29 sep 2014

Villes, campagnes et marché national dans le cadre de la question semi-féodale, semi-coloniale

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Lorsque nous pensons au féodalisme, nous pensons aux châteaux des chevaliers entourés des serfs. Cela est vrai pour le féodalisme du début, mais cela ne serait pas voir que le féodalisme s'est développé par la suite, pour atteindre la monarchie absolue.

Entre la phase initiale des châtelains isolés et celle finale du monarque absolu, il existe une longue phase où l'aristocratie est divisée en couches plus ou moins riches, plus ou moins propriétaires.

Et lors de cette phase sont formées des villes, rassemblant les commerçants et les artisans. Au XVe siècle, ces villes sont déjà devenues inexpugnables : on ne peut plus les détruire, et pour les conquérir il faut déjà une armée puissante.

L'invasion de l'Europe par l'empire ottoman ne s'est pas tant brisée sur les armées européennes que sur les villes modernes. Le siège ottoman de Vienne, en 1529, se solda par un échec parce que déjà les villes formaient l'armature essentielle du féodalisme. La tempête hussite elle-même ne s'explique que par l'existence de la ville dorée de Prague.

Cette phase intermédiaire est précisément ce qui a été raté par l'écrasante majorité des pays dans le monde. Pour cette raison, le capitalisme n'a pu se développer pleinement que dans quelques pays, dont notamment au départ les Pays-Bas et l'Angleterre, car le capitalisme n'est que le prolongement du marché ouvert par l'existence des villes, un marché englobant bien entendu les campagnes avoisinantes.

Pour la même raison, les marchés ont donné naissance aux nations, tandis que dans la plupart des pays du monde, l'existence de marchés faibles et éparpillés, ou bien de pas de marchés du tout, a maintenu une division extrêmement profonde.

On imagine alors facilement comment les pays capitalistes ont pu mener leurs opérations coloniales. La situation était l'inverse du siège de Vienne par l'Empire Ottoman, où 150 000 assaillants tentaient de briser 17 000 défenseurs. Cette fois, les forces urbaines profitaient d'un armement bien plus développé, avec des bases arrières bien plus solides.

Les zones où les marchés n'existaient pas furent conquises très facilement, et des responsables locaux furent nommés gérants des terres ; celles où des marchés existaient furent mises au pas avec des responsables locaux comme intermédiaires au commerce.

Dans un cas comme dans l'autre, on arrive ainsi à la phase féodale intermédiaire de manière imposée, par en haut. Et les marchés qui se forment sont intégrés à ceux, bien plus puissants, des pays capitalistes coloniaux.

Voilà précisément ce qui a donné naissance aux pays semi-féodaux, semi-coloniaux. Ce ne sont pas seulement des pays restés à la féodalité : on les a ancrés dans la phase intermédiaire, de manière violente, toute en leur empêchant de passer au stade de la monarchie absolue, de l'unification nationale, de la formation d'un État moderne.

C'est ce qui fait dire à Ibrahim Kaypakkaya :

« Comme c'est connu, il y a pour nous différentes solutions pour différentes contradictions.

La contradiction entre l'impérialisme et – non pas notre pays, mais – notre peuple est résolue par la guerre nationale révolutionnaire (la révolution nationale).

La contradiction entre les larges masses populaires et le féodalisme est résolu par la guerre civile révolutionnaire (la révolution démocratique).

Dans les pays semi-coloniaux semi-féodaux, la lutte contre l'impérialisme et la lutte contre le féodalisme, ainsi donc donc la révolution nationale et la révolution démocratique, ne sont pas à séparer l'une de l'autre ; elles sont étroitement liées et inséparables.

Mais, selon les conditions, l'une ou l'autre de ces deux contradictions, en fonction, apparaît au premier plan. Bien que dans les pays semi-coloniaux semi-féodaux ce soit la contradiction entre le féodalisme et les masses populaires qui soit la contradiction principale, lorsque l'impérialisme intervient militairement c'est la contradiction nationale qui vient au premier plan et devient la contradiction principale ; mais dans les deux cas on ne peut pas séparer la résolution de ces deux contradictions.

C'est-à-dire que la résolution des deux contradictions n'est pas « réalisée » par le « socialisme », mais tout d'abord par la « révolution populaire démocratique ». »

Le sens de la révolution démocratique est en effet de former le marché national. Ce marché ne peut pas exister sans la révolution démocratique, car l'impérialisme fait deux choses :

- il façonne la production selon ses besoins, étouffant en même temps la bourgeoisie nationale ;

- il maintient le féodalisme dans les campagnes, forme autoritaire permettant une agriculture gérée par en haut, maintenant les masses dans l'arriération sur le plan démocratique.

Ainsi, renverser les fondements féodaux dans un pays, c'est permettre l'établissement d'une production agricole démocratique, base d'une industrialisation devenue de son côté possible par le rejet de la présence impérialiste.

Tel est le sens de la révolution démocratique dans les pays semi-féodaux, semi-coloniaux.