31 Jan 2014

Artiste tourmenté ou malsain, un choix historique

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Jamais dans l'histoire de l'humanité il n'y a eu autant de moyens matériels pour produire de la culture. Accès aux instruments de musique, aux partitions, à l'histoire de la musique, accès aux livres, aux films, aux musiques, à l'histoire de la peinture, aux différentes danses... La situation actuelle est un rêve en théorie.

En pratique, l'humanité connaît une crise culturelle gigantesque. Le cinéma ne produit que des œuvres infantiles ; les rares artistes authentiques se vendent à la première occasion, tels les Daft Punk acceptant la semaine dernière, pour leur dernier album, des « grammy awards », une honte pour tout artiste authentique.

Mais qu'est-ce qu'un artiste authentique ? Un artiste authentique est inquiet, tourmenté. Or, aujourd'hui, l'artiste est égocentrique et cynique, prêt à endosser le malsain pour triompher.

Ainsi, on parle beaucoup de Dieudonné, l'infâme. Alors regardons sa chanson « je m'en cure le zen la politique c'est pas mon blême », avec une vidéo tout aussi pathétique qu'elle, suintant le malsain, le glauque, la moquerie populiste, l'apolitisme crétin. Elle n'a que 100 000 vues, donc peu pour du « Dieudo », et pourtant c'est la base de toute son identité.

Dieudonné vient de là, de cette démarche du moche et du glauque, cette démarche propre à Céline, et qu'il s'agit de bien distinguer de celle d'un Gainsbourg. La différence ? Gainsbourg était cultivé ; toute sa démarche s'appuie sur des références, il n'y a jamais de subjectivisme pour l'esthétique du subjectivisme.

C'est le principe de la culture qui fait boule de neige, qui s'accumule. Avec Dieudonné, la culture se réduit à de l'esprit, à des mots déconnectés de la réalité, bref au style de la plèbe.

On dira : que faut-il opposer à la plèbe ? C'est simple, à la plèbe on oppose l'avant-garde. L'avant-garde, ce n'est pas l'élitisme, c'est marcher en premier sur un terrain qui va être celui, demain, des grandes masses.

Et des gens qui défrichent, la France n'en manque pas. Il suffit de regarder quelque chose comme le collectif Valerie, qui célèbre toute une culture electro puisant ses racines dans les années 1980. Pourquoi n'existe-t-il pas de tels blogs dans tous les horizons possibles, s'entremêlant, échangeant, présentant les artistes ?

A vrai dire, parce que la jeunesse est passive et préfère l'egotrip. Il suffit de regarder les têtes d'affiche du prochain festival de metal Hellfest en France, et de regarder leur date de fondation.

Ce sont des figures historiques, des perles, mais qui ne doivent pas prendre la première place aujourd'hui, car appartenant à l'histoire. Là on est dans Radio Nostalgie, dans le meurtre culturel de la jeunesse.

Cella donne donc Iron Maiden : 1975, Slayer : 1981, Rob Zombie : 1985, Aerosmith : 1970, Black Sabbath : 1968, Deep Purple : 1968, Soundgarden : 1984, Emperor : 1991, Status Quo : 1962, Megadeth : 1983.

Pendant ce temps-là, un géant comme Nick Drake, oublié dans le passé, reste oublié dans le présent.

Et cela produit des figures fantomatiques, des aventuriers de notre époque, des artistes non terminés errant dans la nuit, dans la marge, par esprit romantique, car il n'y a que la nuit où, comme le savait Baudelaire, que l'inattendu est possible.

Ces gens-là sont des milliers, des dizaines de milliers. Ils vivent parfois dans des tentations communautaires, comme les courants de L'insurrection qui vient ou des free parties. C'est la version rat des champs, celle qui s'extraie du monde décadent.

Et il y a les rats de ville, toujours solitaires, qui plongent dans les égouts du capitalisme urbain à la recherche de la sincérité, au détour d'un ratage de la machine capitaliste.

A Paris, on retrouve alors quelqu'un comme Thierry Théolier, poète DJ de l'aventure traversant le miroir, et qui pose comme ligne d'agir tel un être fantôme qui tente de vivre de manière épicurienne, de rester « cool » et lent malgré la vitesse de l'engrenage de la quête du profit.

Cela signifie refuser la hype, refuser de se voir imbriqué dans la machinerie intégrant toute initiative, en un simple clic pour ainsi dire, dans l'espace de grande indigeste purée de la consommation de produits avariés estampillés branchés.

Cela veut dire se désengager, se débrancher tout en suivant ce qui se passe avec un oeil lent, réservé, permettant de ne pas se faire aspirer. Le prix est bien sûr la précarité, mais telle est l'exigence du rat des villes, soucieux de ne pas perdre son regard critique, qu'il appelle indépendance... et qui n'est en fait que réalisme.

Heureusement et malheureusement, on a un exemple dans le passé. Ce qui attend les artistes tourmentés, c'est la même chose que cet artiste anglais du splendide film Cabaret, qui assiste en souffrance à la montée du nazisme, alors que sa compagne choisit l'opportunisme « artistique ».

Si les artistes français d'aujourd'hui ne veulent pas se retrouver pris au dépourvu dans un capitalisme devenant assassin, torpillant les rêves, comme ceux de Franz Kafka et de Klaus Mann, de Joseph Roth et de Paul Eluard, d'Otto Dix et Bert Brecht... Alors, ils doivent déjà commencer par faire aussi bien qu'eux !

Et au-delà ne pas faire les mêmes erreurs, et donc aller de l'avant dans le fait d'assumer les tâches démocratiques. Une tâche gigantesque... Mais historique, et incontournable. Ou bien la culture procède à un saut, tant dans le domaine technique qu'artistique, en se tournant vers le peuple... ou bien le capitalisme pourrissant amène tout à s'effondrer.

Notre époque a besoin de ses Ilya Répine!

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