Les illuminations d'Arthur Rimbaud - 8e partie : mouvement et spatialisation
Submitted by Anonyme (non vérifié)Avant de dresser la liste des trois moments dans chaque poème formant ces Illuminations produites par Arthur Rimbaud, prenons trois exemples, qui sont les plus réussis, et par conséquent les plus parlants.
Voici Aube et Les ponts, les poèmes les plus connus, justement car les plus exemplaires. Dans les deux cas sont indiqués le démarrage et la clôture ; les indications de mouvement sont soulignés, ainsi que ceux relevant de la spatialisation.
Aube
J'ai embrassé l'aube d'été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall [cascade en allemand] blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. À la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.
Au réveil il était midi.
Les Ponts
Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres descendant ou obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits éclairés du canal, mais tous tellement longs et légers que les rives chargées de dômes s'abaissent et s'amoindrissent. Quelques-uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D'autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets. Des accords mineurs se croisent, et filent, des cordes montent des berges. On distingue une veste rouge, peut-être d'autres costumes et des instruments de musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d'hymnes publics ? L'eau est grise et bleue, large comme un bras de mer. — Un rayon blanc, du haut du ciel, anéantit cette comédie.
On voit bien comment les verbes d'action s'inscrivent dans une spatialisation délirante, le mouvement étant ce qui permet de se dégager du n'importe quoi pour posséder une dynamique... qui pour autant n'aboutit pas vraiment quelque part pour autant.
Le poème le plus représentatif d'Arthur Rimbaud est à ce titre Conte, car on y voit bien comment, finalement, le rêve est pris comme moyen d'exprimer le solipsisme. On est là a face à un individu s'imaginant seul à exister. Le Prince découvrant qu'il est le Génie alors que les deux s'aiment - on est ici dans un délire - en dit long sur l'auto-centrage du poète, propre au développement de la bourgeoisie comme classe.
On notera que le mouvement et la spatialisation se retrouvent surtout dans la seconde partie, la première partie soulignant la volonté, le désir, l'envie, etc., ce qui témoigne bien du subjectivisme. Le terme désir conclut d'ailleurs le poème.
CONTE
Un Prince était vexé de ne s’être employé jamais qu’à la perfection des générosités vulgaires. Il prévoyait d’étonnantes révolutions de l’amour, et soupçonnait ses femmes de pouvoir mieux que cette complaisance agrémentée de ciel et de luxe. Il voulait voir la vérité, l’heure du désir et de la satisfaction essentiels. Que ce fût ou non une aberration de piété, il voulut. Il possédait au moins un assez large pouvoir humain.
Toutes les femmes qui l’avaient connu furent assassinées. Quel saccage du jardin de la beauté ! Sous le sabre, elles le bénirent. Il n’en commanda point de nouvelles. — Les femmes réapparurent.
Il tua tous ceux qui le suivaient, après la chasse ou les libations. — Tous le suivaient.
Il s’amusa à égorger les bêtes de luxe. Il fit flamber les palais. Il se ruait sur les gens et les taillait en pièces. La foule, les toits d’or, les belles bêtes existaient encore.
Peut-on s’extasier dans la destruction, se rajeunir par la cruauté ! Le peuple ne murmura pas. Personne n’offrit le concours de ses vues.
Un soir il galopait fièrement. Un Génie apparut, d’une beauté ineffable, inavouable même. De sa physionomie et de son maintien ressortait la promesse d’un amour multiple et complexe ! d’un bonheur indicible, insupportable même ! Le Prince et le Génie s’anéantirent probablement dans la santé essentielle. Comment n’auraient-ils pas pu en mourir ? Ensemble donc ils moururent.
Mais ce Prince décéda, dans son palais, à un âge ordinaire. Le prince était le Génie. Le Génie était le Prince. — La musique savante manque à notre désir.