7 oct 1995

Propos de Khaled Kelkal en 1992 («Moi, Khaled Kelkal»)

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Le Monde, samedi 7 octobre 1995, page 10

Moi, Khaled Kelkal

Propos recueillis par Dietmar Loch Vaulx-en-Velin, 3 octobre 1995.

"Je suis né en Algérie. Je suis venu à l'âge de deux ans en France. J'ai vécu à Vaulx-en-Velin, où j'ai passé une bonne école primaire. J'avais des notes raisonnables, on peut même dire bien. Et après, je suis allé au collège Les Noirettes, et c'est là où j'ai commencé à rencontrer les premières bêtises. On était mélangé, des gars de la ZUP, du village, on rigolait. Les premières bêtises, les premiers trafics de carnets dans les cours, système D...

On avait une bonne entente, question professeurs-élèves. C'était un groupe homogène, on avait tous la même mentalité, on parlait peu, mais on se comprenait vite et c'était ça qui était bien. Et moi, personnellement, quand j'ai changé d'école, c'était plus ça. Je ne retrouvais plus cette mentalité.

- C'était quoi, exactement, cette mentalité ?

On travaillait et on rigolait. Et on pouvait se permettre de rigoler puisqu'on avait de bonnes notes, toujours sérieux. Mais quand je suis arrivé au lycée, c'était plus ça, et ça m'a pas plu. J'ai pas tenu.

J'avais les capacités de réussir, mais j'avais pas ma place, parce que je me disais l'intégration totale : c'est impossible; oublier ma culture, manger du porc, je ne peux pas. Eux, ils n'avaient jamais vu dans leur classe un Arabe, comme ils disent franchement, tu es le seul Arabe et, quand ils m'ont connu, ils m'ont dit : "Tu es l'exception". Eux, ils avaient plus de facilité entre eux à discuter. " Moi, j'aime bien travailler et rigoler, parce qu'il y a un équilibre. C'est pas toujours sérieux, sérieux. Parce que moi, j'aime bien rigoler, mais je ne trouvais pas ça [au lycée], c'était un peu froid. Même si je parlais, [même si] j'avais une bonne entente avec eux, c'était pas naturel.

Ma fierté, elle descendait, ma personnalité, il fallait que je la mette de côté. Je peux pas, et je trouvais pas ma place. Alors, je commençais à faire sauter les cours, une fois, deux fois. C'est un enchaînement, jusqu'au jour où je faisais des rencontres à gauche, à droite. On m'a proposé : "Il y a de belles choses à prendre". Il y a tout un enchaînement, le déclic il s'est passé là-bas. C'était un lycée bien coté. Il fallait avoir un bon niveau pour entrer. En troisième, j'étais bien. On [avec un ami] est arrivé les premiers de la classe, tout en rigolant. On était sain, tranquille, mais là-bas, non...

- Au collège, il n'y avait pas ces préjugés ?

Non, rien. Bon, c'est sûr que les Français n'avaient pas les mêmes principes, mais quand même ils s'adaptaient, et nous aussi on s'adaptait, on ne voyait pas trop la différence. Aider, au collège, c'était un plaisir, mais au lycée non. Vous aviez un trou de mémoire, ils vous disent rien, ils cachent. Moi, c'est là-bas où ça a commencé. Je commençais à ne plus aller en cours. L'après-midi, tout le monde allait à l'école, moi je n'avais rien à faire. Et je commence à faire un tour, et on fait des connaissances. Mais c'est des gens bien, même si le mec est un voleur, on ne regarde pas le mec quand on arrive.

Quand c'est un copain, c'est un copain, c'est question sentiment, c'est pas le juger de tel acte ou de tel acte. Parce qu'ici, 70 % des jeunes font des vols. Parce que les parents ne peuvent pas se permettre quand il y a six enfants... Le mec veut s'acheter un beau jean comme l'autre, il n'a pas d'argent.

Il est obligé de se débrouiller tout seul. " Alors je commençais à traîner avec eux. On voit la différence entre l'ambiance du lycée et l'ambiance du dehors, des voleurs. On était plus à l'aise, c'est la même mentalité qu'au collège, mais avec des adultes. Et quand vous volez, vous vous sentez libre parce que c'est un jeu. Tant qu'on ne m'attrapera pas, c'est moi qui va gagner. C'est un jeu : ou on perd ou on gagne. Mais c'est vrai, suivre cette route, ça ne mène nulle part. " Après avoir fait de la prison, j'ai vu que j'étais perdant à cent pour cent.

J'ai bien réalisé, mais je me dis que je regrette pas. On peut pas regretter ce qu'on a fait. Moi, je sais qu'en prison j'ai appris beaucoup de choses, surtout question vie, vie en groupe. J'ai même appris ma langue. J'étais avec un musulman en cellule. Là, j'ai appris l'arabe, j'ai bien appris ma religion, l'islam, j'ai appris une grande ouverture d'esprit en connaissant l'islam. Tout s'est écarté. Et je vois la vie.. pas plus simple, mais plus cohérente. Maintenant, quand je vois des choses à la télé, j'ai pas la même réaction qu'avant. Avant, quand je voyais ça, je voulais répondre, mais par la violence, maintenant non. Maintenant, ces gens, j'ai pitié pour eux. Avant, j'étais obligé de... j'étais impulsif.

- Qu'est-ce qui était important avant ?

La liberté d'être soi-même, la liberté d'être avec un bon ami, la bonne entente, un groupe, bien soudé. C'était surtout ça. On rigolait. Il y avait même un Français avec moi qui avait pris totalement la mentalité. Brave, respectable franchement. Par rapport à d'autres Français, il n'avait rien à voir, ce mec. Il a acquis notre culture, au niveau morale, sans la pratiquer. Ceux qui se respectent soi-même, obligatoirement ils respectent les autres. Il trouvait sa reconnaissance ici.

- Comment ça s'est passé entre élèves et enseignants au collège et au lycée ?

Au collège, c'était super. Ils savaient qu'on pourrait se permettre de rire parce qu'on travaillait. Ils nous laissaient un peu de liberté, nous exprimer pour cinq minutes en cours, rigoler. Mais quand il fallait bosser, on bossait. Au collège, ils reconnaissaient notre valeur, ils savaient ce qu'on valait et ils connaissaient nos limites. Mais au lycée, moi j'ai cru régresser. Ça, c'est à cause des gens.

Il n'y a pas de contacts, même avec les profs. " Ils arrivent, ils commencent leurs cours, ils s'arrêtent pas jusqu'à la fin. Au revoir ! Au collège, il y avait plus de contacts avec les profs, mais eux c'est le fait d'avoir eu beaucoup d'élèves comme nous. Ils ont vu nos frères, nos soeurs. Ils nous ont suivis, ils nous connaissent. Mais au lycée, ils ne nous connaissent pas, ils nous cataloguent directement. Moi, je ne trouvais pas ma place, j'étais mal.

Je suis arrivé au point de me dire : "Qu'est-ce que je fous là ?", au lieu de me dire : "C'est bien, c'est pour toi, c'est pour travailler." Au lycée, dans ma classe, il y avait que les riches.

- et tes parents ?

Mes parents, tous les jours ils me disaient : "Travaille, il faut que tu réussisses." Ma mère était fière de moi, mais c'était dur.

Quand j'ai arrêté l'école, ma mère, toute la famille, m'en a voulu. Ah oui ! Je me sentais totalement coupé de ma famille. Et c'est là que je suis parti vraiment de travers. Je suis même parti de chez moi, un moment, parce que ma mère m'en voulait : "Comment, tu es arrivé jusque-là et maintenant tu ne veux plus aller à l'école !"

Et moi, le fait qu'elle me rabâche tout le temps, je savais que j'avais tort en moi-même. C'est pour ça que je suis parti, parce que je savais que j'avais tort. Mais je ne suis pas parti longtemps. J'ai habité chez un copain pendant une semaine.

- Comment ça se passait avec tes soeurs et tes frères ?

Chez nous, c'est surtout le père et le frère. Mon frère, il m'a donné des conseils, et le jour où je suis vraiment parti de travers, il m'a pris : "Ça ne va plus !" Ça m'a touché, aussi ça m'a vexé. C'est là où je suis parti. Alors il fallait que je compte sur moimême, obligé d'aller voler. Mais c'était surtout une question de vengeance. Vous voulez de la violence, alors on va vous donner de la violence. On parle de nous seulement quand il y a de la violence, alors on fait de la violence. Nous, c'était à l'échelle individuelle. A l'adolescence, on est perdu, on ne sait pas trop où aller.

C'est là où il faut faire des choix. Et quand on arrive à la transition du collège ou du lycée, c'est déjà un choix, c'est un changement de mentalité. On a un choix à faire, mais on est jeune. On peut pas dire : "Ça, c'est pas bon." On n'a pas trop les valeurs d'éthique. Ça fait qu'on est tenté de partir là où on se sent mieux. "

Moi, je répondais par la violence individuelle. Mais là, au Mas du Taureau [en 1990, de violentes émeutes avaient éclaté dans ce quartier de Vaulx-en-Velin], ça a été un regroupement de tous ces jeunes justement. C'est même pas au niveau du meurtre que ça a pété. C'était seulement la poudrière.

C'est tous des gens au chômage qui voulaient dire : "Stop ! pensez à nous ! Vous avez l'air de jouer la belle vie en ville, mais regardez un peu ce qui se passe dans l'agglomération, la misère, la drogue."

Vous avez maintenant des jeunes de quatorze-quinze ans, ils volent de grosses voitures pour aller emmerder la société, la police. Il y a un grand ras-le-bol. (...) Ce qu'ils cherchent, les jeunes, c'est du boulot. Pourquoi ils ne donnent pas du boulot aux jeunes pour qu'ils s'arrangent ? C'est seulement après les émeutes qu'ils commencent à comprendre. Mais c'est pas grand-chose, c'est pour dire style "on est là"... - Y a-t-il des regroupements ethniques dans vos quartiers ?

C'est vrai que les Noirs sont surtout avec les Noirs. Mais quand le Noir a besoin de quelque chose, il parle super bien avec l'Arabe. Mais sinon, les Noirs traînent ensemble. Les Arabes et les Portugais, ils traînent ensemble aussi. " Il y a du racisme à Vaulx-en-Velin. Ces gens n'habitent pas dans des ZUP. Ils habitent dans des quartiers assez chics [de Vaulx-en-Velin].

C'est des gens qui travaillent, des gens adaptés comme ils disent. Ces gens, ils sont bien, leurs fils sont bien. Le fils, il vient d'avoir son diplôme, son père lui achète sa voiture, son permis. Il a tout ce qu'il faut. Mais le jeune, quand il voit ça justement, il va en ville. Il voit des jeunes Français avec une belle voiture. Moi, j'ai vingt-deux ans, j'ai même pas le permis. J'ai rien du tout. Ça touche (...). "

Les jeunes qui sont dans l'adolescence, c'est une poudrière parce qu'ils voient plus de choses que nous. Les plus jeunes, maintenant, voient et comprennent vite. Ils sentent déjà, à douze ans. Moi, à douze ans, je ne savais pas ce que ça voulait dire, le système, l'argent, tout ce qui s'ensuit, le système économique. Les jeunes de douze ans, aujourd'hui, ils voient et ils ont une sorte de blocage que nous on avait à l'âge de dix-sept-dix-huit ans. Les gens, ils vont agir plus vite. Là, ils sont en train de former des gangsters."

- Depuis quand tes parents sont-ils en France ?

Mon père, il vient d'Algérie. On est quatre à être nés là-bas : mon grand frère, un autre frère, ma soeur et moi. Mon père est venu avant pour voir. Il nous a ramenés d'Algérie en 1973. J'avais deux ans, ça s'est bien passé. A l'école primaire, j'ai jamais redoublé. Au collège, première année, j'ai fait le fou, j'ai redoublé. Mais, après, j'ai pris conscience. Mes parents m'ont mis une bonne fessée. J'étais même en prison chez moi. Je devais travailler à la maison. L'école primaire, impeccable, le collège aussi. Même s'il y avait aussi quelques petites affaires... " Ma soeur, elle a été jusqu'à la fac de médecine.

Les filles, c'est pas pareil, elles sont réservées chez nous, elles sont vachement réservées. Mon frère, il a fait son CAP; mon grand frère, il a fait son CAP, il a travaillé pendant dix ans dans la boîte de mon père. Ma petite soeur est hyper bonne à l'école. Les filles, si elles ne réussissent pas, le fait qu'elles se marient, bon c'est une réussite. La femme, même si elle ne travaille pas, elle aura son mari, le mari travaillera. Donc, il y a pas trop ce phénomène chez les femmes. Mais, pour mon petit frère, je fais gaffe : "Attention que je ne te voie pas traîner avec lui, un voleur !".

" Mon père, il est venu tout seul à Saint-Fons, et de là on est venus à Vaulx-en-Velin. Moi, j'ai grandi ici. Non, il n'y a pas de conflit entre frères et soeur. Non, ça va, de petites histoires, quoi...

Avec les parents ?

Mon père, il sait lire, écrire, il parle hyper bien; quelquefois, il descend même faire un tour et parle avec les jeunes. Il leur fait la morale comme si c'étaient ses fils (...). Oui, dans ma famille, ça s'est arrangé du fait que je suis sorti de prison. J'ai eu une petite discussion avec mon père, avec ma mère. Mon père m'a dit : "Quel avenir tu as ?" J'ai compris, quoi. Alors, pour lui, ça allait.

Même s'il est un peu méfiant, il se dit : "Il n'y a pas pire que la prison." (...)

- Tu n'as jamais eu de problèmes avec la drogue ?

En prison, j'ai fumé quelquefois, mais jamais la drogue plus dure, jamais ça. Comme, au départ, j'ai vu les dégâts, j'ai juré que jamais. Quelle signification a l'islam pour toi ? Franchement, c'est une grande chose dans la vie. Même là, je suis en train de gamberger.

Je dis : "Il faut que je sois dans la religion. Il faut que je prie." Tous les trois ou quatre jours, on loue une cassette avec des grands savants de l'islam, avec des Occidentaux, où ils montrent les paroles du Coran. Un des plus grands professeurs en astronomie au Japon a certifié que le Coran est la voix de Dieu.

Le plus grand savant de la NASA lui aussi a certifié. Ce qui est dit là, ça ne peut pas être humain, ça ne peut qu'être divin. Après, on peut plus nier. Quand les plus grands savants certifient, on ne peut plus nier. "

C'est très important pour moi. Quand j'étais au collège, je faisais déjà la prière, j'étais hyper bien dans ma peau, j'avais aucun vice. Bien. Au niveau de Dieu, au niveau des gens, bien. On était même arrivés les premiers dans ma classe en faisant la prière et tout. Le jour où j'ai arrêté la prière, c'est le jour où il m'est arrivé toutes les embrouilles. J'ai arrêté de faire le ramadan, la prière, je me suis retrouvé où ? Dans un trou, en prison.

- Pourquoi as-tu arrêté ?

C'est pareil, c'est les mêmes enchaînements, c'est un cercle vicieux. Mais, même en prison, j'ai pas abandonné. Avant, je ne savais pas écrire, lire l'arabe. Je suis arrivé en prison, je me suis dit : "Il faut pas que je perde mon temps il y avait un frère musulman avec nous il faut que j'apprenne l'arabe." J'ai appris l'arabe. En une semaine je savais lire. Oui, ça allait vite. C'est parce que j'aime. J'apprends hyper vite.

A partir de ce moment-là, j'ai repris la religion. Je vais aller à la mosquée tous les vendredis. Quand je vois les cassettes, quand les savants parlent, on ne peut plus nier. Il y a un Créateur. Il n'y a pas de hasard. Chaque chose est à sa place. Chaque chose a une signification. Je ne peux pas nier. La culture d'origine, c'est important pour toi ? C'est très important (...). En Algérie, on a des cultures.

En Arabie saoudite, vous avez des cultures. Il faut différencier culture et religion. Culture et religion, ça n'a rien à voir (...). Je ne suis ni arabe, ni français, je suis musulman. Je ne fais aucune différence. Si maintenant le Français devient un musulman, il est pareil que moi, on se prosterne nous devant Dieu. Il n'y a plus de races, plus rien, tout s'éteint, c'est l'unicité, on est unis. Maintenant, vous allez à la mosquée, il y a plein de Français. Il n'y a plus de différence de races. Vous entrez à la mosquée, vous êtes à l'aise tout de suite, on vous serre la main, on vous considère comme un ami qu'on connaît depuis plus longtemps. Il n'y a pas la méfiance, tous les préjugés.

Dans la rue, on dit bonjour à quelqu'un : "Pourquoi vous dites bonjour ? je ne vous connais pas !" Moi, je vois un musulman dans la rue : "Salam aleikoum !"; il me regarde avec un grand sourire, on s'arrête et on discute.

C'est la reconnaissance d'autrui, on est frères même si on ne se connaît pas. Il y a aussi des jeunes qui disent : "Je suis arabe, ni musulman ni français." Attention, [certains] ont formé un racisme des deux côtés. Il y a aussi des Arabes qui sont vachement racistes contre les Français. Ils leur en veulent à mort, c'est obligé.

Et c'est vrai, il y en a qui disent : "Je ne suis pas français, je suis arabe." (...) Que tu sois asiatique, noir, rouge, si tu es musulman, on est tous frères. C'est l'unicité. Comme maintenant vous avez l'Europe... Qu'est-ce qu'ils veulent faire ? Ils veulent s'unir.

Pourquoi ? Pour former une force, et les musulmans c'est pareil. Le premier pilier de l'islam, c'est l'unicité. J'avais vu une cassette où le mec disait : "Si le monde entier prenait le premier pilier de l'islam, l'unicité, il n'y aurait pas un misérable sur terre."

- Le temps, c'est important pour toi dans tout ce que tu as vécu ?

Le temps ou l'époque ? C'est vrai, les gens, même les Français, n'osent plus faire des enfants, parce qu'ils ont peur de l'avenir. Ils se disent : "Déjà nous, en tant qu'adultes, on n'arrive pas à se démerder, alors mon enfant, plus tard, comment il va faire ? Il va falloir les nourrir, leur trouver une situation." Déjà pour eux, ils ne sont pas sûrs. Alors, l'avenir, c'est sûr pour personne (...). C'est comme un papillon, ça vit un jour, mais pour lui c'est toute une vie.

- Quels sont tes loisirs ?

Nous, on n'a pas de loisirs. Moi, personnellement, maintenant, il ne faut plus me parler de boîtes, machin. Déjà, dans une classe, j'ai pas ma place. Alors imagine dans une boîte ! Je regarde des cassettes. On loue des cassettes, on fait un billard, on va en ville, on fait un petit tour, on drague. On essaie de voir où il y a des gens sympathiques.

Moi, personnellement, je ne regarde pas où il y a une concentration. Si le mec dans un bar nous accueille bien, je reviendrai dans deux ou trois jours. Je préfère donner mon argent à quelqu'un qui ne me regarde pas de travers, donc on essaie de trouver un petit bar sympathique.

- Il y a une différence entre Vaulx-en-Velin et Lyon ?

Ah oui ! Elle est dans la froideur.

Je monte dans le métro : il y a quelqu'un qui met son sac à côté. Ça m'énerve, ça, ça m'énerve ! Quand vous allez chercher du boulot, vous dites que vous habitez Vaulx-en-Velin... alors vous ne sortez pas votre nom. C'est vite fait, bien fait.

- La différence entre la ville et la banlieue, c'est important ?

Oui, il y a trop d'écart, un grand mur, un énorme mur. Ceux qui sortent de la banlieue pour aller en ville, ils essaient de passer à travers, de se faire tout petits.

Vous avez une concentration en ville, vous êtes sûr de vous faire remarquer. Vous rentrez nombreux dans un bar... les Français peuvent entrer nombreux dans un bar. Mais nous, si on entre à sept ou huit, il devient fou, le mec. Pour moi, dès que je sors d'ici, je ne suis plus chez moi. - Tu aimerais quitter Vaulx-en-Velin ? Moi, j'aimerais faire une chose : quitter la France entière.

Oui, pour toujours. Aller où ? Ben, retourner chez moi, en Algérie. J'ai pas ma place ici. Parce que maintenant il suffit qu'un employeur se renseigne : celui-là a fait de la prison. Il y a un vol dans l'établissement, ça va être moi. " Des fois, il y avait une calculatrice qui disparaissait dans la classe... J'étais pas un voleur, j'étais rien; mais, en étant le seul Arabe, je me sentais mal en pensant "Tous les gens doivent penser que c'est moi".

Et vous avez des regards indiscrets. Je me dis : "Qu'est-ce que je fous là ? On ne m'accepte pas ici, j'ai rien à faire ici." Tu crois que tu vas vraiment quitter la France un jour ? Inch Allah, si Dieu le veut, je vous jure que je quitte la France. [Suit un dialogue de Khaled Kelkal avec l'un de ses amis sur les activités de la jeunesse à Vaulx-en-Velin. Khaled Kelkal revient sur l'islam à propos de "l'image négative" que s'en font les Occidentaux.] Ils pensent toujours à l'Iran.

Mais c'est un pays qui est à des milliers de kilomètres, qui n'a rien à voir ! Nous, on n'a rien à voir avec l'Iran. Eux, c'est des intégristes, mais à fond ! Et encore, c'est même pas des musulmans parce que, eux, ils ne disent même pas que Mohamed est le Prophète. Ils disent que c'est Ali, le neveu de Mohamed. Ça, c'est faux. C'est dire que Dieu ment.

Et même le chiisme a été créé par un juif. Parce qu'à l'époque, les juifs, ils étaient tellement repoussés, ils avaient peur de mourir. Qu'est-ce qu'ils ont créé ? Une sorte de secte, le chiisme, pour pouvoir s'intégrer avec les Arabes. Et à partir de là, eux, ils ne sont plus des musulmans. Les chiites ne sont pas des musulmans, donc instruis-toi, regarde, lis le Coran, comme dans la cassette, le bonhomme le dit, le savant. Dieu dit : "Celui qui voudra trouver une faille dans le Coran trouvera la faille." Je vous jure que le plus grand professeur du Japon a levé le doigt et a dit qu'Allah était Dieu et que Mohamed est son prophète.

Pourquoi ? Parce que lui il le sait, il a fait des recherches, et je vous jure que les plus grands savants du monde l'ont dit. - Y a-t-il des lieux de rencontre pour les jeunes dans le quartier ? Il n'y a pas de concentration dans un point précis (...). Les gens, juste le fait de se concentrer, ils se disent : "Regarde ils nous voient du mauvais oeil il y a des concentrations, des Arabes..." Alors nous, on ne peut pas se permettre.

Ça serait bien, comme je vois par exemple tous les jeunes de la campagne, ils se trouvent sur la place de la mairie, ça discute, ça gueule, mais les gens ne disent rien, ils s'amusent. Mais nous, si on fait ça, on ne s'amuse pas (...). Aucun type que je connais, de mon âge, n'est dans une association. Aucun de tous les quartiers que je connais. La seule association dont on a entendu parler, c'est la mosquée, c'est l'association mosquée.

C'est eux qui viennent jusque dans notre quartier, qui nous parlent. Ils nous proposent ça et ça : "Je t'oblige pas, moi je t'ai parlé, maintenant c'est à toi de choisir." C'est ça l'association, c'est eux qui se déplacent, ils viennent nous chercher. "Au lieu de rester là, venez à la mosquée, venez apprendre, ce ne sera que pour votre bien."

- Qu'est-ce que vous pensez de la politique à Vaulx-en-Velin ?

Politique hypocrite... La moitié des gens, quand on demande, qu'est-ce qu'une élection cantonale, ils ne savent pas. Election régionale ? Ils ne connaissent pas. Election législative ? Ils ne connaissent pas. Ben, comment le jeune il peut aller voter ? Il voit que dans sa ville, déjà, le maire c'est un enfoiré. Comment un mec qui ne le connaît même pas il va voter pour lui ? (...). C'est surtout les commerçants qui tiennent Vaulx-en-Velin. Ils tiennent la police. On a entendu parler d'une milice des commerçants (...). Les flics, ils ont dit : "Si vous vous défendez, défendez-vous, tirez sur eux, nous on s'en fout."

" Moi, j'étais intéressé à la politique, j'ai suivi la politique, mais c'est de la connerie. Bien sûr, je m'intéresse à la vie de Vaulx-en-Velin, mais je vois que le maire, c'est que l'image de marque, c'est son image de marque qu'il préserve, c'est tout. Vaulx-enVelin est toujours dans la misère. Quand ils disent : "On a refait le Mas du Taureau, c'est une image de marque." Il s'occupe de quoi ?

De questions matérielles. Discussion avec les jeunes ? Le maire, il dit : "Tous les vendredis après-midi, les jeunes ont le droit de venir me voir." Les jeunes, ils viennent, mais le maire n'est jamais là. Reprenez rendez-vous... Les mecs, s'ils viennent deux, trois fois, ils en ont marre. Ils disent c'est un menteur, ce type (...). Si maintenant, moi, je veux prendre un appartement à Vaulx, c'est impossible.

Ça dépend si c'est un mec avec des fiches de paie et trois ans de boulot. Un dossier, attendre un an ou plus... Tandis que les couples français, ils passent avant, ça c'est sûr et certain. Ils préfèrent mettre des populations comme ça que des Arabes (...). " Moi, j'ai aucun droit. Moi, maintenant, je suis dans la rue, on m'agresse, je me défends, c'est lui qui a raison, c'est moi qui a tort. Ça, c'est sûr et certain. Vu que moi, j'ai déjà fait de la prison. Même une bande de skins, ils m'agressent, je me défends légitimement, c'est moi qui prends (...).

- Comment tu éduquerais tes propres enfants ?

Pour moi, les Occidentaux, ils ont aucun respect. Jamais je pouvais fumer devant mon grand frère, j'ai honte de fumer, c'est le respect. Jamais je pourrai sortir avec une femme, je l'amène chez moi et je l'embrasse devant mes parents, ça serait impossible.

Le mec qui baise sa femme devant ses parents, c'est de la liberté ? Non, c'est un manque de respect. Il y en a même qui regardent des films pornographiques avec leurs parents. C'est une honte, un manque de respect. Ils insultent la religion. Pour moi, musulman, la religion chrétienne, c'est une fausse religion, parce que tous les ans vous avez une nouvelle version de la Bible (...).

Moi, je ne peux pas élever mes enfants comme je vois que les gens le font. C'est impossible. Nos parents nous ont donné une éducation, mais en parallèle les Français nous ont donné une autre éducation, leur éducation. Il n'y a pas de cohérence. Il y a un petit peu de ça, un petit peu de ça, un petit peu de ça. Non, moi, personnellement, il faut qu'il y ait des principes et des respects. S'il n'y a pas ça, tout s'écroule.

- Comment vois-tu l'avenir de ton quartier ?

Je pense aux Etats-Unis. C'est que le commencement. Ça va tellement chauffer et ce sera trop tard. J'ai un mec qui vient de sortir d'un bac professionnel, c'est un bon travailleur, il est vachement motivé. Il vient de sortir de l'école et il est au chômage. Il dit : "Je veux travailler dans ma branche." On lui propose quoi ? des boulots... Charger des camions. J'ai pas fait des études pour charger des camions. J'ai vu un type, il était en BTS en chaudronnerie, il a eu son BTS, et pas de boulot. Il m'a dit : "Mon diplôme, il sert à rien." Il a été voler, il a pris de la prison, deux ans. Pourquoi ? Parce qu'il n'avait pas de boulot. La reconnaissance...

- Tu as des projets ?

Moi, j'espère, Inch Allah, retourner dans mon pays et monter quelque chose. Travailler un peu et mettre un peu d'argent à côté. Je ne veux pas vivre, je ne veux pas dépendre de ces gens. Quand j'aurai assez d'argent pour pouvoir ouvrir un petit commerce, quelque chose à moi... Si je travaille, je mange. Si je travaille pas, je crève. C'est tout, ça dépendra de moi et pas de quelqu'un d'autre."

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