Les meurtres de sang-froid de Merah à la lumière d'Amok de Stefan Zweig
Submitted by Anonyme (non vérifié)Amok ou le fou de Malaisie est une nouvelle du début du 20ème siècle, qui a eu un énorme succès et est une œuvre classique de Stefan Zweig. Y est retracé le coup de folie d'un médecin allemand en Malaisie, une simple rencontre débouchant sur une accès de folie obsessionnelle, aboutissant à la mort.
Y est décrite une crise profonde et rapide, amenant un individu à littéralement déraper, à céder à la passion la plus complète. La déraison l'emporte et triomphe.
Si l'on compare cette minutieuse description de l'obsession triomphant dans celui qui devient « amok », on voit aisément que cela n'a rien à voir avec Mohamed Merah.
Merah a tué de sang-froid, il n'était pas en crise, sa folie – le fait qu'il se soit filmé en témoigne – n'était qu'apparente, derrière il y avait bien une dynamique politique.
Les interprétations selon lesquelles Merah était « en colère », motivé par un pseudo « anti-impérialisme », ne tiennent pas une seconde quand on connaît l'arrière-plan idéologique, et quand on voit comment il a agi.
Merah n'était pas « amok. » Son action était « rationnelle », calculée, idéologique. Ses meurtres participent à l'esprit génocidaire de l'époque de l'effondrement du capitalisme en pleine décadence.
Voici l'extrait de la nouvelle de Zweig où il est parlé de l'amok :
« Mais, à partir de ce moment, je fus saisi comme par la fièvre... Je perdis tout contrôle sur moi-même... au plutôt je savais bien que tout ce que je faisais était insensé, mais je n'avais plus aucun pouvoir sur moi....
Je ne me comprenais plus moi-même... Je n'avais plus qu'une idée fixe: atteindre mon but..., D'ailleurs, attendez... peut-être, malgré tout, pourrai-je encore vous faire comprendre...
Savez-vous ce que c'est que l'amok?
- Amok ? .. je crois me souvenir... c'est une espèce d'ivresse chez les Malais.
- C'est plus que de l'ivresse... c'est de la folie, une sorte de rage humaine, littéralement parlant .. , une crise de monomanie meurtrière et insensée, à laquelle aucune intoxication alcoolique ne peut se comparer.
Moi-même, au cours de mon séjour là-bas, j'ai étudié quelques cas, - lorsqu'il s'agit des autres on est toujours perspicace et très positif, - mais sans que j'aie pu jamais découvrir l'effrayant secret de leur origine...
La cause en est, sans doute, au climat, à cette atmosphère dense et étouffante qui oppresse les nerfs comme un orage, jusqu'à ce qu'ils finissent par éclater...
Donc l'amok... oui, l'amok, voici ce que c'est: un Malais, n'importe quel brave homme plein de douceur, est en train de boire paisiblement son breuvage... il est là, apathiquement assis, indifférent et sans énergie... tout comme j'étais assis dans ma chambre... et soudain il bondit, saisit son poignard et se précipite dans la rue... il court tout droit devant lui, toujours devant lui, sans savoir où...
Ce qui passe sur son chemin, homme ou animal, il l'abat avec son kris [un couteau local], et l'odeur du sang le rend encore plus violent...
Tandis qu'il court, la bave lui vient aux lèvres, il hurle comme un possédé... mais il court, il court toujours, sans rien voir de ce qu'il y a ni à sa droite ni à sa gauche, courant toujours en poussant son cri perçant et tenant à la main, dans cette course épouvantable, son kris ensanglanté...
Les gens des villages savent qu'aucune puissance au monde ne peut arrêter celui qui est en proie à cette crise de folie sanguinaire... et, quand ils le voient venir, ils vocifèrent, du plus loin qu'ils peuvent, le sinistre avertissement : «Amok! Amok!» et tout s'enfuit...
Mais lui, sans entendre, poursuit sa course; il court sans rien voir et continue de tuer tout ce qu'il rencontre... jusqu'à ce que l'on l'abatte comme un chien enragé ou qu'il s'affaisse anéanti et tout écumant...
«Un jour, j'ai vu cela de la fenêtre de mon bungalow... c'était horrifiant... et, parce que je l'a vu, je me comprends moi-même en ces heures-là... car c'est ainsi, exactement ainsi, avec ce regard terrible dirigé droit devant moi, sans rien voir de ce qu'il y avait à droite ni à gauche, sous l'empire de cette folie, que je me précipitai... derrière cette femme...
Je ne sais plus comment je fis; tout se déroula si furieusement, avec une rapidité tellement insensée...
Dix minutes après... non cinq, non deux... je savais tout d'elle: son nom, sa demeure, sa situation, et je retournais chez moi en grande vitesse sur une bicyclette empruntée hâtivement; je jetais un complet dans une malle, je prenais de l'argent et je filais en voiture à la station de chemin de fer... je filais sans annoncer mon départ au chef de district... sans me faire remplacer, en laissant tout en plan et la maison ouverte à tout le monde...
Les domestiques m'entouraient, les femmes s'étonnaient et me questionnaient; je ne répondais pas, je ne me retournais pas... Je filais à la gare et roulais vers la ville par le premier train...
En tout, une heure après l'entrée de cette femme dans ma maison, j'avais jeté mon passé par-dessus bord et je me précipitais dans le vide, comme un amok...
« Je courrais droit devant moi, la tête contre la cIoison du compartiment... A six heures du soir, j'arrivais... à six heures dix, je me trouvais chez elle et me faisais annoncer... C'était, vous le comprenez, l'acte le plus stupide que je pusse commettre.
Mais l'amok a les yeux troubles; il ne voit pas où il se précipite... Au bout de quelques minutes, le domestique revint... et, sur un ton poli et froid, il me déclara que Madame n'était pas bien et ne pouvait pas me recevoir...
« Je sortis en titubant... Une heure durant, je fis le tour de la maison, possédé par l'absurde espoir qu'elle viendrait peut-être me chercher... Puis je pris une chambre à l'Hôtel du Rivage et me fis monter deux bouteilles de whisky...
Celles-ci et une double dose de véronal vinrent à mon aide... Je m'endormis enfin d'un sommeil trouble et agité, unique pause dans cette course entre vie et mort. »