2 déc 2008

Clausewitz ou Mao Zedong?

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Clausewitz, officier prussien du début du 19ème siècle, est-il le théoricien de la guerre populaire?

Ou bien s'agit-il de Mao Zedong, dirigeant communiste ayant synthétisé la pratique des masses populaires et l'expérience du mouvement communiste international?

Telle est la question que pose implicitement l'ouvrage « Clausewitz et la guerre populaire », de T. Derbent et publié aux éditions Aden de Belgique.

L'ouvrage en question est très clair à ce sujet: Mao Zedong n'est qu'un lointain successeur à Clausewitz, et encore ne vaut-il pas le vietnamien Giap, le même auteur étant à l'origine de l'opuscule « Giap et Clausewitz. »

Il va de soi que la thèse de Derbent est absolument intolérable et montre une confusion absolue entre la révolution de type nationale telle qu'elle a pu se présenter au 19ème siècle et la révolution socialiste ou de nouvelle démocratie telle qu'elle se présente au 20ème siècle.

Et de fait, la thèse de Derbent sur Giap montre bien comment la révolution vietnamienne n'a en fait pas été une révolution démocratique, mais seulement une révolution de type nationale, c'est-à-dire visant à repousser l'envahisseur mais sans essentiellement toucher à la base sociale du pays.

Présentons d'abord clairement les faits en ce qui concerne la théorie de Clausewitz et ses différences avec le marxisme-léninisme-maoïsme.

Selon Clausewitz, « la guerre n'est rien d'autre qu'un duel à une plus vaste échelle... un acte de violence destiné à contraindre l'adversaire à exécuter notre volonté. »

Or, tel n'est pas du tout le point de vue communiste. La guerre populaire ne vise nullement à « contraindre l'adversaire à exécuter notre volonté. »

Il s'agit d'anéantir l'adversaire, ce qui est largement différent, et c'est d'ailleurs ce qui justifie la critique du révisionnisme népalais: au Népal la guerre populaire n'est pas allée jusqu'au bout et s'est contentée de faire pression sur l'Etat, pour que celui-ci abandonne sa forme monarchique et intègre les partisans de Prachanda.

De la même manière, Clausewitz n'a aucunement une interprétation matérialiste au sujet des protagonistes de la guerre; il dit au sujet de celle-ci: « elle est toujours la collision de deux forces vives. »

Là encore, ce n'est nullement communiste. Selon la loi universelle de la contradiction, le nouveau l'emporte sur l'ancien, et il ne s'agit ainsi nullement de deux « forces vives », mais d'une force nouvelle et donc fragile mais néanmoins en pleine expansion, faisant face à une force ancienne et encore forte mais en voie de désagrégation.

Pour cette même raison, Clausewitz se situe en-dehors du matérialisme en mettant en avant « l'aléatoire et la probabilité », car ces critères n'ont de sens que si les deux protagonistes ont la même nature, thèse qui est la sienne mais qui est contraire à la dialectique.

De fait, Clausewitz est le théoricien essentiel de la bourgeoisie et de sa vision de la contre-insurrection, car il prône une ligne souple, capable de s'adapter à des formes toujours changeantes, c'est-à-dire qu'il exprime ici la théorie bourgeoise tentant de faire face à quelque chose d'imprévisible et de non-compréhensible, caractéristiques en effet de la guerre populaire pour la bourgeoisie.

Quand Clausewitz affirme que « la guerre est l'activité humaine qui ressemble le plus à un jeu de cartes », cela correspond exactement au maximum que la bourgeoisie peut atteindre: elle peut se confronter à la guerre populaire, mais elle ne peut pas la comprendre, cela pour des raisons historiques.

Voilà pourquoi Clausewitz explique « la guerre populaire comme quelque chose de vaporeux ne doit se condenser nulle part en un corps solide. »

La guerre populaire c'est au contraire l'exact inverse: c'est la condensation matérielle du mouvement historique porté par le prolétariat.

Voilà pourquoi la guerre populaire est prolongée, réalité qui n'est absolument pas abordé par T . Derbent dans ses deux ouvrages qui présentent en fait la lutte armée comme une « technique » neutre.

Selon le marxisme-léninisme-maoïsme, la guerre populaire a un caractère prolongé de par la nature de son combat (le nouveau contre l'ancien), nature se concrétisant matériellement selon les conditions concrètes du pays.

Ainsi, T. Derbent attribue une valeur essentielle à la victoire de Dien Bien Phu, considérée comme un modèle de « bataille décisive » de la théorie de Clausewitz, c'est-à-dire démoralisant l'ennemi et le forçant à abandonner.

Mais la victoire de Dien Bien Phu, selon le matérialisme, ne saurait présenter un caractère « à part », l'objectif étant la prise du pouvoir dans tout le pays. On voit ici toute la différence entre la conception communiste telle qu'elle a existé en Chine, et celle qui a prédominé au Vietnam et ayant amené finalement ce pays à devenir un satellite du social-impérialisme russe.

La révolution chinoise était une révolution démocratique, devenant à sa victoire une révolution socialiste, alors qu'au Vietnam la lutte était considérée comme une « révolution nationale ».

Dans l'ouvrage de Derbent, Giap répond ainsi à la question de savoir quel est le facteur politique: « Tout d'abord le patriotisme, le sentiment national, la volonté de libérer le pays. Notre révolution est d'abord nationale. Elle est ensuite démocratique. Notre Parti a déclenché la révolution agraire en pleine guerre. »

Cette conception est très exactement celle du Parti Communiste en France durant la seconde guerre mondiale impérialiste, et celle de Prachanda au Népal.

Elle est également celle de l'IRA en Irlande, où Derbent salue la ligne comme quoi la ligne ne serait pas de chasser l'armée anglaise mais de faire en sorte que la bourgeoisie britannique décide de se désengager d'Irlande!

Derbent comprend d'ailleurs la lutte vietnamienne et la salue pareillement, sans voir que dans ce cas il n'y pas eu de révolution démocratique, mais simplement une « révolution nationale » du type de celle du 19ème siècle, libérant le pays militairement mais aucunement socialement, comme le montre d'ailleurs pareillement la révolution kémaliste en Turquie, la révolution iranienne de 1979, etc.

De fait, aujourd'hui en Afghanistan les Talibans ont exactement cette ligne consistant en la « guerre d'usure » poussant les troupes à partir en raison du trop grand coût de la guerre.

Cette conception est fausse car elle oublie la nature des pays semi-coloniaux semi-féodaux; cette conception nie purement et simplement l'expérience historique ayant montré que les pays opprimés par l'impérialisme sont quasiment tous devenus formellement « indépendants » et n'ont pas de troupes étrangères sur leur sol, tout en restant enchaînés à leur condition d'opprimé, leur nature étant précisément semi-colonial semi-féodal.

Voilà pourquoi la guerre populaire n'a rien à voir avec la conception anti-matérialiste de Clausewitz, et pourquoi la ligne militaire du Parti Communiste du Pérou explique:

« C'est une loi que la contre-révolution - pour écraser la révolution - déchaîne des campagnes d'« encerclement et d'anéantissement » contre chaque unité de l'Armée Populaire de Guérillas, ou contre les Bases d'appui.

Les opérations de l'Armée Populaire de Guérilla prennent la forme de contre-campagnes et le Président Mao établit neuf mesures pour écraser une compagne d'encerclement et d'anéantissement: 1) La défense active; 2) la préparation d'une contre-campagne; 3) la retraite stratégique; 4) la contre-offensive stratégique; 5) le début de la contre-offensive; 6) la concentration des forces; 7) la guerre de mouvement; 8) la guerre de décision rapide; et 9) la guerre d'anéantissement. »   

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