Peugeot et Dong Feng Motors Corporation
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Historiquement la famille Peugeot, à l'origine de PSA (Peugeot Société Anonyme) a toujours tout fait pour garder la mainmise sur « son » groupe depuis 1810. Ainsi, l'entrée du monopole chinois Dong Feng Motors Corporation (DFMC) et de l’État français au capital de PSA Peugeot Citroën est d'une grande importance pour l'histoire et la nature de l'impérialisme français.
Avec 25 % du capital détenu, la famille Peugeot était le premier actionnaire et avait en fait 38 % des droits de vote au conseil d'administration, par ailleurs présidé par l'un de ses membres, Thierry Peugeot. C'est-à-dire qu'elle avait l'hégémonie, une hégémonie qui lui donnait de la puissance face à la classe ouvrière. Elle n'a que rarement été ébranlée sur ses bases comme à Sochaux en 1968.
Pour relancer le groupe en perte de vitesse du fait de la crise du capitalisme et de l'intensification de la concurrence inter-impérialiste, la famille Peugeot est aujourd'hui contrainte de perdre son contrôle. Le conseil d'administration du groupe a validé l'augmentation et l'ouverture du capital mercredi 19 février 2014. En apportant chacun 800 millions d'euros, Dongfeng Motor Corporation et l'État français obtiennent chacun 14 % du capital, la part de la famille Peugeot baissant pour être aussi à 14 % (le reste est partagé par des petits actionnaires forcément minoritaires).
PSA n'est donc plus une entreprise industrielle familiale, maist devient un groupe franco-chinois avec trois actionnaires principaux. C'est également un poids lourds: PSA est actuellement le deuxième trust européen dans la production d'automobile avec près de 3 millions de véhicules en 2012, assez loin derrière cependant du trust allemand Volkswagen AG (Audi, Porsche, Seat, etc.) qui a produit 9,2 millions de véhicules la même année.
Surtout, de 6e trust automobile mondial en 2009, PSA est passé à la 9e place en 2012 et sa production a baissé de près de 5 % en 2013. Il a aussi été affecté par le retrait du premier trust mondial du secteur, l'américain General Motors Corporation qui a détenu 7 % du capital de PSA entre 2012 et 2013. En 2013 PSA enregistre d'ailleurs une perte nette de 2,3 milliards d'euros.
Le groupe DFMC est de son côté un trust détenu et organisé au niveau de l'État chinois (son ancien directeur est aujourd'hui ministre de l'industrie et son président actuel est secrétaire au Parti « Communiste » de Chine). Il a été fondé en 1968/1969 à l'époque de Mao Zedong dans la province du Hubei et son nom signifie littéralement « vent d'est », mais est devenu une entreprise capitaliste, forcément, avec l'arrivée au pouvoir de Deng Xiao Ping.
Le groupe DFMC est même le deuxième groupe automobile chinois avec 3 millions de véhicules en 2012 (dont seulement 200.000 voitures avec ses propres marques) et est associé avec PSA depuis les années 1990.
Alors, en quoi consiste l'accord validé par le conseil d'administration de PSA ?
Le groupe PSA a besoin de capitaux, concrètement il a besoin de financements pour relancer son activité. Le capital financier français n'est pas en mesure d'assumer seul cette tâche, c'est la raison pour laquelle il a été trouvé un accord avec la Chine d'un côté et que parallèlement a été annoncé l'ouverture du capital de la banque « Banque PSA Finance » - qui sert originellement aux opérations de refinancement du groupe et à la vente de crédits pour l'achat de ses voitures – au trust financier espagnol Santander.
Les monopoles chinois ont des grosses capacités d'obtention de crédits, de par leur position particulière au milieu des contradictions inter-impérialistes, ainsi que de leur taux de croissance important. Ils sont en mesure de lever rapidement des sommes immenses, c'est ce qui intéresse le groupe PSA en mauvaise posture.
Pour sa part DongFeng Motor Corporation a besoin d'un accès aux technologies du groupe PSA qui est le premier déposant de brevets en France. Et bien sûr le capital chinois n'a pas la même valeur capitalistique que le capital français, fruit de plus d'un siècle de développement impérialiste. La plus-value intégrée dans le capital industriel français est bien plus importante que celle du capital industriel chinois, malgré son apparente (et relative) puissance.
La direction de DFMC a d'ailleurs ouvertement expliqué :
« Nous allons retirer de cet investissement des bénéfices – technologiques et autres – qui vont nous permettre de développer nos propres voitures. »
Il doit être créé un centre de recherche commun aux deux groupes pour développer de nouvelles technologies de moteurs, notamment le système Hybrid Air qui pourrait permettre une plus faible consommation et une meilleure autonomie.
Dorénavant, c'est Carlos Tavares qui doit prendre les rênes du groupe PSA. Il a déjà annoncer le nom de son plan de restructuration, « Back in the race » (de retour dans la course). Celui-ci devrait être « davantage orienté "business" » . Carlos Tavares n'est pas quelqu'un de neutre vis-à-vis de PSA, il a été le numéro 2 de Renault et y a fait pratiquement toute sa carrière depuis 1981. Il est donc directement lié à l'État français.
Là aussi la situation est historique, car la famille Peugeot avait toujours refusé l'ingérence de l'État français. Même en 1976 quand elle a absorbé, sous l'impulsion de l'État, la marque Citroën en faillite, elle a toujours cherché à marquer son indépendance.
En 1934 alors que se développait la bataille contre le fascisme en France, le président du conseil Édouard Daladier avait dénoncé «
les 200 familles » détenant le pouvoir sur la Banque de France. Le terme est devenu très populaire et a même été repris par le Parti Communiste de Maurice Thorez dénonçant de manière révisionniste « l'oligarchie ». La famille Peugeot est une de ces grandes familles traditionnelles de la bourgeoisie française, avec cette particularité d'être protestante, qui a su se maintenir jusqu'au XXIe siècle.
La fortune de la famille est évaluée à un peu plus d'un milliard d'euros ; elle fait partie des dizaines de familles les plus riches. Beaucoup de ses membres sont des cadres importants de PSA.
Mais le modèle ne fonctionne plus, la bourgeoisie industrielle est prête à faire des compromis pour éviter la catastrophe, et cela passe par le renforcement de l'impérialisme français. Marine Le Pen elle-même, la grande représentante de la partie la plus agressive de la bourgeoisie impérialiste française, n'est pas opposée sur le fond à cet « accord chinois » dans la mesure où, dit-elle, celui-ci est un plan pour relancer le trust français.
Les trusts français comme PSA dégagent de la plus-value. Ils ont une valeur industrielle, technologique et commerciale importante. Le nouveau directeur Carlos Tavares entend d'ailleurs miser là-dessus en développant une marque haut de gamme « DS » indépendante de la marque Citroën à laquelle elle est historiquement liée. La gamme DS d'aujourd'hui est un rappel de la Citroën DS, véhicule haut de gamme produit entre 1955 et 1975 qui bénéficiait internationalement d'une grande image, associé à un savoir-faire français et à une « touche » française.
Mais pour autant, l'impérialisme français n'a pas les moyens de ses ambitions ; il est à la peine dans la concurrence face aux autres impérialismes.
Ainsi, en même temps que cette annonce, historique, du recul de la famille Peugeot, il y a des annonces sur les difficultés du monopole Alstom. Cela a été évoqué alors que le groupe Bouygues décidait de dévaluer ses actions au sein du groupe Alstom. La stratégie du grand trust Bouygues avait été, après avoir mis la main sur Alstom, de mettre la main sur Areva afin de constituer un groupe unifié dans le secteur de l’énergie.
Cela fut un échec de la même manière que, inversement, la stratégie mise en place par Anne Lauvergeon pour faire la même chose mais avec le groupe Areva, a échoué.
Les faiblesses de l'impérialisme français ont fait obstacle à une concentration monopolistique à grande échelle dans le secteur de l’énergie, des groupes comme EDF ou GDF-Suez cherchant chacun à se maintenir.
Aujourd'hui le premier trust industriel automobile français est donc lui aussi en difficulté. L'impérialisme français fait un pari risqué en collaborant avec le trust chinois DFMC, mais il n'a pas le choix. Pour combler ses faiblesses et se positionner de manière plus agressive dans la compétition inter-impérilaiste, il est contraint d'offrir l'accès aux technologies de PSA a un groupe qui sera certainement, dans les 15 ou 20 prochaines années, un de ses plus importants concurrents.