conclusion de l'« Histoire socialiste de la Révolution Française » (1908), Jaurès explique que : « Maintenant, c'est dans une démocratie puissamment constituée et qui évolue sous la loi suprême du suffrage universel, que la classe ouvrière se développe et agit.
Les conditions de l'action ne sont plus celles que le marxisme avait prévues, mais la méthode essentielle du prolétariat doit bien être celle qu'il avait esquissée : la méthode complexe d'une classe à la fois très vivante et très âpre qui se mêle à tous les mouvements pour les ramener sans cesse à sa propre fin.
Comment pourra-t-il se passionner à l'oeuvre de réforme, et la rattacher sans cesse à son idéal révolutionnaire ? »
C'est-à-dire que pour Jaurès, la révolution française n'est pas simplement une révolution bourgeoisie.
Il rejette très clairement les thèses de Marx et Engels affirmant que le féodalisme a été renversé par une révolution bourgeoise, et que la domination de la bourgeoisie doit être renversé par la révolution prolétarienne, comme cela est explique dans le Manifeste du Parti communiste : « La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale, n'a pas aboli les antagonismes de classes Elle n'a fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d'autrefois.
Cependant, le caractère distinctif de notre époque, de l'époque de la bourgeoisie, est d'avoir simplifié les antagonismes de classes. La société se divise de plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat. »
Le Manifeste du Parti communiste reconnaît que la bourgeoisie a joué un rôle révolutionnaire dans sa lutte contre le féodalisme, mais il est expliqué que cette période révolutionnaire est terminée.
Quant à l'idéologie des Lumières, au culte de la Raison mis en avant par la Révolution française, elle possède des limites de classe absolument irréductibles; « Nous savons maintenant que le royaume de la raison n'a pas été plus que le royaume idéalisé de la bourgeoisie. (Friedrich Engels : Anti-Dühring)
Cette position erronée de Jean Jaurès est typique des socialistes, qui rejettent la conception communiste de « deux vastes camps ennemis. »
Ainsi, l'anarchiste Daniel Guérin, très influencé par le trotskysme (et revendiqué autant par les anarchistes que les trotskystes), explique que : « Sans la marche sur Versailles, le 5 octobre, des bras nus affamés et sans leur irruption dans l'enceinte de l'Assemblée, la Déclaration des droits de l'homme n'eût pas été sanctionnée.
Sans l'irrésistible vague de fond partie des campagnes, l'assemblée n'eût pas pas osé s'attaquer, bien que timidement, à la propriété féodale, dans la nuit du 4 août 1789.
Sans le puissant mouvement des masses du 10 août 1792, l'expropriation sans indemnité des rentes féodales n'eût pas été, enfin, décrétée; la bourgeoisie eût hésité devant la république et devant le suffrage universel. » (Daniel Guérin, "La révolution française et nous").
Lui aussi, comme Jaurès, donne à la révolution française une composante populaire, non pas seulement dans le mouvement anti-féodal, mais également dans la nature et le contenu de la révolution bourgeoisie, ce qui revient à dire que la révolution française est surtout bourgeoise, mais également en (bonne) partie populaire.
Cette thèse totalement étrangère à l'analyse de Marx et Engels, va également être généralisée par Maurice Thorez.
Thorez, dirigeant du PCF des années 1930-1950, va développer un discours chauvin à l'occasion du Front Populaire, affirmant des choses comme « La nation française, c'est le peuple admirable de notre pays, au coeur généreux, à la fière indépendance et au courage indomptable. » (congrès de Villeurbannes, 1936), « Un front français à la tradition héroïque de lutte et de liberté de notre peuple, aux accents de la Marseillaise de 1792 mêlés à ceux de notre Internationale, sous les plis du drapeau tricolore de Valmy avec le drapeau rouge de la Commune, un front français contre le front anti-français de la trahison : front français pour le respect des lois, front français pour la défense de l'économie nationale, front français pour la liberté et l'indépendance de notre pays. » (discours à Paris, août 1936).
Cette culture va encore plus grandir pendant la Résistance, pour finir par triompher avec la victoire du révisionnisme moderne en URSS, qui ouvre la porte au social-chauvinisme et à la liquidation des révolutionnaires authentiques qui défendaient le drapeau de Marx, Engels, Lénine et Staline, et qui vont bientôt se regrouper sous le drapeau de Mao Zedong.
Ceux qui se revendiquent de la révolution française défendent une conception « nationale » totalement étrangère au communisme!
La mise en avant de la révolution française, à l'époque des contradictions entre bourgeoisie et prolétariat, sert la bourgeoisie!
Un tel opportunisme se retrouve naturellement au P"C"F ; Marie-George Buffet explique sans honte dans une grande tirade social-patriotique au sujet de l'hymne de l'Etat bourgeois: «Elle n'appartient ni à un candidat, ni à une candidate... Marseillaise et drapeau tricolore sont les symboles du peuple en marche pour se libérer de toutes les formes d'exploitation.»
Peut-on plus explicitement rejeter la tradition de Karl Marx et du Manifeste du parti communiste?
Pour Marie-George Buffet, La Marseillaise et le drapeau tricolore sont "des symboles qui appartiennent au peuple" et il ne faut pas "se les disputer comme des bouts de chiffon", c'est dire!
Et après, une organisation comme l'URCF (Union des Révolutionnaires Communistes de France) prétend avoir rompu avec le P"C"F dont il est issu, alors qu'il le considère encore comme ne faisant pas partie des "forces acquises au pouvoir capitaliste (MEDEF, UMP-UDF, PS)"!
Le PRCF (Pôle de Renaissance Communiste en France), l'autre fraction issue de la "gauche du PCF", ne fait pas mieux que le P"C"F non plus dans l'opportunisme et ce culte de la « France frondeuse », comme dans ce communiqué de mars 2007 affirmant que : « Eh bien nous, militants franchement communistes qui assumons la France populaire et humaniste des Sans-Culotte et des Communards, c'est avec les travailleurs immigrés que nous défendons la nation française issue des Lumières, de 1789, de 36, 45 et 68.
Jamais nous n'abandonnerons la Marseillaise, soeur de l'Internationale, à Le Pen et à l'UMP, ce parti antinational et anti-ouvrier en voie de fascisation rapide. »
Le ridicule ne tue pas : "national" et "ouvrier" sont mis sur le même plan, la Commune de 1871 est passée aux oubliettes et il est parlé de mai 1968 alors que le P"C"F dont le PRCF se revendique était le principal opposant au mouvement !
On voit bien la nature de la récupération « nationale », la conception « mythique » de l'histoire.
Une récupération nationale qui n'a jamais dérangé les "marxistes-léninistes"; lors du "meeting unitaire" du 5 mai 2005, le PRCF avait déployé un grand drapeau tricolore, sans que personne ne bronche (éditions prolétariennes, URCF, etc.), sans parler du "non à la constitution européenne", où le discours social-impérialiste ne les a pas plus dérangé, toujours au nom de l'"unité"!
Quant aux trotskystes, qui se définissent souvent comme des "internationalistes", leur critique de ces appels "patriotiques" atteint le degré zéro de la politique et de l'internationalisme prolétarien.
La seule attitude d'Olivier Besancenot est celle d'un petit-bourgeois choqué qui explique que les priorités sont ailleurs : "Ca me choque et ça me fait flipper" - selon lui, "les gens s'en foutent qu'on leur propose un drapeau bleu blanc rouge dans leur foyer", ils "ont besoin de chauffage, d'électricité, d'un emploi correctement rémunéré et parfois même, ils ont besoin d'un logement tout court".
Ce qu'Olivier Besancenot ne comprend c'est que les nationalistes expliquent justement que les problèmes sociaux se résoudront grâce à la "patrie".
Arlette Laguiller s'est lancée dans la même perspective ultra-économiste : "les petits drapeaux agités le 14-Juillet aux fenêtres ne donneront pas de travail aux chômeurs".
Même sa tentative de "radicaliser" son discours a été affligeant, tellement Laguiller est incapable de se fonder sur la réalité, sur le présent, sur l'actualité de l'Etat impérialiste : «La Marseillaise a été le chant des massacreurs des communards et le chant des troupes coloniales.»
Que signifie ce "a été"? La Marseillaise n'est-elle pas aujourd'hui l'hymne de l'Etat bourgeois, que l'organisation d'Arlette Laguiller est censée vouloir détruire, selon les enseignements de Karl Marx?
Les communistes, partisanEs de l'internationalisme prolétarien, rejettent la mise en avant de la révolution française, car leur idéologie, le marxisme-léninisme-maoïsme, est l'idéologie de la classe ouvrière, et ses révolutions sont les révolutions ayant amené la naissance de l'URSS de Lénine-Staline et la Chine populaire de Mao Zedong!
Guerre populaire jusqu'au communisme!
Pour le PCMLM, avril 2007.