20 nov 2015

Les attentats à Paris vus par «Dabiq»

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Dabiq, la revue anglophone de l’État Islamique, qui reprend le nom de l'endroit qui sera le lieu de la bataille finale de la fin des temps, a sorti un numéro exprès à l'occasion des attentats à Paris. C'est une preuve de la capacité logistique de l’État Islamique, et du fait que cela a été bien préparé. 

Le magazine, publié en anglais, a un titre éloquent : « Just terror », qui peut signifier « terreur juste » ou bien « simplement la terreur » (dans le premier cas il aurait été plus correct de dire « a just terror », l’ambiguïté est bien présente). Le ton est donné, il est guerrier, dans l'esprit de la revue qui n'hésite pas à montrer scènes de décapitations, personnes crucifiées, cadavres empilés.

En exergue, au-dessus du sommaire, on a d'ailleurs une citation d'Abou Moussab Al-Zarqaoui, qui a été responsable d'Al-Qaeda en Irak, avant de mourir victime d'un bombardement américain. Comme on va le voir, c'est lourd de signification, dans la mesure où l'Etat islamique se pose comme successeur légitime d'Al-Qaeda. L'intervention en France obéit à cette double logique : renforcement intérieur, et élargissement des actions à l'extérieur contrairement à auparavant où c'était franchement délaissé, au nom de la territorialisation nécessaire du « califat ».

On lit ainsi :

« L'étincelle a été lancée ici en Irak, et sa chaleur continuera de s'intensifier – avec la permission d'Allah – jusqu'à ce qu'elle brûle les armées croisées à Dabiq. »

L’État Islamique dénonce la « hubris » de la Russie et de la France, terme d'origine grecque désignant la confiance orgueilleuse allant jusqu'à la témérité, dénonçant les idoles que sont le nationalisme et la démocratie, célébrant les attaques individuelles contre les « croisés » de par le monde.

L’État Islamique parle ouvertement dans le dernier numéro de Dabiq de « terroriser, massacrer et humilier les ennemis d'Allah » ; on voit des photos de cadavres, des listes d'actions notamment les attentats à la bombe à Beyrouth, contre l'avion russe partant d’Égypte, et bien sûr ceux en France du vendredi 13 novembre 2015.

Il ne faut cependant pas croire que ces actions sont présentées en long et en large. Le compte-rendu sur les actions en France est tout à fait sommaire, avec une simple photographie (en plus de celle de la couverture il est vrai).

Les photographies sont par ailleurs floutées et retouchées lorsque des femmes sont présentes dessus.

On peut être étonné, du point de vue français, du caractère relatif de cette propagande. On pouvait peut-être s'attendre à des dizaines de pages, voire un numéro spécial. Ce point de vue ne correspond pourtant pas aux faits, et pour cause.

L’État Islamique affirme bien entendu qu'il s'agit d'une « réponse » aux interventions militaires françaises en Syrie, mais c'est bien secondaire par rapport à sa stratégie qui est le Djihad mondial.

D'ailleurs, une attention bien plus particulière est accordée à la naissance d'une branche de l’État Islamique au Bangladesh, avec tout un historique des mouvements islamistes là-bas et un appel à l'unification.

C'est tout à fait logique et cela répond aux besoins de l’État Islamique. Le Bangladesh, où le fondamentalisme islamique est très puissant, a de ce fait une place capitale. Donc, si l'action contre Paris prend comme prétexte l'intervention militaire française en Syrie – car la logique islamique en termes de justice est la « rétribution » – de toutes manières l’État Islamique se pose comme ayant une stratégie mondiale immédiate.

Les attentats en France sont donc tout à fait secondaires, ils sont une simple rétribution ou, comme il est dit sur la couverture, une « juste terreur ». Ils sont un exemple, parmi d'autres, de la bataille dans le cadre du djihad sans frontières, conformément aux considérations anti-nationales et cosmopolites du fondamentalisme islamique.

Ce n'est pas tout. L'Etat islamique dénonce également Al-Qaeda pour ses alliances diverses et variées, ainsi que les Talibans pour leur choix d'accepter le nationalisme comme idéologie, en plus du fait d'avoir masqué la mort du Mollah Omar pendant longtemps.

La grande peur de l’État Islamique s'exprime ici : étant un mouvement défendant un mode de production féodal par définition pré-national, tout ce qui est national doit être aboli.

Si Al-Qaeda, avec le Front Al-Nosra en Syrie, temporise dans la lutte contre l’État syrien de Bachar el-Assad, alors c'est très mauvais pour l’État Islamique, qui risque de voir son élan se briser.

Aussi, l’État Islamique se présente désormais comme le « vrai » Al-Qaeda, publiant un de ses articles sur la « morale » (« écouter et obéir ») des combattants, affirmant que la chose la plus importante après le 11 septembre est la fondation de l’État Islamique, etc.

Pour la première fois de manière si ouverte, l’État Islamique se présente comme le Al-Qaeda « canal historique », alors qu'Al-Qaeda en quelque sorte « canal habituel » aurait capitulé idéologiquement, et les Talibans d'autant plus.

C'est là à la fois une fuite en avant et une vraie synthèse du fondamentalisme islamique. Il faut bien comprendre qu'auparavant, il existait une multitude de groupes plus ou moins contradictoires ; même Al-Qaeda fonctionnait pratiquement en réseaux fédérés, privilégiant le mouvementisme à la centralisation réelle.

Al-Qaeda – « la base » en arabe – était le centre névralgique idéologique et religieux, mais les groupes locaux disposaient d'une vaste autonomie, suivant le principe « nizam la tanzim » (« un système et non pas une organisation »).

Avec l’État Islamique, il y a une vraie centralisation et donc un renforcement du noyau politico-religieux, autant que pour l'Islam chiite avec l'Iran de Khomeini. C'est une véritable cristallisation du féodalisme, un véritable décrochage de sa part dans plusieurs pays dans le cadre des rapports entre les pays impérialistes et les pays semi-coloniaux semi-féodaux.

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