3 nov 2008

Digression sur la dialectique de la nature

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Quelques remarques

Le petit texte qui suit a trait à la science et l'histoire de l'évolution des espèces. Il pourrait apparaître étrange, en pleine crise capitaliste, de s'attarder sur un tel domaine. Néanmoins, il est une chose qu'il faut bien comprendre: la science, dans ses thèmes comme ses méthodes, est traversée par les luttes de classe: il n'est pas difficile de voir l'intérêt par exemple des opérateurs mobiles à nier les effets des antennes-relais.

Il n'est pas non plus possible de mettre sur le même plan un scientifique expliquant que le cancer provient à 90% de facteurs héréditaires et un autre scientifique expliquant que le cancer a des causes à 90% environnementales. Les scientifiques ne sont rémunérés par la bourgeoisie que si les études la servent, tant sur le plan de la recherche que sur le plan de l'idéologie.

Qu'est-ce qui relève de la science, qu'est-ce qui relève de l'idéologie, voilà ce qu'il faut discerner pour avoir une position correcte. A ce titre, il n'est pas difficile non plus de voir comment la petite-bourgeoisie, classe littéralement en perdition dans la crise, devient hystérique et pollue la question scientifique de délires complotistes, d'interprétations unilatérales niant absolument et complètement la « science officielle », etc.

Faire la part des choses est, sur ce terrain, une entreprise difficile et demande une grande compréhension du matérialisme dialectique.

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Je me fais ici l'écho d'un débat ayant eu lieu entre camarades, débat portant sur la question de la dialectique de la nature et l'évolution des espèces. Pour faire simple, dans la discussion, les uns considèrent qu'une espèce peut tout à fait s'avérer inadaptée et donc disparaître en raison de son inadaptation; pour les autres, aucune espèce ne disparaît à moins que l'environnement n'ait subi un changement brutal et global. Naturellement, dans la discussion on a mis de côté l'intervention humaine, qui mal approprié a abouti et aboutit encore aujourd'hui à la destruction d'espèces.

En fait, ce qui se passe est simple: certains camarades font en effet une erreur importante en pensant que la nature existe face à l'être humain, en soi, et que l'histoire de l'humanité accompagne celle de la nature, dans une sorte de processus parallèle où l'humanité peut, en quelque sorte, tirer son épingle du jeu.

Cette conception semble matérialiste, mais en fait ne l'est pas; et les camarades faisant cette erreur ne font que répéter ce que critique Lénine dans matérialisme et empirio-criticisme: à savoir ne considérer que le monde extérieur n'existe que dans la mesure où on le perçoit.

Selon le matérialisme dialectique, la conscience humaine n'est pas une chose « pure » qui peut « saisir » le monde. L'esprit n'est en effet qu'une sorte de matière, car elle est une composante de la matière pensante que nous sommes. Et la matière pensante que nous sommes n'existe pas indépendamment du monde: elle est liée à son environnement, sans lequel elle ne peut pas exister.

C'est-à-dire comme le formule Lénine: « L'univers n'est que matière en mouvement, et cette matière en mouvement ne peut se mouvoir autrement que dans l'espace et dans le temps. » (matérialisme et empirio-criticisme)

L'humanité est comprise dans cet espace-temps, dont elle ne peut pas s'extraire. Elle doit donc assumer sa position, et ne pas chercher à « s'extraire ».

Bien entendu, la religion explique que l'on peut s'en extraire en se liant à un dieu tout puissant, que le monde a été donné d'ailleurs comme une offrande à l'humanité. En ce sens, les Lumières bourgeoises ont le même discours d'appropriation du monde reposant simplement sur la technique et non sur une logique globale comme le fait le communisme.

Engels formule justement très précisément cette conception globable du communisme dans la dialectique de la nature, conception que nous pourrions qualifier aujourd'hui d'écologique: « Rien dans la nature n'arrive isolément.

Chaque phénomène réagit sur l'autre et inversement, et c'est la plupart du temps parce qu'ils oublient ce mouvement et cette action réciproque universels que nos savants sont empêchés d'y voir clair dans les choses les plus simples (...).

Les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu'un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l'avantage que nous avons sur l'ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement. »

Ainsi, la pensée bourgeoise ne vit que dans le temps présent, qu'elle consomme, qu'elle tente de dominer pour accumuler. Le communisme, lui, se place globalement.

Et pourquoi cela? Car le matérialisme dialectique refuse la thèse comme comme quoi le monde fait « face » à l'être humain, thèse bourgeoise et surtout fasciste (le fascisme vise soit disant à transcender l'homme en faisant face au monde, par le sport, la guerre, etc.).

Mais le matérialisme dialectique ne fait pas que placer la matière dans l'espace-temps, il considère également et surtout que la matière est un mouvement, un mouvement ininterrompu.

Pour les communistes, la loi de la contradiction est la loi universelle de l'univers; Engels nous dit:

« Si le simple changement mécanique de lieu contient déjà en lui-même une contradiction, à plus forte raison les formes supérieures de mouvement de la matière et tout particulièrement la vie organique et son développement. ... la vie consiste au premier chef précisément en ce qu'un être est à chaque instant le même et pourtant un autre.

La vie est donc également une contradiction qui, présente dans les choses et les processus eux-mêmes, se pose et se résout constamment.
Et dès que la contradiction cesse, la vie cesse aussi, la mort intervient.
 » (Anti-Dühring)

Or, si la matière est en mouvement du fait de la loi universelle de la contradiction, alors la matière subit des changements, des bouleversements. C'est une conséquence inévitable: il n'y a pas de vie sans changement.

Et comme la vie est changement, comme nous vivons dans un environnement où nous existons, alors cela a des conséquences non seulement pour nous mais également sur nous; Engels explique par exemple dans la Dialectique de la Nature comment le travail a modifié l'humanité des premiers jours:

« Ainsi la main n'est pas seulement l'organe du travail, elle est aussi le Produit du travail. Ce n'est que grâce à lui, grâce à l'adaptation à des opérations toujours nou­velles, grâce à la transmission héréditaire du développement particulier ainsi acquis des muscles, des tendons et, à intervalles plus longs, des os eux-mêmes, grâce enfin à l'application sans cesse répétée de cet affinement héréditaire à des opérations nouvelles, toujours plus compliquées, que la main de l'homme a atteint ce haut degré de perfection où elle peut faire surgir le miracle des tableaux de Raphaël, des statues des Thorwaldsen, de la musique de Paganini. »

Cette thèse d'Engels est réfuté par la bourgeoisie, mais également par la « science » qui n'est en réalité ici que le reflet pseudo scientifique de l'idéologie dominante.

Pour la « science », l'hérédité passe par le code génétique et tout y est figé, avec des variantes existantes. S'il y a évolution au sein d'une espèce, c'est absolument uniquement par le jeu de la sélection naturelle: ne se reproduisent au final que certains individus ayant certaines particularités et finalement tous les représentants de l'espèce sont des descendants de ces individus.

Et comme le formule Théodore Monod: « La théorie du gène comme déterminant héréditaire invariant au travers des générations, et même des hybridations, est en effet tout à fait inconciliable avec les principes dialectiques.» (Le Hasard et la Nécessité).

A l'opposé, qu'affirme le matérialisme dialectique? Le matérialisme dialectique explique qu'une espèce n'existe pas de manière passive dans son environnement: elle est active, de manière méthodique à défaut de disposer d'une conscience de type humaine.

Cela signifie que les variations au sein d'une espèce ne se produisent pas de manière aléatoire ou simplement par la sélection naturelle: elles sont le fruit du mouvement (=l'activité méthodique voire le travail) de la matière (=en l'occurrence les êtres vivants) dans la réalité, c'est-à-dire l'espace-temps (=les conditions dans lesquelles existent les organismes vivants).

Prenons un exemple concret pour illustrer les deux thèses s'opposant. Dans la théorie darwinienne interprétée par la bourgeoisie, les girafes ont été une espèce spécifiquement adaptée à un environnement donné; par la sélection naturelle (c'est-à-dire le triomphe des individus les plus adaptés au sein de l'espèce elle-même, notamment lors des famines), il y a eu une évolution aboutissant à la girafe telle qu'on la connaît désormais.

Dans le second cas, la girafe (ou plus exactement son « ancêtre ») s'est vu obligée pour des raisons pratiques de voir son cou s'allonger, lorsque les changements écologiques l'ont obligé à brouter les feuilles des arbres. La girafe s'est ainsi adaptée en allongeant son cou qui, il y a plus de 10 millions d'années, n'était pas plus développé que celui d'un okapi, membre, comme elle, de la famille des giraffidés.

Bien entendu, les communistes de l'URSS ont mis en avant la thèse matérialiste dialectique, par opposition à la mise en avant unilatérale de la thèse du « tout génétique » considérée comme le reflet de l'idéologie hiérarchique du capitalisme.

(Aujourd'hui encore, Lynn Margulis, microbiologiste américaine de renom, a des mots similaires au sujet du néo-darwinisme, dont l'idée d'une évolution uniquement issue de la victoire des individus les plus adaptés correspond à une vision capitaliste et pro compétition de Darwin.

Lynn Margulis a émis la thèse désormais reconnue comme quoi les cellules eucaryotes seraient le résultat d'une suite d'associations symbiotiques avec différents procaryotes et elle est également l'une des théoriciennes (avec James Lovelock) de la théorie « Gaïa », c'est-à-dire comme quoi la Terre est une gigantesque symbiose.)

En Union Soviétique, la théorie néo-darwinienne de la génétique a donc été réfutée, notamment par le russe Mitchourine (1855-1935) qui a salué la révolution russe et la naissance du pouvoir soviétique. Il a été considéré que l'environnement et ses conditions ébranlent en quelque sorte l'hérédité des organismes et amènent des variations brusques, des sauts qualitatifs. Il n'y a rien d'immuable.

Malheureusement, les recherches soviétiques échoueront à la suite de Mitchourine. En raison de la vision métaphysique des choses dominant dans l'analyse matérialiste dialectique en URSS à l'époque, la génétique a été grosso modo niée en URSS.

Trofim Lyssenko, disciple de Mitchourine, est à ce titre très semblable à Khrouchtchev dont il a été l'acolyte: en théorie il a mis en avant un point de vue révolutionnaire, mais sa pratique était opportuniste et non scientifique.

Lyssenko a correctement opposé la tendance mitchourinienne aux partisans du « mendélo-morganisme », dont il a critiqué la fonction idéologique au sein du capitalisme, et il a correctement affirmé dans le domaine de la biologie que le mouvement de la matière tendait vers la vie: ce n'est pas pour l'arbre dominant que des éléments d'une forêt disparaissent, mais pour l'ensemble de la forêt.

Mais son rejet a été métaphysique, niant tout simplement la génétique, comme cela a pu être remarqué à l'époque par des scientifiques communistes comme le belge Paul Brien (« Les conceptions mitchouriennes que nous présente Lyssenko dans un langage, il faut le dire, assez obscur, s'inscrivent dans le courant de la biologie contemporaine. Mettant l'accent sur le caractère global (...) de l' hérédité et sur l'importance du milieu, Lyssenko s'attarde peu à rappeller la signification des gènes. Il ne peut les ignorer », Communisme, 2/1949)

Mais le fait est que les travaux soviétiques ont été une grande contribution à une vision globale de la matière.

Et maintenant j'aimerais donner une solution au problème posé initialement: une espèce peut-elle se révéler inadaptée?

A la lumière de ce que nous avons vu, nous pouvons désormais répondre, en espérant provoquer un débat fructueux à ce sujet: il semble bien, puisque une espèce consiste de la matière s'étant développé dans un environnement donné à l'initial même de son existence, qu'il n'y a aucune raison qu'elle disparaisse à moins d'un bouleversement général des conditions données, cela eu égard au principe de l'incessante transformation de la matière éternelle et de sa loi fondamentale unique: la contradiction.

La vie, en elle-même, l'emporte toujours.

« La méthode dialectique considère qu'aucun phénomène de la nature ne peut être compris si on l'envisage isolément, en dehors des phénomènes environnants ; car n'importe quel phénomène dans n'importe quel domaine de la nature peut être converti en un  non-sens si on le considère en dehors des conditions environnantes, si on le détache des ces conditions ; au contraire, n'importe quel phénomène peut être compris et justifié, si on le considère sous l'angle de sa liaison indissoluble avec les phénomènes environnants, si on le considère tel qu'il est conditionné par les phénomènes qui l'environnent.

Contrairement à la métaphysique, la dialectique regarde la nature, non comme un état de repos et d'immobilité, de stagnation et d'immuabilité, mais comme un état de mouvement et de changement perpétuels, de renouvellement et de développement incessants, où toujours quelque chose naît et se développe, quelque chose se désagrège et disparaît.
 »
(Staline, Le matérialisme historique et le matérialisme dialectique)

« Il est curieux de voir comment Darwin retrouve chez les bêtes et les végétaux sa société anglaise avec la division du travail, la concurrence, l’ouverture de nouveaux marchés, les "inventions" et la "lutte pour la vie" de Malthus. C’est le bellum omnium contre omnes [la guerre de tous contre tous] de Hobbes, et cela fait penser à la phénoménologie de Hegel, où la société bourgeoise figure sous le nom de "règne animal intellectuel", tandis que chez Darwin, c’est le règne animal qui fait figure de société bourgeoise. »
(Lettre de Marx à Engels du 18 juin 1862)

« Toute doctrine darwiniste de la lutte pour la vie n’est que la transposition pure et simple, du domaine social dans la nature vivante, de la doctrine de Hobbes : bellum omnium contre omnes et de la thèse de la concurrence chère aux économistes bourgeois, associée à la théorie malthusienne de la population.

Après avoir réalisé ce tour de passe-passe […], on retranspose les mêmes théories cette fois de la nature organique dans l’histoire humaine, en prétendant que l’on a fait la preuve de leur validité en tant que lois éternelles de la société humaine.

Le caractère puéril de cette façon de procéder saute aux yeux, il n’est pas besoin de perdre son temps à en parler.
»
(Engels, Lettre de Engels à Lavrov du 12 [17] novembre 1875)           

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