Kasimir Malevitch et le carré blanc sur fond blanc – 4e partie : un pseudo esprit de construction
Submitted by caviaLe suprématisme est typique des prétendues avant-gardes ayant essaimé l'Europe au début du XXe siècle ; celles-ci, au nom du refus de l'académisme, ont basculé dans un culte du moi, de la subjectivité, aboutissant inéluctablement au subjectivisme le plus complet.
C'était le chemin de l'art moderne à l'art abstrait, puis à l'art contemporain. C'était l'expression, le reflet de la décadence de la bourgeoisie en tant que classe.
Kasimir Malevitch combine la dénonciation du conservatisme et une phraséologie de type ultra-révolutionnaire, masquant en réalité un nihilisme propre à une fuite en avant dans l'idéalisme.
Son approche sous-tend par conséquent, de manière inévitable, un soutien à la tentative fasciste de célébrer des formes pures, au lieu de la réalité matérielle, selon le principe du pseudo-dépassement de soi-même vers l'idéal.
Comme Kasimir Malevitch était toutefois actif dans les années 1910-1920, il devait maquiller sa tentative bourgeoise derrière une négation radicale de l'ancien au nom du nouveau, pour prétendre correspondre à la révolution socialiste.
Dans son document de 31 pages intitulé Du cubisme et du futurisme au suprématisme – le nouveau réalisme pictural, publié en 1916, Kasimir Malevitch affirme par exemple la chose suivante :
« Quand la conscience aura perdu l'habitude de voir un tableau la représentation de coins de nature, de madones et de vénus impudentes, nous verrons l'oeuvre purement picturale.
Je me suis métamorphosé en zéro des formes et me suis repêché dans le tourbillon des saloperies de l'Art académique.
J'ai brisé l'anneau de l'horizon, je suis sorti du cercle des choses, de l'anneau de l'horizon, qui emprisonnent le peintre et les formes de la nature (…).
Reproduire des objets et des coins de nature favoris, c'est agir à la manière d'un voleur qui contemplerait avec admiration ses pieds enchaînés (…).
Leurs corps volent dans des aéroplanes, tandis que l'art et la vie sont dissimulés sous les vieilles robes des Néron et des Titien.
Voilà pourquoi ils ne peuvent pas remarquer la beauté nouvelle de notre vie contemporaine. Parce qu'ils vivent sur la beauté des siècles passés.
Voilà pourquoi ont été incompris les réalistes, les impressionnistes, le cubisme, le futurisme et le suprématisme.
Ces derniers ont rejeté les robes du passé, sont montés à la surface de la vie actuelle et ont découvert les beautés nouvelles.
Et je dis :
Aucun des cachots de l'Académie ne résistera au temps en marche. »
Reste naturellement la question du contenu et dans le même document, on lit :
« Nous n'avons pas renié le futurisme parce qu'il était périmé ou que sa fin était arrivée. Non. La beauté de la vitesse qu'il a trouvé est éternelle et nombreux seront ceux à qui il aura révélé la nouveauté.
Grâce à la vitesse du futurisme, nous courons vers notre but, et, comme la pensée est rapide, ceux qui sont encore futuristes sont plus près de l'objectif et plus loin du passé.
Votre incompréhension est parfaitement naturelle. Celui qui roule toujours en carriole peut-il vraiment comprendre les émotions et impressions de celui qui voyage en express ou fend les airs ?
L'académie est une cave couverte de moisissure où l'on flagelle l'art.
Les guerres gigantesques, les grandes inventions, la victoire sur les airs, la vitesse de déplacement, les téléphones, les télégraphes, les cuirassés d'escadre marquent le règne de l'électricité.
Pendant ce temps, notre jeunesse artistique peint des Néro et des guerriers romains à demi-nu.
Honneur aux futuristes qui ont interdit de peindre des cuisses de femmes, des portraits et des guitares au clair de lune.
Ils ont accompli un immense pas en avant, ils ont jeté la chair et glorifié la machine. La chair et la machine sont les muscles de la vie. L'un et l'autre sont les corps qui propulsent la vie. »
Ces propos ne se distinguent en rien du discours futuriste traditionnel, dans tout ce qu'il a de nietzschéen et, par ailleurs, de largement convergents avec les thèses fascistes.
Kasimir Malevitch s'en distingue donc avec une pseudo-apparence socialiste : s'il parle de la chair et de la machine, c'est parce qu'il promeut un esprit pur qui, au moyen des forces matérielles, décide du réel lui-même.
La création prenait auparavant le réel comme prétexte à l'art, mais désormais l'art doit devenir pur, projet entièrement spirituel, construisant une nouvelle réalité.
Pour cette raison, Kasimir Malevitch rejette le futurisme lui-même, dans la mesure où il y a encore une représentation de quelque chose de réel et non pas de « construit » par l'esprit :
« Dans l'art pictural, la preuve de la création intuitive était fausse, car la monstruosité est le fruit du combat interne de l'intuition dans la forme du réel.
L'intuition est la raison nouvelle qui crée consciemment les formes. Mais le peintre asservi par la raison utilitaire mène un combat inconscient où, à tour de rôle, il se soumet à la chose, ou la défigure. »
Tant le futuriste qui déforme que le réaliste qui ne déforme pas restent prisonniers du réel, selon Kasimir Malevitch.
Le suprématisme apparaît alors comme la libération de la tyrannie du réel :
« Plus d'amour du joli petit coin, plus d'amour au nom duquel on trahissait la vérité de l'art.
Le carré n'est pas une forme subconsciente. C'est la création de la raison intuitive.
La face de l'art nouveau !
Le carré est un nouveau-né vivant et majestueux. Le premier pas de la création pure dans l'art.
Avant lui, il y avait des défigurations naïves et des copies de la nature. Notre monde artistique est devenu neuf, non-objectif, pur. »
Il y avait là de quoi fasciner des jeunes révolutionnaires épris d'un esprit de construction, que le suprématisme semblait réaliser aux côté du constructivisme et du proletkult.