La société française est extrêmement hiérarchisée, avec une véritable pyramide où chaque couche sociale devient une caste avec ses manières, son style, sa mentalité. Le médecin, l'avocat, le professeur, le chercheur : mêmes attitudes hautaines, différentes approches pourtant, le fond restant le même, à savoir ce mépris de classe.

On ne dira jamais assez à quel point le vote Front National est aussi l'expression d'un certain ressentiment face aux notables. Sans vouloir, pourtant, les renverser, les supprimer : l'idée est de les renouveler, de leur faire peur, en montrant qu'ils pourraient être remplacés.

Cette conception fasciste ne correspond pas à notre époque et la manière avec laquelle France 3 a supprimé l'émission hebdomadaire de « 30 millions d'amis » le prouve encore une fois.

Cette émission est résolument populaire. Elle a d'ailleurs été diffusée de manière ininterrompue, de manière hebdomadaire, sur TF1 de 1976 à 2003, puis jusqu'en 2006 sur France 2, avant de passer sur France 3.

Cette chaîne n'étant « publique » qu'en apparence – comme l'ensemble des institutions qui ne servent que les monopoles – elle obéit à des critères qui sont ceux du mode de production capitaliste.

Voici justement la retranscription de l'opposition frontale entre Jean-Marc Morandini, qui se fait l'avocat du peuple, et la méprisante, et immensément méprisable directrice exécutive de France 3, Dana Hastier.

« - On a eu Réha Hutin, de 30 millions d'amis, hier, avant-hier au téléphone, vous aviez dit que vous ne lui répondiez pas.

- Mais si moi je lui ai écrit pour lui dire que on arrêtait trente millions d'amis en juin.

- Vous arrêtez totalement trente millions d'amis.

- Oui.

- Ah donc vous lui avez répondu.

- Oui, mais bien sûr.

- Mais vous lui avez répondu hier ?

- Ah mais non pas du tout.

- D'accord, donc l'émission s'arrête.

- Oui. J'adore les gens qui en permanence racontent des histoires. On on je peux enfin j'ai pas à vous le prouver mais je peux vous dire qu'on est en échange de courrier. Moi je lui ai écrit en plus avec le juridique. Donc euh elle sait très bien que l'émission s'arrête en juin.

- Trente millions d'amis s'arrête en juin. Trop popu.

- Euuuh non euuuuh une émission qui a quarante ans c'est bon non ?

- Non, pourquoi ?

- Ben écoutez moi je pense que c'est bon. L'animalier…

- On ne juge pas une émission à sa durée.

- Euuuuh non mais à son reeeuu à sa capacité de se renouveler. Voilà.

- Et elle ne se renouvelle pas.

- Elle ne se renouvelle pas. Eglantine Eméyé est là sur Midis en France tous les jours pour parler des animaux. Merci d'avoir invité notre ami Chanee pour le Messager. Ca n'a malheureusement pas marché.

[L'émission Messager vient d'être mise en place et se veut consacrée aux animaux ; mercredi l'émission était consacrée au combat du français surnommé Chanee en Indonésie en défense des gibbons, ainsi que contre l'huile de palme. Elle a attiré 1,6 million de téléspectateurs, contre 2,8 millions pour Le chapeau de Mitterrand, 3,4 millions pour Recherche appartement ou maison, et 5 millions pour Les experts.]

- Mais c'était bien.

- Mais c'était bien et on va continuer.

- Merci Dana Hastier. »

Il y a six mois, la même Dana Hastier – passée par Sciences-Po Paris pour rejoindre ensuite le CNC, Canal+, l'INA, Arte – expliquait que « Pour gagner 0.1 point de part de marché, certains sont prêts à tout, pas moi ».

On reconnaît là l'hypocrisie. L’État prétend servir le peuple en général en apparence, mais en réalité il le méprise. Il sert les monopoles. L'association « 30 millions d'amis » l'a accepté, par ailleurs. Il faut savoir que le magazine du même nom et la marque elle-même sur papier et internet avaient été vendus au groupe de presse Français Aniwa (dont le principal actionnaire est Royal Canin), puis en 2005 à Buena Média Plus (Petmarket, Lignées, Pharmanimal, Vet Focus, etc.).

Vendre le magazine et la marque (sur papier et internet) aux monopoles, c'était vendre la vie quotidienne aux monopoles. Là, on a l'aboutissement de cette tendance avec France 3 supprimant sa prétention à assumer une question essentielle de la vie quotidienne.

La vie quotidienne des masses en France est largement marquée par la présence des animaux qu'on qualifie « de compagnie » – en réalité, les chats et les chiens accompagnent l'humanité depuis plusieurs milliers d'années.

Quand on parle d'humanité, on ne peut plus d'ailleurs séparer celle-ci des chiens et des chats. Leur coopération s'est développée de manière synthétique, on n'imagine plus une humanité sans chiens et chats.

Les monopoles le savent et développent massivement leur industrie dans ce domaine. L'émission « 30 millions d'amis » a été à la fois une structure idéologique et culturelle accompagnant cela et en même temps contre cette tendance à la commercialisation des « animaux de compagnie ».

Il y a ainsi une dimension profondément dialectique, témoignant de l'emprisonnement des masses dans une double situation contradictoire : d'un côté, la compassion et l'admiration pour les animaux, de l'autre la soumission à l'industrie toujours plus puissante intégrant les animaux, afin de tenter de s'opposer à la chute tendancielle du taux de profit.

La fondation « 30 millions d'amis » est passé totalement à côté de cette problématique, se cantonnant aux animaux de compagnie avec un esprit digne de la France des années 1960.

Cela ne pouvait qu'être intenable en ce début du XXIe siècle, avec une industrie utilisant des animaux qui n'a jamais été aussi puissante, des élevages de chiens et de chats puisant massivement dans le capitalisme le plus barbare comme dans les pays de l'Est européen, au milieu d'îlots de véganisme s'opposant de différentes manières, des variantes petites-bourgeoises jusqu'à une réelle confrontation militante et clandestine avec le capitalisme.

Le peuple ne s'est pas saisi de cette réalité – pas encore. Il le fera inéluctablement, car c'est une dimension essentielle de la lutte des classes. On ne fait d'ailleurs pas de révolution socialiste avec des masses acceptant d'abandonner chiens et chats, par dédain et souci « pratique ». C'est une question de morale et la révolution socialiste présuppose une nouvelle morale. Une nouvelle morale où l'on voit mal quelqu'un faire le choix d'être boucher.