14 déc 2014

Center Parcs des Chambaran en Isère, la loi sur l'eau encore une fois agressée

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Depuis 2008 il y a le projet d'installer un nouveau centre de vacances Center Parcs sur le plateau de Chambaran dans le département de l'Isère. Cela consiste en une petite ville touristique de 5000 habitants au cœur de la forêt. Les travaux de déboisement ont immédiatement commencé après les autorisations de la préfecture en octobre 2014 ; ils sont depuis suspendus du fait de la mobilisation, relativement peu massive par ailleurs.

Ce qui s'est passé avec les autorisations de la préfecture est très significatif de l'état de déliquescence dans lequel sombre la société bourgeoise. Il ne s'agit ni plus ni moins que d'un coup de force anti-démocratique, technocratique, assumant de saccager la nature au service d'un grand groupe capitaliste (Pierre & Vacances) et d'une partie de la bourgeoisie locale espérant profiter de cette nouvelle infrastructure.

La loi sur l'eau, maigre édifice juridique devant mettre des limites à la destruction des zones humides et la perturbations des cours d'eau, a été totalement dynamitée, ainsi que les consultations publiques et un certain nombre d'autres éléments relevant de la protection de l’environnement.

Le centre de vacances prévoit d’installer au moins un millier de « cottages », en plus d'un lieu central regroupant les activités dont une bulle maintenue à 29°C avec un environnement tropical, le tout sur une surface de 202 hectares, soit la superficie de l’État de Monaco.

Voici comment l'autorité environnementale de l'Isère (organisme dépendant du ministère) présentait le site dans un avis du 16 mars 2010 relatif à la demande du permis de construire (qui avait été accordé, puis accordé à nouveau après avoir été annulé devant les tribunaux) :

«Le site est sensible sur le plan environnemental, avec la présence d’une ZNIEFF [zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique, ndlr] de type 2, « les Chambaran », de zones humides, de corridors écologiques et de la proximité d’une ZNIEFF de type 1 et d’un site Natura 2000 « Etangs, landes, vallon tourbeux humides et ruisseaux à écrevisses de Chambarran ». Le site du projet est par ailleurs en tête de bassin versant avec des cours d’eau à enjeux piscicoles et hydrobiologiques élevés [...] et des enjeux de qualité associés. La faiblesse des débits d’étiage en tête de bassin versant rend également tous les cours d’eau concernés sensibles aux pollutions diverses, même faibles. Le site recouvre partiellement un aquifère de plusieurs centaines de km², connu sous le nom de «molasse du Miocène», identifié dans le SDAGE Rhône-Méditerranée comme à forte valeur patrimoniale.»

Autrement dit, il est reconnu de manière officielle par l'État français, et ce à de nombreux égards, que les Chambaran forment un lieu important d'un point de vue écologique. Cela devrait être suffisant pour sanctuariser un tel endroit, comme de nombreux autres partout en France. Mais ce n'est pas le cas, une entreprise ou une collectivité peut donc prétendre y construire ses infrastructures.

Pour autant, elles ne peuvent pas faire ce qu'elles souhaitent et il existe en principe un certain nombre de processus démocratiques devant encadrer cela, autoriser ou non les constructions, donner certaines limites, etc.

La loi sur l'eau est sur le plan juridique ce qu'il y a de plus important à cet égard. Comme nous l'expliquions à propos de Notre-Dame-des-Landes, elle est issue d'un début de compréhension, bien que largement limitée et par certains aspects erronée, de l'importance des zones humides et de l'organisation des systèmes hydrauliques au sein de la biosphère.

Cette loi se présente en fait de deux manières. D'un côté il y la loi sur l'eau de 1992, prolongement de celle de 1964, faisant officiellement de l'eau le « patrimoine commun de la Nation ». C'est de là que sont issus les SDAGE et SAGE, c'est-à-dire les schémas d'aménagements à grande échelle pour tout ce qui concerne les eaux en France (il y a six bassins, organisés autour des grands fleuves, sauf pour le bassin Artois-Picardie).

D'autre part, il y a la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) du 30 septembre 2006, transposition de la Directive Cadre Européenne sur l'Eau (DCE), avec des objectifs plus « généraux » concernant la qualité des eaux.

La loi sur l'eau a deux aspects. Tout en étant un outil administratif organisant simplement la gestion de l'eau en tant que « ressource », elle porte aussi en elle un contenu écologique important, de part le fait que ses applications aboutissent nécessairement à ce que cette « ressource » doit être protégée et envisagée de manière globale.

Seulement cela est antagonique avec les nécessités même du mode de production capitaliste qui a besoin de toujours plus d'espaces et de ressources pour se maintenir, sans aucune vision à long terme. Il y a ainsi une pression permanente visant à contourner la loi sur l'eau ; les exemples locaux sont innombrables, cela concerne presque chaque municipalité ou collectivité territoriale à un moment ou un autre.

Dans le cas du Center Parcs des Chambaran, c'est le SDAGE Rhône Méditerranée qui prévaut. De manière général, il y est question de l’importance des zones humides et de leur préservation. En théorie, d'un point de vue strictement juridique, rien qui perturberait une ou des zones humides ne devrait être possible.

En pratique il existe pourtant une option (prévue par le SDAGE) pour les capitalistes afin de contourner cela : le mécanisme de la compensation. Nous avons déjà expliqué (à propos de Notre-Dame-des-Landes) en quoi cela consiste et en quoi l'idée même de compensation est une insulte à ce qu'est la biosphère.

Toujours est-il que le mécanisme est utilisé. Sauf qu'en pratique, cela n'est pas respecté. Comme le prévoit la réglementation, une enquête publique concernant précisément la loi sur l'eau a été menée avant le lancement du chantier. Les conclusions de cette enquête sont claires :

« A l’examen de toutes les observations, tant écrites qu’orales, du public, comme de toutes les personnes auditionnées, de l’étude approfondie du dossier et de tous les documents en sa possession, de l’analyse détaillée des réponses du maître d’ouvrage, ainsi que des avis éclairés de son expert, la commission émet unanimement un avis défavorable au projet présenté au titre de «la loi sur l’eau».»

En ce qui concerne la compensation des zones humides, il est expliqué de manière précise comment l'évaluation de la destruction n'est pas faite correctement.

Il est également expliqué quelque chose de très important : non seulement les compensations prévues n'équivalent pas quantitativement aux destructions, mais en plus elle ne sont même pas mises en place par le groupe Pierre & Vacances lui-même. Les terrains sont souvent très éloignés du plateau de Chambaran et surtout :

« il s’agit tous de terrains publics, gérés par l’ONF, pour une compensation au bénéfice d’un projet privé, ce qui a d’ailleurs préoccupé les préfets de l’Ardèche et de la Savoie. »

Cela n'est pas tout, il est même expliqué que :

« un grand nombre de sites proposés sont des sites Natura 2000 »

et qu'ils sont donc par définition des sites « considérés comme en bon état écologique », que de toute façon l’État français a déjà le devoir de maintenir « en bon état de conservation », Center Parcs ou pas.

D'un point de vue démocratique le scandale est immense, d'autant plus que l'enquête détaille un nombre important d'autres éléments montrant que le groupe Pierre & Vacances se moque outrageusement des réglementations concernant l’environnement et les espèces animales et sous-évalue volontairement, et de manière grossière, les destructions.

Le Préfet de l'Isère a malgré tout autorisé les travaux le 3 octobre 2014, faisant fi des conclusions de l'enquête publique, qui n'émet en effet qu'un avis « consultatif ». Une large campagne d'intimidation des masses populaires a accompagné cette décision anti-démocratique.

Ainsi il est prétendu dans un article important publié dans le magazine du Conseil Général de l'Isère de novembre 2014 que toutes les procédures administratives légales ont été respectées, alors que c'est le fondement même de la loi sur l'eau qui est contourné, agressé, piétiné.

Quel mépris des masses ne faut il pas avoir pour affirmer que les « points cruciaux soulevés par la commission d’enquête du volet “loi sur l’eau” [...] ont tous été pris en compte par Pierre & Vacances qui a adapté son projet ».

Comment prétendre qu'en l'espaces de deux mois le groupe Pierre & Vacances aurait pu mettre en place ce qu'il n'a pas fait durant les sept dernières années ?
Le Préfet lui-même avance exactement les même arguments quant à la légalité du projet. En effet, les recours juridiques des opposants ont tous échoué, et il semble assez probable vu le maigre rapport de force que la nouvelle décision du Tribunal Administratif sera en faveur du projet (l'audience a été reportée au 18 décembre 2014).

L'opposition sur le plan juridique est un combat qui doit être mené, c'est indispensable dans le cadre d'une lutte démocratique, ici en l’occurrence pour la défense de la loi sur l'eau. Mais il apparaît évident que cela reste et restera vain sans une mobilisation démocratique de grande ampleur.

L’État français dispose d'un nombre particulièrement important de surcouches administratives, techniques, opaques et éloignées des masses, servant d'autant de paratonnerres anti-démocratiques.

Aussi longtemps que les masses seront éparpillées, passives et en fait absolument soumises par rapport aux projets des groupes capitalistes, des manipulations anti-démocratiques aussi importantes que ce contournement de la loi sur l'eau pour le Center Parcs des Chambaran pourront être menées.

Pour autant, il est nécessaire de comprendre que cela ne consiste pas simplement en une question juridique, de respect ou non de la loi. Ce qu'il y a en arrière-plan de cela, c'est la contradiction ville-campagne. D'un côté les masses sont « attirées » par la nature, mais elles sont terriblement aliénées par le mode de production capitaliste qui, de l'autre côté, tend à transformer chaque besoin humain, à soumettre chaque réalité, aux nécessité de la reproduction capitaliste.

Les Center Parcs sont toujours implantés au milieu d'une forêt, c'est le principe. Plusieurs centaines de petites habitations modernes sont alors disséminées dans les bois, les voitures y sont interdites et il y a au centre des commerces et des activités. La particularité des Center Parcs ce sont leurs immenses dômes, c'est-à-dire une bulle maintenue à 29°C dans laquelle est reproduite une atmosphère tropicale, l'attraction centrale étant des jeux aquatiques. Cela en fait des lieux très populaires.

Il est naturel d'aimer l'eau, il l'est encore plus d'aimer l'humidité associée à la chaleur. Comme l'a exprimé la grande scientifique Lynn Margulis, elle qui a immensément apporté à la connaissance sur la biosphère, « nous sommes des primates et les primates sont des animaux tropicaux ». Pour elle, il est évident que :

« En fait, avec le chauffage au fioul, les philodendrons et les chlorophytes, les douches et les bains de vapeur, l’environnement réel de l'humanité est ce qu'il a toujours été : la savane africaine. »

Cela peut paraître anecdotique mais cela est au cœur de la question. Il est impossible d'ignorer cet aspect essentiel de la contraction ville-campagne. L'enjeu pour les masses est alors de se libérer de la tutelle des groupes capitalistes pour assumer réellement le besoin naturel de chaleur et d'humidité sans, paradoxalement, participer à la destruction des zones humides.

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