30 déc 2014

Noël, une fête de la famille et de la générosité

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Comme nous l'avons vu, Noël est donc une fête de la nature liée au solstice d'hiver. Mais cela n'est pas son seul aspect.

Le fait que Noël soit la fête la plus importante dans la culture des masses de France provient aussi de son autre aspect : Noël est une fête de la générosité et de la famille. Cela est d'ailleurs visible dans toutes les cultures fêtant Noël avec chacune ses propres rites et coutumes.

Cette centralité de la générosité comme cœur de « l'esprit de Noël » renvoie d'ailleurs là aussi à la Nature qui est perçue par les êtres humains comme étant généreuse puisque prodiguant nos moyens de survie.

Ainsi, déjà lors des Saturnales romaines, il était de coutume de donner des grands banquets et tous, des esclaves aux patriciens, faisaient la fête sur un pied d’égalité.

Au Moyen-Âge, le jour de Noël était jour férié et l'occasion de grandes fêtes données par les Seigneurs, fêtes qui étaient l'occasion de grand gâchis. On y mangeait ensemble, écoutait de la musique, regardait des pièces de théâtre, jouait aux cartes, etc. L’Église a tenté de contrer ces festivités au contenu fortement pré-chrétien en lui opposant des moments de même nature dans ses lieux de cultes : distribution publique de soupe, pièces de théâtre ou saynètes autour de la Nativité et de la vie du Christ, etc.

La Réforme s'y est encore plus frontalement opposé : ces festivités étant même totalement interdites pendant un temps par les presbytériens en Écosse ou les puritains en Angleterre (Noël avait même perdu son statut de jour férié) au XVIe et XVIIe siècle.

Avec le développement de la société bourgeoise, et donc des conceptions d'individu et de famille, ces fêtes gigantesques ont peu à peu disparu et la fête de Noël est devenue une fête centrée sur la famille. Le repas de Réveillon devenant alors le temps fort de la fête en France.

Dans la nuit du 24 et la journée du 25 décembre, l’Église catholique organise quatre messes afin de célébrer la Nativité de Jésus Christ, à partir du coucher du Soleil et jusqu'au matin du 25 décembre. Petit à petit la messe la plus importante est devenue la seconde, dite « Messe de la nuit », donnée le soir. Elle est connue usuellement sous le nom de « Messe de minuit » du fait de l'habitude qu'il y avait de la donner vers minuit. Depuis le XIXe siècle, dans la plupart des lieux de cultes catholiques, elle est donnée plus tôt que minuit, mais assez longtemps après le coucher du Soleil et regroupe en fait les quatre messes en une seule.

En France, durant le Moyen-Âge, les gens avait pris l'habitude de manger un repas léger avant la Messe de minuit, dit « Gros Souper », et un repas gras, dit « Réveillon » une fois la Messe de minuit achevée. Cette coutume s'explique en grande partie par le besoin de se réchauffer en revenant de la messe et le besoin d’énergie dû au fait de veiller tardivement.

C'est de cette habitude que provient la coutume typiquement française du « Réveillon de Noël ». Cette coutume se développe puis se généralise durant le XVIIIe et le XIXe siècle, au départ dans les familles bourgeoises des villes puis dans l'ensemble des masses françaises.

Le repas de Réveillon se passe donc en famille au sens le plus large possible. Beaucoup de français prennent des congés durant cette période afin de partir quelques jours chez des proches ou de les recevoir chez eux. C'est souvent un des rares moments où les cousins éloignés se voient durant l'année et où toute une famille est réunie. Ainsi l'économie, comme la Nature, tourne au ralenti durant les fêtes de Noël.

Les gens se retrouvent donc en famille plus ou moins étendue et mangent autour de grandes tablées décorées aux couleurs et symboles de Noël. Le repas de Noël est un repas qui dure longtemps et dont les restes seront mangés dans les jours suivants.

Le repas de Noël est fait de mets considérés comme « luxueux », pour la plupart provenant de l'exploitation de l'animale ; et encore aujourd'hui beaucoup de gens respectent, sans s'en rendre forcément compte, les huit services traditionnels de cette coutume. Souvent les adultes mangent ensemble à une table et les enfants à une autre jouissant ainsi d'un relatif moment de « liberté » entre eux.

Il faut dire que si Noël est une fête de la famille, elle est particulièrement centrée sur les enfants. Ce qui est tout à fait logique puisque Noël étant une fête du solstice d'hiver, c'est une fête de la naissance c'est-à-dire de la vie qui se reproduit.

Les cadeaux offerts à Noël aux enfants sont la pierre angulaire de cet aspect de la fête. À tel point, que dans la plupart des familles françaises, il est dit que le Père Noël passe déposer les cadeaux à minuit, symbole remplaçant la Messe de minuit, les enfants les ouvrant le lendemain matin à leur réveil.

On retrouve ce type de « fête des enfants » dans la plupart des cultures humaines – comme la fête de Pourim chez les juifs, la fête du Yul chez les Vikings, durant les Saturnales romaines des cadeaux étaient aussi offerts aux enfants. En remerciant les enfants « sans raison », ce qui est célébrée c'est la vie pour elle-même.

Avec l'émergence de la famille et de l'individu ont commencé à être pris en compte les enfants en tant que personnes. Le rite de la distribution des cadeaux aux enfants a pris alors de plus en plus d'ampleur à partir du XVIIIe puis s'est généralisé durant le XIXe siècle.

Mais dans la religion catholique, une autre fête des enfants existaient déjà : la Saint-Nicolas. Cette fête commémore le souvenir d'un « saint » très populaire, l'évêque Nicolas de Myre, des débuts du christianisme dans la partie de la Grèce qui est aujourd'hui la Turquie. Il est connu comme ayant été quelqu'un de très bon et juste, jetant des sacs d'or dans la cheminée de son voisin pour qu'il sauve ses filles de la prostitution, innocentant des enfants condamnés à mort à tort, etc. Il serait mort le 6 décembre 343.

Son culte a ensuite été instauré et a été très vite populaire dès le Xe siècle dans les masses européennes. Saint Nicolas est considéré par le catholicisme comme le saint protecteur des enfants, des prisonniers, des avocats et de nombreux corps de métier. La légende a commencé à le décrire comme venant distribuer des cadeaux et des sucreries, accompagné de son âne, aux enfants la nuit de sa fête, le 6 décembre donc.

La Saint-Nicolas était une fête très populaire durant le Moyen-Âge dans les pays slaves, germaniques ainsi qu'aux Pays-Bas, en Belgique et dans le Nord et l'Est de la France. Dans les pays germaniques, du fait du protestantisme rejetant le culte des saints, la Saint-Nicolas a été fortement combattue par la Réforme.

Mais la tradition, très ancrée dans les masses, s'est maintenue aux Pays-Bas de manière très forte, « Sinter Klaas » (Saint Nicolas en frison occidental) devenant un personnage semi-laïc avec tous les atours de Saint Nicolas distribuant des cadeaux aux enfants.

Ce sont des immigrants hollandais qui ont ramené cette tradition aux États-Unis où elle fusionnera avec la fête de Noël et s'enrichira des légendes liées à cette période amenées par les immigrants de Scandinavie. Sinter Klaas deviendra ainsi « Santa Claus » - c'est-à-dire le nom du Père Noël en anglais américain.

En France, pays catholique, la fête de la Saint-Nicolas s'est maintenue en tant que telle. Elle est d'ailleurs toujours fêtée en plus de Noël dans le Nord de la France et en Lorraine. Des représentations de Saint-Nicolas défilent aux côtés des géants lors de carnavals, des bonbons sont distribués aux enfants par des personnes déguisées en Saint Nicolas, des goûters sont organisés par les familles, etc.

L'imagerie française, belge et néerlandaise représentait Saint-Nicolas comme se déplaçant avec un sac chargé de cadeaux accompagné de son âne et de son accolyte le « Père Fouettard » habillé en noir et couvert de suie. Saint Nicolas donnait un cadeau aux enfants ayant été sages et le Père Fouettard donnait un martinet à ceux ne l'ayant pas été (c'est-à-dire qu'il les « corrigeait » pour leur fautes). Ce qui était rare puisque si l'enfant s'amendait pour ses fautes, il était pardonné et recevait un cadeau, à la manière du pécheur pouvant quand même allé au Paradis s'il se repend de ses fautes avant la fin de sa vie dans l'idéologie catholique.

La Saint Nicolas n'était pas une fête centrale dans toute la France, mais son imagerie était connue par les masses. C'est donc logiquement à partir d'elle que va se forger la symbolique exprimant le sens de la pratique du don de cadeaux aux enfants durant la fête de Noël. Il n'y avait en effet aucune explication catholique ou culturellement française à cette pratique émanant du nouveau stade capitaliste de l'organisation humaine. Dans certaines familles il était dit que c'était le « petit Jésus » qui apportait les cadeaux dans la cheminée le soir de Noël, mais cette explication était formellement rejetée par l’Église catholique.

Ainsi va naître le personnage du « Bonhomme de Noël » puis du « Père Noël » à partir de celui du Saint-Nicolas (et du Père Fouettard) du Nord et de l'Est de la France. La première évocation littéraire du « Père Noël » en France date de 1855 sous la plume de George Sand dans le texte Le Père Noël où elle évoque la joie que lui procurait la fête de Noël quand elle était enfant :

Ce que je me rappelle parfaitement, c'est la croyance absolue que j'avais à la descente par le tuyau de la cheminée du petit père Noël, bon vieillard à barbe blanche qui, à l'heure de minuit, devait venir déposer dans mon petit soulier un cadeau que j'y trouverais à mon réveil. Minuit ! cette heure fantastique que les enfants ne connaissent point, et qu'on leur montre comme le terme impossible de leur veillée !

La symbolique autour du Père Noël s'est développée dans les masses durant tout le XIXe et la première moitié du XXe siècle, puis a littéralement explosé au sortir de la Seconde Guerre Mondiale avec la popularisation de la représentation américaine du personnage. Le Père Noël et le sapin de Noël se sont généralisés en quelques années dans tous les foyers français, stabilisant et déchristianisant partiellement alors la symbolique autour de la fête de Noël.

L'épiscopat tenta de lutter avec une violence symbolique très élevée contre la généralisation du Père Noël considéré comme relevant du « paganisme ». Ainsi, le 23 décembre 1951, une représentation de 2m50 du Père Noël fut pendue sur le parvis de la Cathédrale de Dijon puis brûlée devant un parterre de fidèles. Le communiqué publié à la suite de cette action par les prêtres l'ayant mené dit alors :

Représentant tous les foyers chrétiens de la paroisse désireux de lutter contre le mensonge, 250 enfants, groupés devant la porte principale de la cathédrale de Dijon, ont brûlé le Père Noël. Il ne s’agissait pas d’une attraction, mais d’un geste symbolique. Le Père Noël a été sacrifié en holocauste. À la vérité, le mensonge ne peut éveiller le sentiment religieux chez l’enfant et n’est en aucune façon une méthode d’éducation. Que d’autres disent et écrivent ce qu’ils veulent et fassent du Père Noël le contrepoids du Père Fouettard.

Pour nous, chrétiens, la fête de Noël doit rester la fête anniversaire de la naissance du Sauveur.

L'archevêque de Toulouse apporta son soutien à l'action et déclara :

Ne parlez pas du Père Noël pour la bonne raison qu'il n'a jamais existé. Ne parlez pas du Père Noël, car le Père Noël est une invention dont se servent les habiles pour enlever tout caractère religieux à la fête de Noël. Mettez les cadeaux dans les souliers de vos enfants, mais ne leur dites pas ce mensonge que le Petit Jésus descend dans les cheminées pour les apporter. Ce n'est pas vrai. Ce qu'il faut faire, c'est donner de la joie autour de vous, car le Sauveur est né.

Cette action fût très mal perçue par la population, y compris une partie non-négligeable des catholiques. Un débat s'engagea même chez les intellectuels entre pro et anti Père Noël. En réalité, présenter le Père Noël comme un « produit d'importation » venant des États-Unis est tout à fait faux. Une pratique culturelle comme celle-ci ne peut s'imposer aussi rapidement sans reposer sur des bases culturelles déjà fortement présentes dans le pays. Et comme nous l'avons vu, le Père Noël est en fait un symbole de Noël né et se répandant dans la culture des masses françaises depuis le XVIIIe siècle. Le personnage de Santa Claus porté par la culture américaine lui a juste permis de se formaliser et de s'imposer définitivement dans la deuxième moitié du XXe siècle.

Le Père Noël n'est ni un dieu, ni une émanation d'un dieu. Le Père Noël a pour vocation d'apprendre aux enfants à ne pas croire aux forces surnaturelles, puisque sa croyance a pour but de s'arrêter à un moment de l'enfance. Cet arrêt de la croyance dans l'existence du Père Noël est d'ailleurs une étape importante dans la vie des enfants les amenant progressivement vers une vision rationnelle du monde et leur permettant de placer les valeurs que portent le Père Noël non pas dans une force surnaturelle mais comme émanant du monde matériel.

En fait le Père Noël représente dans la culture française une réalité universelle : les masses sont généreuses.

En effet, le Père Noël en masquant le fait que ce sont les parents qui offrent les cadeaux aux enfants enlève à cet acte le fait d'avoir une raison particulière : la Nature n'a pas besoin de raison pour être généreuse, elle l'est par nature !

Ceci est très visible dans le fait quel'évocation des cadeaux comme conséquence de la « sagesse » des enfants est de moins en moins évoquée. La notion de cause à effet disparaît progressivement.

Le Père Noël est en fait la symbolisation française contemporaine du principe de générosité. Et ses cadeaux en sont l'émanation concrète. La figure du Père Noël amène donc la notion de générosité à un autre niveau de généralisation. Et encore une fois cela transparaît dans les pratiques contemporaines de la fête de Noël. Si avant les cadeaux n'étaient qu'à destinationsdes enfants, il est maintenant courant et considéré comme normal dans les masses françaises que les adultes continuent à recevoir et se faire des cadeaux tout au long de leur vie durant la fête de Noël.

Le Père Noël en tant qu'émanation culturelle tardive sous le capitalisme, préfigure en fait ce que deviendront les fêtes de Noël et du solstice d'hiver sous le socialisme.

Les grandes questions: