11 nov 2013

La démagogie identitaire en Bretagne masque les intérêts bourgeois

Submitted by Anonyme (non vérifié)

L'agitation menée par le mouvement des bonnets rouges reflète et fait écho à une dynamique identitaire qui s'appuie en Bretagne autour des mythes : l'indépendance, l'autonomie, etc.

Il s'agit d'outils régionalistes pour faire pression d'un côté, et de l'autre d'une tentative idéaliste ouvertement fasciste. Dans tous les cas, le mouvement identitaire breton met en avant un « pays réel » qu'il faudrait défendre à la place de la lutte des classes au niveau de la France entière.

On trouve ainsi d'un côté la gauche indépendantiste, voire autonomiste, qui veut plus ou moins séparer la Bretagne de la France, mais qui n'est pas en mesure de s'exprimer clairement sur la question nationale bretonne, qui est pour elle simplement un argument, un mythe, afin de masquer des intérêts bourgeois et petit-bourgeois derrière une critique de « Paris ».

A côté de cette gauche il y a une extrême-droite bretonne, nationaliste et raciste (avec des structures comme ADSAV, Jeune Bretagne, etc.). Les éléments les plus radicaux de ce courant sont issus de l'affirmation d'une alliance avec les nazis contre la France dans les années 1930 et 1940.

Une de ces composantes s'exprimant sur le site breizatao.com (« la Bretagne toujours ») est aujourd'hui solidaire des nazis de l'Aube Dorée contre la juste autodéfense des antifascistes grecs. Des forces prêtes à se battre et à se soulever violemment s'expriment autour d'elle, notamment ces derniers jours par la destruction systématique de radars routiers partout en Bretagne.

En 10 jours, pas moins de 44 radars ont été vandalisés, et s'il ne s'agit pas forcément de fascistes ayant réalisé cela, cela rentre dans leur stratégie. Il a également été remarqué en ce sens que le symbole du cochon employé contre la fermeture des abattoirs a directement été repris sur celui utilisé par les identitaires...

Il y a également en Bretagne une gauche et une droite régionaliste (non nationaliste) composées surtout d'entrepreneurs capitalistes se servant de la Bretagne comme argument commercial, sans forcer le trait en terme d'autonomie ou d'indépendance.

Sa principale figure actuellement est Christian Troadec, Maire de Carhaix et propriétaire de la marque de bière « bretonne » Coreff, qui veut « sortir de ce conflit par un nouveau projet pour la Bretagne, une vraie régionalisation, sur le modèle des länders allemands. »

Dans tout les cas, il est mis en avant une communauté bretonne qui serait en elle-même sociale, garante d'une certaine solidarité. Cette communauté serait « réelle » en opposition avec le pouvoir de Paris qui est considéré comme abstrait et administratif.

Le problème est exprimé comme une question d'identité du peuple breton, qui ne serait pas compatible avec le centralisme « parisien». En somme, les identitaires disent que « Paris » traite la Bretagne comme cela parce que Paris est « parisienne » et que la Bretagne est « bretonne ».

C'est une affirmation « sociale » d'un pays qui serait « réel » qui fait directement écho au nationalisme de Charles Maurras :

« L'affirmation du « pays réel » par Charles Maurras est l'équivalent du « mythe » chez Georges Sorel, c'est une tentative de développer une vision du monde capable de se confronter au matérialisme dialectique en proposant un idéal communautaire d'apparence « anti-capitaliste ».

Le nationalisme se constitue alors comme favorable à la décentralisation, en opposition à la République. Il entend unifier les forces centrifuges autour de la République, au nom du refus de la démocratie. »
La « belle époque » de l'élan capitaliste - 10ème partie : Les nationalistes sociaux Maurice Barrès et Charles Maurras contre l'esprit de Georges Eugène Haussmann

Le collaborationniste breton Morvan Marchal, figure historique du nationalisme breton, créateur du Gwenn ha Du (le « drapeau breton») au début des années 1920, était justement à l'origine un partisan du nationalisme de Maurras. En 1931, alors devenu nationaliste breton, il expliquait à propos de la France dans la revue La Bretagne fédérale :

« La vérité, c’est que nos maîtres de l’heure nous arrachent morceau par morceau le sentiment de ce que nous sommes afin de nous remplir d’un ardent amour pour une prétendue patrie, patrie marâtre déjà adoptée par ceux qui ignorent leur mère patrie... Le sang qu’on nous a fait verser ne témoigne rien, si ce n’est qu’on nous a déjà fait faire fausse route, que nous avons peut-être renié une nationalité effective pour adopter une nationalité fictive à laquelle notre sang, notre race sont complètement étrangères. »

De manière moins radicale mais plus massive, cette idée d'un peuple breton « enraciné», identitaire, est aujourd'hui exprimé par la chanteuse Nolwen Leroy.

Elle met en avant une mythologie celtique largement irrationnelle à propos de ses « racines ».

Cela s'inscrit en partie dans la continuité du groupe Tri Yann ou bien du chanteur populaire Gilles Servat. La différence étant que ces derniers s'inscrivaient ouvertement dans un mouvement progressiste et antiraciste.

Aujourd'hui la gauche indépendantiste bretonne rejette aussi le racisme.

Mais son discours est construit autour de cette même affirmation identitaire bretonne. Politiquement, cela s'exprime par un rejet quasi systématique du « jacobinisme ». Le jacobinisme est présenté comme une idéologie qui serait parisienne.

Les matérialistes par contre considèrent que le jacobinisme est la forme historique sous laquelle s'est affirmé la révolution démocratique bourgeoise en France. Lénine a expliqué que:

« Les Jacobins ont donné à la France les meilleurs exemples de révolution démocratique et de riposte à la coalition des monarques contre la république. »

Ce n'est pas une expression « parisienne » mais c'est une expression de la bourgeoisie française affirmant la nation et menant l'assaut contre le féodalisme. Le rejet du « jacobinisme » par des éléments identitaires petit-bourgeois aujourd'hui est en substance un rejet de la dictature du prolétariat : c'est un rejet de la méthode centralisée et dure pour affirmer le socialisme et réprimer la réaction.

Le rapport entre Paris et les différentes régions françaises aujourd'hui est l'expression de la contradiction entre la ville et la campagne dans la forme particulière, française, de l'organisation du capitalisme sur le territoire national. Il y a donc les exploitations porcines en Bretagne, le foie gras dans le Gers, le Languedoc-Roussillon comme première région viticole, l'industrie chimique dans le bassin industriel rhodanien, la sidérurgie en Lorraine, etc.

Il y a une organisation nationale du capitalisme, qui évolue en permanence. La situation de la Bretagne est produite par cette structuration du capitalisme français. Mais elle ne forme pas une colonie.

Les masses de Bretagne sont appauvries du fait de la crise générale du capitalisme s'exprimant en France, comme le sont les masses du Nord-Pas-de-Calais depuis de nombreuses années ou bien les masses du Languedoc-Roussillon où 19 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté (contre 13,5% dans toute la France) selon un rapport du Secours Catholique en 2012.

La Bretagne ne correspond pas à un pays semi-colonial semi-féodal tel que le marxisme-léninisme-maoisme permet de le comprendre. La Bretagne n'est pas maintenue dans la féodalisme par une bourgeoisie compradore-bureaucratique qui écraserai une bourgeoisie nationale bretonne.

Il y a par contre une bourgeoisie en Bretagne qui se sert de la question bretonne pour défendre un productivisme agro-industriel agressif.

Alain Glon, le fondateur du groupe Glon (1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires et 3700 salariés) affirme par exemple auprès des milieux indépendantistes que « le problème de la Bretagne, c’est la France ! » et qu'il soutient le Parti Breton (une parti indépendantiste social-libéral).

Mais dans la presse capitaliste pour ainsi dire française, en l'occurrence dans Le journal des entreprises, il explique qu'il faut se servir de la Bretagne comme d'une « zone franche agroalimentaire », dans le cadre justement du capitalisme français :

« La Bretagne est un cas particulier... C'est elle qui fabrique le plus de produits élaborés en France, voire en Europe. La France aurait dû prendre la Bretagne comme terrain d'expérimentation. Mais jamais nos dirigeants n'ont accepté de différences... Or la France, pour s'en tirer dans la compétition mondiale, doit valoriser les talents des régions. On ne peut pas appliquer une règle uniforme aux Bretons et aux Corses ! »

Il est d’ailleurs caractéristique qu'une figure du capitalisme monopoliste français comme Patrick Le Lay puisse se déclarer indépendantiste breton :

« Je suis profondément indépendantiste. Je pense que la France est un pays qui ne fonctionne pas. Dans le cadre européen, je pense que nous devons aller vers des régions et pas des nations. La nation française est un concept qui est faux, c'est un mythe auquel se raccroche un pouvoir centralisé. C'est aux hommes et aux femmes de prendre conscience qu'ils vivent dans des schémas qui ne sont pas les bons, que le système jacobin centralisateur est un système dépassé. »

Patrick Le Lay, après avoir été un cadre du monopole français Bouygues, a été directeur général de TF1 (il avait expliqué vendre du « temps de cerveau disponible » pour Coca-Cola) ainsi que président du club de football le Stade Rennais FC. C'est également un franc-maçon membre de la Grande Loge nationale de France.

La bourgeoisie est présente partout, comme on le voit. Et c'est pourquoi les identitaires et les nationalistes dits de gauche n'accordent pas d'importance à la question de la bourgeoisie, qui est pourtant primordiale pour comprendre la question nationale. Ils n'expliquent pas la question du développement de la nation bretonne. Pourtant il faudrait, il faudra, étudier historiquement en profondeur la question du développement et du non développement national breton.

Ainsi, si dans les années 1970, une partie des masses en Bretagne pouvaient affirmer de manière progressiste la nécessité de vouloir « vivre et travailler au pays », c'était une question de classe. Ce n'était pas une affirmation identitaire mais une affirmation prolétarienne face au chaos économique du capitalisme. 

Les identitaires par contre affirment la nécessité de la collaboration de classe entre les masses prolétarienne et les capitalistes et agro-capitalistes qui sont présentés comme attachés au « pays réel » comme ce fut le cas à Quimper le 2 Novembre. 

Le mouvement identitaire breton s'affirme indépendant, mais en réalité il participe pleinement, directement ou non, au développement générale du fascisme en France.

Cela est très bien illustré par cette photo qui a énormément circulé sur les réseaux Facebook et Twitter : 3 jeunes hommes faisant le geste de la « quenelle » du nationaliste révolutionnaire français Dieudonné devant un panneau Quimper/Kemper, l'un d'entre eux portant un T.Shirt de la « manif pour tous », le soir de la manifestation des bonnet rouges .

Les identitaires bretons de gauche soutiennent aujourd'hui le rassemblement de la classe ouvrière derrière la bourgeoisie en Bretagne, par opportunisme. Mais c'est Marine Le Pen qui profitera le plus de cela au moment venu. Le fascisme français, expression de l'impérialisme français, sera le plus à même de mobiliser les masses désormais prêtes à toutes les alliances pour sortir de la crise.

On retrouve ici les arguments du fascisme en France, qui considère que la nation est composée de régions identitaires, fondées sur l'agriculture ; c'est le discours de Pétain, de Maurras, des courants du prétendu « socialisme français », etc.

Comprendre ce processus en cours est par conséquent capital pour les progressistes et les antifascistes car la réaction avance dans la guerre de positions.

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