20 mai 2013

Rabelais, figure averroïste - 3ème partie : une complète remise en cause de la religion

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Parler de Gargantua est un prétexte pour attaquer de manière frontale la religion et ses préjugés, pour se confronter à l'obscurantisme. Nombreuses sont les plus ou moins discrètes allusions aux préjugés, à l'idéologie chrétienne et son obscurantisme...

5.Une question de vocabulaire

Le problème de l'absence de compréhension de l'averroïsme joue bien entendu sur la « traduction » du texte en français moderne. Il est nécessaire ici de montrer un exemple.

Voici ce que dit la version en français moderne, au sujet de Gragantua, qui vient de naître et est déjà assoiffé perpétuellement, ce qui a un sens averroïste :

« s'il arrivait qu'il fût dépité, courroucé, contrarié ou chagrin, s'il trépignait, s'il pleurait, s'il criait, en lui apportant à boire on le rassérénait et, aussitôt, il restait tranquille et joyeux. »

Maintenant, voici la version originale :

« s’il advenoit qu’il feust despit, courroussé, fasché ou marry, s’il trepignoyt, s’il pleuroit, s’il crioit, luy apportant à boyre l’on le remettoit en nature, et soubdain demouroit coy et joyeulx. »

Or, ce n'est pas la même chose. Les derniers mots auraient dû être « traduit » en :

« on le refaisait devenir naturel, et soudain il demeurait silencieux et joyeux. »

Ce qui est exactement la définition du bonheur naturel selon Aristote, dans la contemplation silencieuse, et joyeuse, de la réalité matérielle.

L'expression « refaire devenir naturel » a une portée idéologique dépasant largement un simple « on le rassérénait » (rasséréner signifiant tranquilliser). Gargantua ne devient pas tranquille, il redevient lui-même, conforme à son être naturel, car être naturel il y a.

6.Une offensive contre la religion

L'oeuvre de Rabelais est une attaque ouverte de la religion chrétienne. Dès que possible, il y a une remise en cause des valeurs de l'Eglise.

La religion chrétienne considère ainsi que l'enfantement est douloureux pour la femme en raison du « péché originel. » Ici, on voit la mère de Gargantua reprocher à la douleur au mari, soulignant au passage que c'est le plaisir sexuel qui était recherché en fait à la base.

Il y a un renversement de la doctrine chrétienne :

« Aussi courageuse qu'une brebis! disait-il; débarrassez-vous de celui-ci et fabriquons-en bien vite un autre.

- Ah! dit-elle, vous en parlez à votre aise, vous autres les hommes! De par Dieu, je ferai un bon effort, puisque tel est votre désir, mais plût à Dieu que vous l'eussiez coupé!

- Quoi? dit Grandgousier.

- Ah! dit-elle, vous en avez de bonnes! Vous me comprenez bien.

- Mon membre? dit-il. Parlesan de las cabras! Si bon vous semble, faites apporter un couteau!

- Ah! dit-elle, à Dieu ne plaise! »

Parfois, l'attaque anti-chrétienne est plus flagrante. Expliquant que Gargantua est un géant et que dès sa naissance il réclame à boire, Rabelais dit qu'il faut le croire, car la religion ne dit rien contre ce qu'il raconte, que Dieu aurait pu le faire s'il avait voulu, et que de toutes manières il faut toujours croire ce qui est écrit dans les livres !

Il y a une attaque contre le préjugé de croire naïvement ce qui est écrit, une critique anti-religieuse déjà présente chez Épicure. Il y a une attaque contre l'absurdité de la religion sur le plan matérialiste.

Et il y a une critique ouvertement averroïste. En disant ironiquement que Dieu aurait pu, s'il avait voulu, modifier un individu, il y a une allusion à la thèse averroïste selon laquelle Dieu ne connaît par les particuliers.

Dieu étant, en effet, un système, la réalité matérielle globale, il ne peut pas se pencher sur un simple individu ; il est un moteur, il ne « pense » pas.

Voici ce que dit Rabelais :

« Sitôt qu'il fut né, il ne cria pas comme les autres enfants: "Mie! mie!", mais il s'écriait à haute voix: "A boire! à boire! à boire!" comme s'il avait invité tout le monde à boire, si bien qu'on l'entendit par tout le pays de Busse et de Biberais.

J'ai bien peur que vous ne croyiez pas avec certitude à cette étrange nativité. Si vous n'y croyez pas, je n'en ai cure, mais un homme de bien, un homme de bon sens, croit toujours ce qu'on lui dit et ce qu'il trouve dans les livres.

Est-ce contraire à notre loi et à notre foi, contraire à la raison et aux Saintes Ecritures? Pour ma part, je ne trouve rien d'écrit dans la sainte Bible qui s'oppose à cela. Mais si telle avait été la volonté de Dieu, prétendriez-vous qu'il n'aurait pu le faire?

Ah! de grâce, ne vous emberlificotez jamais l'esprit avec ces vaines pensées, car je vous dis qu'à Dieu rien n'est impossible et que, s'il le voulait, les femmes auraient dorénavant les enfants de la sorte, par l'oreille. »

Enfin, la boisson qui apporte l'ivresse et rend Gargantua naturel est directement opposée à l'eau du baptême :

« Ensuite, pour apaiser l'enfant, on lui donna à boire à tire-larigot, puis il fut porté sur les fonts, où il fut baptisé, comme c'est la coutume des bons chrétiens. »

On a là un exemple très parlant de double vérité. D'un côté, il y a l'averroïsme, de l'autre, pour faire semblant et en fait opposer les deux, le christianisme...

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