15 oct 1935

Les armements des ligues fascistes, Lucien Sampaix (octobre 1935)

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Depuis le 6 février 1934 les ligues fascistes ont fait de gros efforts pour perfectionner et renforcer leur armement. Les temps sont révolus où les camelots du roi et leurs amis montaient à l'assaut du Palais Bourbon armés de cannes emmanchées de lames de rasoir ! Désormais les fascistes ont beaucoup mieux et beaucoup plus. Nous assistons actuellement à l'armement systématique, avec les engins les plus modernes et les plus perfectionnés, des sections d'assaut des fascistes français et à la constitution de dépôts d'armes à peine clandestins puisque constitués bien souvent au su du gouvernement et de la police.

Voilà plus d'un mois que l'Humanité mène une campagne pour dénoncer ces armements et il nous semble utile de récapituler ici les premiers résultats de nos investigations – résultats qui déjà montrent amplement le danger.

Des obusiers, des mitrailleuses

Une de nos premières découvertes fut, le 20 août – et grâce aux renseignements fournis par des camarades du bâtiment – un véritable dépôts d'armes en plein coeur de Paris.

Un officier de réserve, le Croix de feu Bessureau, avait emmagasiné dans sa cave, rue Garancière un obusier Brandt et une centaine d'obus à ailettes.

On sait que l'obusier Brandt, dont la courte trajectoire permet au projectile de passer par-dessus les maisons et de retomber dans une rue voisine, est une arme de guerre civile, une arme de combat de rues, par excellence.

Or, il fallut une campagne de trois jours dans l'Humanité et l'Oeuvre , pour contraindre la police à saisir ces dangereux engins. Peu après, à la suite d'une dénonciation anonyme, une mitrailleuse en état de marche était saisie, au cours d'une perquisition, chez un royaliste de Gien, l'armurier Pillé.

Ce n'est pas la seule arme de ce genre qui se trouve aux mains des fascistes. C'est ainsi que l'Humanité a dénoncé le dépôt d'armes constitué à 6 kilomètres de Dieppe au château de Gaillefontaine, par le marquis des Roys, royaliste notoire.

Ce château détient notamment une mitrailleuse neuve, marque Hotchkiss, n° matricule 17.850.

A Paris, un Croix de feu, colonel de réserve et directeur d'une importante firme, détenait lui aussi dans la cave de son immeuble du boulevard des Batignolles, deux mitrailleuses Hotchkiss, à l'état de neuf et qui, plus est, accompagnées de créneaux de protection. Toujours en prévision des combats de rues...

Bien entendu, nous ne citons que ce qu'il nous a été permis de vérifier jusqu'à présent, mais nous avons en mains des documents qui nous prouvent que des dépôts de mitrailleuses existent également en province.

D'où viennent ces mitrailleuses ? Qui les fournit ? Il ne s'agit pas là d'armes de contrebande. Ces engins de guerre sont fabriqués en France et mis directement entre les mains des fascistes. A ce sujet, nous avons signalé dans l'Humanité que des mitrailleuses Hotchkiss sortaient d'une usine de Saint-Cloud – les pompes Guinard - soigneusement emballée dans des caisses de vermicelle... Est-ce pour l'armée ou bien une partie de ces armes est-elle destinée à pourvoir les fascistes ?

De toutes façons, nous savons que le patron de cette usine est un Croix de feu et qu'il peut mettre instantanément des dizaines de mitrailleuses à la disposition des troupes du colonel de La Rocque. Sans doute n'est-il pas le seul dans ce cas.

Enfin, le 21 septembre, seize caisses de mitrailleuses Hotchkiss entrant en fraude dans Paris, étaient découvertes par une brigade mobile de l'octroi. Détail curieux : ces caisses expédiées de France avaient été faire un tour à Lisbonne pour rentrer ensuite à Paris en passant par le Havre.

Voici qui rappelle singulièrement, n'est-ce pas, les 26.000 kilos d'armes et de munitions Brandt expédiés au Paraguay et que l'on retrouve quelques mois après au Havre ! Mais les caisses ne contenaient plus que du sable et des pavés.

Des autos-mitrailleuses, des mitraillettes, des canons de campagne

Le 29 août, l'envoyé spécial de Paris-Midi au Havre, communiquait à son journal l'information suivante, concernant la découverte d'une automitrailleuse par un douanier :

« La carrosserie de la voiture était blindée par des plaques de 4 millimètres d'épaisseur, plaques qui recouvraient tout l'intérieur de la carrosserie, du capot, etc. Et mieux que cela, à l'intérieur des affûts de mitrailleuses étaient disposés. Le douanier venait de découvrir la pre mière voiture limousine, auto-mitrailleuse, importée en France. » En fraude naturellement. Et notre enquête nous permit d'établir que cette autro-mitrailleuse était arrivée au nom de M. Hermann du Pasquier, président de la Chambre de Commerce du Havre... Bien entendu, ce M. Hermann du Pasquier n'a pas été arrêté ! Combien d'auto-mitrailleuses de ce genre ont été ainsi introduites en France et qui serviront contre les travailleurs ?

Mais voici à présent un autre genre d'armes.

Le 21 août, Paris-Midi posait cette question :

« Qu'est devenu le wagon rempli de mitraillettes qui venait d'Hadesberl voici seulement six mois. Qu'est-il devenu ? À qui était-il des tiné ? »

Destiné aux fascistes, bien sûr ! Et depuis nous avons appris que le contenu de ce wagon, déchargé au Havre, avait été transporté à Paris. Mais il n'était pas seul ! car le 2 septembre le même journal publiait cette nouvelle information :

« Depuis un mois quatre wagons au chargement compromettant circulent de gare en gare en passant par Le Havre... » Ces wagons étaient, eux aussi, chargés de mitraillettes et la police ne s'est pas souciée de rechercher ces arsenaux ambulants qu'il était pourtant facile de retrouver puisqu'elle connaissait les numéros des wagons suspects et leur dénomination d'origine.

Enfin, après les mitraillettes, voici encore de nouveaux engins. Voici ce qu'écrivait Paris-midi : Le 31 août, Paris-Midi racontait à ses lecteurs une des dernières histoires de contrebande. Elle est courte, mais ne manque pas de saveur.

« Savez-vous sous quelle dénomination ces messieurs faisaient passer en fraude les canons, les petits canons de campagne. Sous celles d'arcticles de ménage ! »

Ainsi la presse bourgeoise avouait elle-même l'introduction en France – et en fraude – d'auto-mitrailleuse, de wagons de mitraillettes et de canons de campagne. Voilà n'est-il pas vrai, un solide armement de guerre civile.

Les munitions en masse

Pour tout cela il faut des munitions, c'est évident. Là aussi s'est établi un véritable trafic. En premier lieu ce fut la substitution, en sable et en pavés, de 310 caisses de matériel Brandt. Ces 310 caisses contenaient 25.000 kilogrammes d'armes et dé munitions. La police n'a rien fait pour retrouver ces 25 tonnes de matériel Brandt. Or l'affréteur Auby, à qui fut livrée la commande, est président d'une ligue d'officiers de réserve de la « Marine royale ». Et Auby est Croix de feu, ami du colonel de la Rocque. Après cela il est aisé de comprendre où son passés ces 25.000 kilos d'obusiers et de munitions Brandt.

Peu après nous découvrions une affaire de grande envergure elle aussi : 201 caisses de munitions étaient transportées le 2 août de Rouen à Haubourdin...

Le 6 août, un transport semblable était effectué de Rouen à Amiens... Là encore, la police n'ignorait rien puisque le commissaire spécial de Rouen, le policier Solassol avertissait par télégramme du départ du premier envoi, une personnalité d'Haubourdin. Depuis, malgré les précisions fournies par l'Humanité , aucune perquisition n'a été effectuée. Partout s'affirmait donc la même complicité. Ces munitions sont allées grossir les dépôts clandestins des organisations fascistes. Ajoutons qu'en dehors de ces dépôts ainsi constitués, les fascistes – ou tout au moins certains d'entre eux – sont abondamment pourvus !

C'est ainsi que le prince Murat, habitant 102, rue de Miromesnil à Paris, détenait dans sa cave, il y a quelques mois, une vingtaine de caisses de balles explosives : chaque caisse contenait mille de ces cartouches.

Depuis, le prince Murat a fait sans doute une répartition de ces munitions puisqu'il ne lui reste plus que mille de ces cartouches. De quoi, tout de même, faire quelques vides dans les rangs ouvriers !

Contrebande organisée

Pour organiser un tel trafic, les ligues fascistes ont fait appel aux meilleurs spécialistes de la contrebande. C'est ainsi que de la Rocque uti lise ces flibustiers de la fraude.

Carbone, le gangster marseillais, est entré aux Croix de feu. Or, Carbone est un des principaux organisateurs de la contrebande en France. Et le colonel l'a pris à son service non pas – on s'en doute - pour ravitailler les Croix de feu en cigarettes ou en poteries, mais bien pour ravitailler en armes de tous genres ses sections d'assaut. Il est bien difficile de chiffrer le montant des armes introduites en contrebande. Là encore nous voulons nous en tenir à une appréciation qui n'est pas celle d'un militant communiste. Dès le début de l'enquête sur les fraudes fiscales du Havre, le directeur des douanes lui-même a annoncé qu'il y avait 128 millions de fraudes. Immédiatement la presse bourgeoise a affirmé qu'il s'agissait là de lampes de T.S.F.

Or, M. Plantagenest, expert-comptable de l'Etat, qui enquête sur cette affaire, a établi que le trafic des lampes n'atteignait que trois millions de francs.

Il reste donc 125 millions de francs – chiffre avoué rien que pour le Havre – qui sans aucun doute ont été consacrés, pour la plus grosse part, au trafic des armes.

Dans la Somme, les Croix de feu se sont également abouchés avec des contrebandiers professionnels qui passent des armes de Belgique. Enfin, signalons qu'à Paris-même, des gangsters ont proposé à certains dirigeants d'organisations, de leur fournir des pistolets automatiques en quantité presque illimitée.

Bien entendu il est certain que ces gangsters liés à la police ne manquent pas de faire des offres de service à des camarades du Parti ou des organisations antifascistes dans un but évident de provocation. Le munitionnaire Brandt, lui non plus, ne reste pas inactif. En dehors des 25.000 kilos de matériel de guerre si habilement subtilisés, nous pouvons affirmer qu'un trafic clandestin a lieu.

Par exemple le 27 mars dernier, deux camions de munitions camouflés, évidemment, quittaient l'usine Brandt en direction de Rouen.

Ce trafic est si nettement établi, que le journal la Liberté (n° du 26 août) prévoyait l'inculpation de Brandt le munitionnaire. Cette inculpation n'a pas eu lieu ! Car n'est-ce pas Weygand lui- même, alors président du Conseil supérieur de la guerre, qui imposa Brandt au ministère de la Guerre, comme fournisseur de l'armée ? D'autre part le ministre actuel de la Guerre, le colonel Fabry, n'a-t-il pas chez Brandt un de ses hommes de confiance, un certain capitaine Rank, à qui il fit quitter l'armée pour le faire entrer chez le munitionnaire ?

La chaîne, du gouvernement aux Croix de feu, en passant par les fournisseurs d'armes, est ainsi continue.

Les escadrilles d'aviation Croix de feu

Les Croix de feu ont également fait un très gros effort dans le domaine de l'aviation. Chacun se souvient de la démonstration d'Alger ou de la Rocque passa en revue une escadrille de trente avions Croix de feu.

Ces 30 avions ne sont qu'une même partie de la véritable flottille de l'air dont peuvent disposer les Croix de feu qui ont en réalité mis la main sur une grande partie de l'aviation civile. Ceci appelle quelques explications.

En France existe tout un réseau d'aéro-clubs de tourisme (plus de 200 aéro-clubs sont répartis sur le territoire). Or, les Croix de feu ont réussi à prendre la direction de ces centres d'aviation et nos camarades des différentes régions feraient bien, à ce sujet, de se livrer à une enquête approfondie.

Nous citerons quelques exemples seulement : Deux des aéro-clubs les plus importants sont dirigés par des Croix de feu. Le premier est l'aéro-club d'Auvergne qui est dirigé par le Croix de feu Gilbert Sardier et par Sandral, président d'une section de Croix de feu. Le second est l'aéro-club du Rhône, dont le vice-président n'est autre que le Croix de feu Burlaton, arrêté récemment en Roumanie pour contrebande.

A Fez, l'aéro-club est dirigé par le Croix de feu Thumay. A Marrakech c'est le Croix de feu Ducolombier qui préside aux destinées de l'aéroclub, cependant que le Croix de feu Caillat dont le fils est « volontaire national » dirige celui de Meknès. Rayonnant sur tous ces aéro-clubs et coordonnant leur activité, on trouve l'aéro-club de France – organisme central dont le président est le colonel Watteaux, Croix de feu. De l'avis de tous les milieux aéronautique, cet aéro-club de France dont la direction est ultra- réactionnaire, est plus puissant que le ministère de l'Air lui-même, dont les services ne font rien, en général, sans l'avis, sinon l'autorisation de dirigeants de l'aéroclub de France. De plus, le moindre incident est parfois révélateur. C'est ainsi, par exemple, que la pseudo-agression du docteur Dupéchez, à Sens, nous a révélé que celui-ci était Croix de feu et qu'il disposait de son avion personnel.

De la Rocque organise méthodiquement son aviation de guerre civile dont les aviateurs Mermoz et Détroyat semblent avoir pris la direction.

Une « Amicale de l'aéronautique » a été constituée. De plus, les Croix de feu font preuve d'une grande activité dans « l'Association des officiers de réserve de l'aéronautique », association à tendances nettement fascistes qui, par l'entremise du capitaine Heurteaux, Croix de feu et collaborateur du général Denain, dispose de gros moyens d'action au ministère de l'Air.

On le voit, l'aviation Croix de feu est bien une réalité. C'est, en fait, une véritable armée de l'air, avec ses aérodromes que la Rocque a déjà institué.

Ajoutons à cela que les Croix de feu ont une école de pilotage à laquelle sont déjà inscrits une centaine de volontaires nationaux.

Les complicités du ministère de l'Air

Toute facilité est d'ailleurs accordée aux fascistes pour organiser leur aviation. Non seulement ils rencontrent l'aide de certains constructeurs – en particulier Potez, Renault et Leyat-Jacquemain (ce dernier pour la fourniture d'avionnettes), mais encore le ministère de l'air accorde des subventions aux acheteurs d'avions. Un décret du 15 août, pris par le général Denain, ministre de l'Air, accorde une prime de 40 % du montant du prix d'achat des avions de tourisme. Pour un avion coûtant 35.000 francs, l'acheteur reçoit donc du ministère de l'Air une prime de 14.000 francs.

Il va de soi que les travail leurs ne peuvent se payer d'avion de 35.000

francs et quand bien même ! Le général Denain a pris toutes ses précautions en spécifiant, dans son décret, « que les primes seront attribuées dans la limite des crédits disponibles ».

Cela signifie, en bon français, que les primes de 40 % seront attribuées après examen sérieux des opinions politiques du postulant. A ceux dont les opinions seront contraires aux volontés du ministère de l'Air, il sera aisé d'opposer la pénurie de crédits pour refuser la subvention.

On sait que le général Denain est acquis à de la Rocque avec lequel il banqueta à Lyon.

Il a commencé par chasser de ses services les officiers républicains, tels le colonel Lacolley, qui assumait la direction du personnel et contrôlait l'avancement ; le général Berger, directeur du matériel et l'ingénieur Demanoy, directeur des constructions aéronautiques. Par contre, le ministère de l'Air a pris comme chef de cabinet un fasciste notoire, Siscard d'Estaing, dont le frère est un des manitous des moteurs Lorraine. D'où une commande importante de Potez-54 à moteurs Lorraine, car la politique ne fait pas oublier les affaires. Un autre collaborateur du ministre est le colonel Davet, Croix de feu ayant aussi des attaches à l'Action Française. Un troisième collaborateur de Denain est le capitaine Croix de feu Testard. En fait, le ministère de l'Air est entre les mains des hommes de confiance du colonel de la Rocque.

Avions de contrebande

Le 3 août une dépêche de l'Agence Radio venant de Modane, signalait le fait suivant :

« A l'arrivée d'un train de marchandises italien, en gare de Modane, hier, trois wagons spéciaux, pour le transport des autos et des avions, affectés provisoirement au rapatriement des ceuvres inestimables provenant de l'exposition des arts italiens à Paris, figuraient dans la com position du convoi, avec la mention « vide, destination Paris. » Malgré ces indications, le douanier chargé de reconnaître le train à l'arrivée, voulut se rendre compte et fit ouvrir les wagons, deux sur trois contenaient des avions. »

Ces appareils sortaient des usines Fiat, de Turin. Donc la contrebande d'avions se fait au même titre que la contrebande de mitraillettes ou d'autos-mitrailleuses et l'Humanité a pu signaler - sans obtenir d'ailleurs de moindre démenti officiel ni la moindre... perquisition – que les fascistes avaient institué, dans des souterrains près de Pont-Audemer, des dépôts d'avions.

Liaison dans l'armée

Nous pourrions ajouter à tout cela, les liaisons établies entre les fascistes et l'armée.

De l'aveu même de M. Perrier, directeur des renseignements généraux à la Préfecture de Police, les Croix de feu ont réussi à noyauter les cadres de l'armée et à créer des « groupes de garnison » parmi les officiers d'active. D'autre part, de nombreux élèves des grandes écoles militaires (Saint-Cyr, Polytechnique et Navale) ont donné leur adhésion aux « Volontaires Nationaux ». Au cours d'une interview du député Paul Perrin – président de la Fédération des Officiers de réserve républicains – à l'Humanité , le député du 18è a pu nous déclarer :

« Les fascistes jouissent dans les cadres de l'armée, de complaisances indiscutables. Le 6 Février 1934 des tanks dirigés de Versailles sur Paris, sont tombés en panne à mi-chemin. Certains officiers de chars d'assaut se sont vantés d'avoir participé à ce sabotage. »

Depuis le 6 Février 1934 l'effort des fascistes et surtout des Croix de feu, a été considérable pour gagner les cadres de l'armée. Et il est hors de doute que, dans ce domaine, ils ont obtenu des résultats importants qu'il importe de contrebattre au plus tôt par une propagande et une action inlassables pour la défense des revendications des soldats, des cadres subalternes, et aussi pour la défense des officiers républicains, brimés par un état-major fasciste. Le mot d'ordre : licenciement de l'armée des officiers fascistes , a plus que jamais toute sa valeur.

Des conciliabules ont réuni ces jours derniers divers représentants de ligues fascistes en vue de la création de sections d'assaut.

Subventions capitalistes

L'article paru dans l'Agence technique de la presse (n° du 25 septembre) est à ce sujet hautement significatif :

« Ces jours derniers, des conciliabules ont réuni, à plusieurs reprises, des représentants des trois « Ligues »: Front paysan, Croix de feu et Ligue des contribuables.

Sans doute, les Croix de feu n'étaient-ils pas représentés officiellement par leurs chefs autorisés et peut-être même le colonel de la Rocque n'est-il pas au courant des tractations de plusieurs de ses lieutenants qui se flattent d'obtenir son acquiescement au moment opportun, mais ce qui ne saurait être contesté, c'est qu'un plan a été élaboré en vue d'une action commune des trois groupements précités et que ce plan a été soumis à l'approbation de M. Dubreuil-Lemaigre, président de la Ligue des contribuables .

Ce plan préconise la création de sections d'assaut groupant 50.000 hommes recrutés dans toutes les classes de la société, l'intensification de la propagande, au nom du Salut national et de la Salubrité publique, auprès des officiers de l'armée, et, dans le texte écrit de ce plan, figure qu'au cas où il viendrait à être réalisé, le Président de la République serait immédiatement gardé à vue » (...)

« On avait fait grand état des Croix de feu, de leurs parades paramilitaires, de leurs rassemblements périodiques, de leur armement plus ou moins clandestin. Mais pour s'entourer d'ombre, l'action souterraine de la Ligue des contribuables n'en est pas moins dangereuse pour l'ordre public et le régime républicain. Sous le couvert de la défense des contribuables contre l'appétit du fisc ; comme au temps où la Ligue avait pour président le baron d'Anthouard et pour secrétaire général M. Large, la Ligue des Contribuables est, maintenant, une organisation d'opposition et, bien qu'elle se défende statutairement de toute intrusion dans la politique, on l'a vue récemment faire cause commune avec M. Dorgères, chef du Front paysan.

C'est qu'elle a trouvé en M. Dubreuil-Lemaigre un chef dont on aurait tort de méconnaître la verdeur et le cran. Co-propriétaire de la célèbre firme Les Huiles Lesieur, dont a dit que le chiffre d'affaires atteint annuellement 240 millions de francs, M. Dubreuil- Lemaigre, dont la part de bénéfices n'est pas mince, ancien combattant d'un courage éprouvé, d'un désintéressement incontestable, dispose d'une caisse importante qu'alimentent, en dehors de ses dons personnels, les cotisations des quelque trois cent mille membres de la Ligue et les contributions bénévoles de ses pairs, grands « capitaines d'industrie ».

Une simple lettre de M. Dubreuil-Lemaigre à M. Pierre Thibaud, du Gibbs et de La Brosse, par exemple, et ce sont 10.000, 20.000, 50.000 francs qui tombent dans la caisse de la Ligue des Contribuables. »

Voilà, n'est-il pas vrai, quelques renseignements significatifs sur les subventions accordées aux ligues fascistes et sur l'activité de ces ligues.

Les provocations fascistes se multiplient

Dimanche 22 septembre, le colonel la Rocque faisait opérer à ses troupes une véritable rentrée de guerre civile. Une formidable concentration des Croix de feu et de Volontaires nationaux était opérée à Senlis et à Meaux. Des expéditions motorisées avaient amené de dizaines de départements les sections d'assaut du colonel. Cette mobilisation des Croix de feu a été une opération de grande envergure.

Le colonel-comte affirme que ses rassemblements ont groupé 150.000 hommes. Ces chiffres sont manifestement exagérés. Par exemple, la Rocque annonce 80.000 hommes au rassemblement de Meaux, or des renseignements sûrs nous permettent d'affirmer que 25.000 hommes ont participé à cette démonstration. Aussi, ce ne sont pas les chiffres discutables du colonel-comte qui retiennent aujourd'hui notre attention, mais bien plutôt les moyens de mobilisation rapide et la technique qui présidèrent à cette opération. Les moyens de mobilisation rapide : ce sont les centaines de cars, les milliers d'automobiles et de motocyclettes dont disposent les Croix de feu.

La technique : c'est d'une part, la préparation secrète de ces expéditions motorisées... Les adhérents Croix de feu sont convoqués sur des points déterminés, sans connaître le lieu du rassemblement définitif. Seul, l'état-major du colonel la Rocque connaît le lieu du rassemblement et l'itinéraire à suivre. Ceci démontre amplement le caractère militaire de ces opérations.

D'autre part, à ce rassemblement de Meaux participèrent les sections Croix de feu de tous les départements environnant la capitale. La mobilisation s'effectua à 200 kilomètres à la ronde, en Normandie, dans l'Eure, le Loiret, en Champagne, dans la région troyenne, etc., et, par des iti

néraires soigneusement choisis, les longues colonnes motorisées convergèrent vers Paris , en l'occurrence représenté par la forêt de Senlis.

Cette démonstration montre que le plan du colonel de la Rocque consiste à jeter toutes ses troupes d'une vaste région sur un point déterminé, et à une heure choisie à l'avance.

Tactique militaire ! Tactique du coup de force brutal et organisé dans ses moindres détails.

De semblables opérations se déroulèrent en province. Un double rassemblement dans le Nord, 5.000 hommes près d'Arras, 2.000 près de Boulogne. Rassemblement dans la banlieue de Marseille, avec 5.000 participants.

Rassemblement régionaux dans la Manche, la Meuse, la Loire, les Basses-Pyrénées, l'Hérault, le Calvados, l'Algérie, etc. Partout la même tactique ! les sections alertées et munies de vivres se rendaient à un point déterminé où les prenaient les autos, les cars pour les diriger sur les lieux de rassemblement inconnus des adhérents.

Cette tactique peut permettre ainsi au colonel de la Rocque de jeter ses troupes, à un moment donné, sur une grande cité industrielle et sur des centres décisifs.

A la même date, nous apprenions qu'à Paris les « Jeunesses patriotes » se préparaient pour une action prochaine. C'est ainsi que dans la 9° section des J.P. Notamment, nous sommes informés que les groupes de combat viennent d'être reconstitués sur de nouvelles bases et que chaque membre de ce groupes a été avisé qu'il disposerait, au moment opportun, de telle ou telle arme, la distribution de ces armes devant être faite au moment décisif.

Ces groupes de combat se sont d'ailleurs exercés depuis quelques semaines. Les agressions fascistes se sont multipliées au cours de ces deux derniers mois et il semble qu'il s'agit bien d'un plan d'agression systématique.

Dans la première semaine d'août, les J.P tirent sur la foule dans une assemblée populaire, à Paris, rue de la Réunion (20°). A Oran, les Volontaires nationaux tirent des coups de feu sur les travailleurs. Deux jours après à Bry-sur-Marne, les fascistes blessent quatre ouvriers.

Le 14 août, à Ormesson, les provocateurs fascistes tentent un coup de main sur la mairie, siège d'une municipalité communiste. Surpris ils tirent. Précédemment ils avaient saccagé les préparatifs d'une fête populaire à Ormesson.

A Sainty (Seine-et-Oise), les fascistes viennent la nuit du 16 au 17 août et se livrent à des actes de vandalisme. Ils tentent d'arracher des oriflammes rouges.

Dans l'Ile d'Oléron, ils s'attaquent à la colonie de vacances de la municipalité communiste de Bagnolet.

Dans la nuit du 3 septembre, les fascistes s'enhardissent, s'attaquent à la Maison du Parti, 120, rue Lafayette, et enlèvent un drapeau rouge cravaté de crêpe, placé à l'occasion de la mort d'Henri Barbusse. La nuit du 4 au 5 septembre, c'est le saccage de la Maison du Peuple d'Argenteuil et de la Maison des Syndicats de Levallois, cependant qu'à Valmondois (Seine-et-Oise), des Croix de feu tirent sur des travailleurs.

Le 14 septembre, c'est à Blanc-Mesnil que les fascistes saccagent les préparatifs d'une fête populaire ; le 15 ils opèrent à Bagneux où les ouvriers leur donnent la chasse.

Le lendemain ils brisent les vitres de la devanture d'un magasin de la Belleviloise, place du Combat à Paris.

La complicité de Laval

De ces agressions, nous en passons ! elles sont trop nombreuses pour être toutes relatées.

Mais il apparaît que les bandes fascistes opèrent toute une série d'attaques contre les sièges des organisations révolutionnaires et contre les municipalités communistes.

C'est une sorte d'exercice d'entraînement avant une attaque plus généralisée.

Loin de réprimer ces agressions, les Tribunaux acquittent avec félicitation les vandales fascistes.

C'est ainsi que le tribunal de Villeneuve-Saint-Georges a acquitté des fascistes qui avaient saccagé les préparatifs d'une fête populaire, « attendu, dit le jugement , qu'on ne saurait voir dans cet acte faisant cesser une exhibition contraire à la loi d'un emblème révolutionnaire, une contravention à d'autres règlements ».

Ce jugement est une prime à la provocation fasciste contre nos municipalités et les sièges de nos organisations.

En même temps, Laval, qui autorise et favorise les expéditions motorisées des Croix de feu opère toute une série de coups de force contre nos municipalités.

Sur les injonctions des fascistes, il suspend les maires de Chelles, d'Argenteuil et de différentes municipalités communistes. Il fait arbitrairement annuler les élections municipales de Fresnes et de Colombes et interdit l'usage des locaux municipaux pour les meetings du Front populaire.

L'offensive de Laval contre les libertés municipales se conjugue admirablement avec les attaques à main armée des fascistes contre les municipalités ouvrières.

Front populaire

Déjà les municipalités communistes ont organisé un système de défense et ont pris toutes dispositions utiles pour appeler la population laborieuse à s'opposer à toute attaque fasciste. Mais nous ne pouvons oublier que les ligues fascistes disposent d'un matériel considérable de guerre civile.

Camions, autos et motos leur permettent des raids rapides et brusques et leur armement est des plus perfectionné. Un tel armement constitue de toute évidence un immense danger pour les travailleurs. Et à nouveau certains émettent l'opinion qu'à ces dépôts d'armes fascistes, il faut répondre par l'armement de groupes de combat chez les travailleurs.

Nous ne reviendrons pas sur ce qu'a de dangereux une telle conception de « groupes armés », conception qui n'a absolument rien de commun avec l'armement du prolétariat.

Tout d'abord, nous ne répéterons jamais trop que le trafic des armes, la contrebande, la constitution de dépôts ne se fait en général qu'avec la complaisance et la complicité de la police.

Nous avons prouvé que la Sûreté nationale n'ignorait rien des dépôts d'armes fascistes.

Il en serait de même des dépôts d'armes constitués dans nos rangs. Que la police laisse constituer quelques dépôts semblables par des groupes d'ouvriers ou par des « milices », c'est chose possible, car elle saurait les « découvrir » au moment opportun et en faire une arme de guerre contre le organisations révolutionaires. Ce serait là le coup classique de la provocation.

D'ailleurs, quelques revolvers, quelques mitrailleuses même est-ce suffisant pour assurer la victoire définitive du prolétariat ? A cette conception, les communistes doivent opposer en premier lieu la pratique de la conquête de l'armée. Pour battre le fascisme, il faut renforcer notre propagande chez les jeunes et passer à une défense résolue des revendications des soldats.

D'autre part, nous pensons qu'il est utile de rappeler l'article paru le 28 janvier, dans l'Humanité :

« L'armement du prolétariat, il est – sans insister sur l'armée – dans les usines. C'est de la puissance de notre parti, c'est de son activité dans les entreprises qu'il dépend.

L'armement du prolétariat, il s'appelle Renault, Hotchkiss, Gevelot, Lioré-Olivier, par exemple. L'armement du prolétariat, il s'appelle Puteaux, Saint-Etienne, Châtellerault, Bourges, Toulon... Il s'appelle aussi Cars Citroën, Cars Renault, S.T.C.R.P. Il y a deux mois, quand, au moment de la chute de Doumergue, l'état-major du gouvernement militaire de Paris a craint une action ouvrière contre un nouveau 6 février fasciste, quel est l'un des points qu'il a fait immédiatement occuper militairement ? L'usine Hotchkiss, à Levallois.

Quand ils, ont pris le pouvoir aux Asturies, où donc, en dehors de leur armement individuel primitif – quelques pistolets et quelques fusils de chasse chargés à chevrotines – les ouvriers espagnols ont- ils pris de quoi armer le prolétariat ? Dans les usines. Ils y trouvèrent même des fusils d'un nouveau modèle inconnu encore de la majorité de l'armée !

Avec des camions et quelques plaques de blindage, ils sont même arrivés à faire des tanks. » (...)

« Contre le fascisme – dans la période actuelle – action de masse, auto-défense de masse, pour le désarmementt et la dissolution des ligues fascistes.

C'est à l'usine, par le développement de notre parti dans la lutte pour les revendications immédiates, que se prépare la lutte décisive contre le fascisme et que s'organise la prise du pouvoir. »

Certes, il faut organiser et renforcer la défense populaire et à cela, nos municipalités doivent y veiller avec soin. Mais l'effort principal, urgent, c'est de renforcer partout le Front populaire. Les fascistes reculeront une fois de plus lorsqu'ils seront assurés que le bloc contre eux sera plus compact, plus massif et plus uni que jamais.

Les communistes doivent donc tout mettre en oeuvre pour que soit tenu le serment du 14 juillet, pour imposer la cessation du trafic clandestin des armes, la saisie des dépôts, le désarmement et la dissolution des ligues fascistes.