19 nov 2015

Les attentats à Paris et la position de l'Etat islamique sur les migrants

Submitted by Anonyme (non vérifié)

C'est l'un des aspects les plus importants pour l’État Islamique, et l'un des plus difficiles : l'immigration. L’État Islamique se présente comme le « califat », et partant de là le seul pays réellement musulman, le « Dâr ul-islam ».

Quand un homme émigre vers le « califat », il prête allégeance à un chef de guerre, il vit dans l'acceptation de toutes les exigences juridiques de la Charia. C'est à ce titre qu'il est un « bon musulman », inséré dans son clan.

Une femme émigrant vers le « califat » est pareillement prise en mains, mais sa vie consiste alors à tenir le foyer, en se mariant selon les desiderata d'un clan. Naturellement, pour que cela soit motivant, il y a un discours romantique construit autour de cela : on se marie à un homme qu'on ne connaît pas, mais qui est honnête, un combattant, etc.

Tout cela apparaît comme une image d'Épinal, une construction unilatérale visant à intercepter des esprits bornés intellectuellement et épris d'une approche réfutant la complexité, surtout dans les pays capitalistes.

Cependant, il est évident que ce projet féodal exprimant un romantisme outrancier pour l'époque de Mahomet rentre en contradiction absolue avec l'émigration massive qui existe depuis la Syrie. Les gens vont, pour ainsi dire, dans le mauvais sens. Ils sont censés aller au « califat », et là on voit qu'il y a des départs de la zone géographique du « califat » ou proche d'elle.

C'est un problème très important sur le plan de la crédibilité du « califat ». C'est obligatoirement une des grandes motivations de l’État Islamique à frapper Paris.

C'est aussi la raison expliquant qu'un passeport syrien ait été retrouvé à la suite de l'attentat. S'il était faux, les empreintes d'un des terroristes correspondaient en tout cas à celles données en Grèce lors d'une opération de recensement des migrants.

L’État Islamique entend, par cette opération de communication, montré qu'il peut utiliser les flux de migrants et de réfugiés. Il s'agissait pour l’État Islamique de provoquer dans les opinions publiques européennes une inquiétude générale, alors que les principaux responsables économiques bourgeois appellent à la grande ouverture aux réfugiés (le patron du MEDEF, celui d'Airbus qui demande même l'annulation des salaires minimums à cette occasion, Christine Lagarde en tant que responsable du Fonds Monétaire International, etc.).

C'est un point important qui montre que la migration depuis la Syrie pose un lourd problème. D'ailleurs, lors de la seconde partie du mois de novembre, l’État Islamique a diffusé une importante série de vidéos dénonçant les départs vers l'Europe. Les arguments récurrents étaient que les Européens chrétiens forceraient à ce que les gens abandonnent l'Islam, ou en tout cas leurs enfants.

Ces vidéos s'adressent de manière systématique aux migrants ou aux personnes en passe de l'être ; leurs sont opposées des interviews de gens ayant voyagé pour rejoindre le « califat ». Il n'y a pas de dénonciation des migrants, mais seulement des conseils et des avertissements inquiets, sur les risques culturels et également physiques lors du voyage, le tout s'opposant à la sécurité qui serait proposée et garantie par le « califat ». 

Or, dans la logique des choses, l’État Islamique devrait pratiquer la dénonciation. Quitter le territoire du « califat » ou même ne pas le rejoindre fait, dans l'idéologie de l’État Islamique, de toute personne pratiquement un apostat.

Le fait de ne pas dénoncer les départs, mais de tenter de convaincre les gens ne de pas partir, correspond à deux soucis : tout d'abord, les gens quittant la Syrie sont les couches sociales urbanisées, souvent diplômées, dont le besoin est vital pour le « califat » en termes d'intendance et de gestion. Il ne faut donc pas prendre le risque de braquer ces gens, mais bien les convaincre.

Ensuite, au-delà de l'intendance, il s'agit d'une crédibilité historique. L’État Islamique ne peut pas simplement exister sur une base féodale. Il aura besoin de développer une bourgeoisie, forcément de type bureaucratique, pour s'insérer mondialement. Cela ne sera pas possible sans cette couche sociale urbanisée.

A elle seule, les couches féodales du « califat » seront trop faibles pour construire un réel État. Sans capitalisme – national ce qui est impossible, donc forcément bureaucratique – la société ne pourra pas passer un cap.

L’État Islamique veut donc passer un cap et réaliser ce que l'Arabie Saoudite et le Qatar ont plus ou moins réalisé, ou tentent de réaliser : dépasser le simple féodalisme modernisé pour faire émerger un capitalisme bureaucratique.

C'est également ici qu'on voit comment l’État Islamique rentre tout à fait dans la stratégie de la Turquie, de l'Arabie Saoudite et du Qatar : par ses combats en faveur du féodalisme, l’État Islamique veut en pratique renverser les bourgeoisies bureaucratiques pour relancer le processus à zéro, les féodaux escomptant devenir une réelle force, sans eux-mêmes basculer dans la dépendance à l'impérialisme, ce qui sera pourtant inévitable.

D'ailleurs, en Syrie, le Front Al-Nosra lié à Al-Qaeda pratique une diplomatie tout azimut, alors qu'il est déjà en concurrence, y compris armée, avec l’État Islamique. Ce dernier a d'ailleurs commencé il y a quelques jours une vaste campagne de dénigrement contre Al-Qaeda, pour ce qui sont à ses yeux des collusions avec des forces occidentales.

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