La femme de Seisaku (Seisaku no tsuma)
Submitted by Anonyme (non vérifié)Ce film de 1965 est une fable anti-militariste et anti-impérialiste comme il en existait beaucoup au cours des années 60-70 au Japon (on peut penser notamment à Eté japonais : double suicide contraint d'Oshima). L'arrière-plan historique est celui de la guerre russo-japonaise de 1904-1905.
Le film narre l'histoire d'Okane, une femme issue d'une famille pauvre contrainte de se marier très jeune à un homme plus riche et beaucoup plus âgé qu'elle. A la mort de ce dernier, Okane retourne dans le village de son enfance où elle subit les railleries des paysan sur sa condition. Elle est perçue, de manière patriarcale, comme profitant de la mort de son mari.
Les villageois l'accusent ainsi de "moeurs légères" et de manque de morale mais il apparaît clairement qu'ils jalousent sa liberté (malgré sa pauvreté) et sa grande beauté. De fait, Okane se place en retrait du village et incarne uen forme de rebellion par rapport à le mentalité arriérée qui y prédomine. Elle est la seule à ne pas réagir au retour du "héros" local, Seisaku, qui combat sur le front contre les Russes.
Seisaku est un soldat galvanisé par le nationalisme ambiant. Lors de son retour au village, il suspend une cloche à un arbre en haut d'une colline et la fait sonner chaque matin à l'aube pour exorter les villageois à se lever plus tôt dans un grand élan de patriotisme.
Okane est la seule qui fait la sourde oreille et continue de mener son train de vie habituel, ce qui l'expose encore plus à l'opprobe du reste du village. Exaspéré par son attitude, Seisaku lui demande un jour des explications. Petit à petit, il tombe fou amoureux d'Okane qui est la seule femme du village à posséder une telle personnalité. Ils commencent à vivre tous les deux une véritable passion qui suscite l'indignité générale des villageois.
Seisaku change progressivement au contact mais n'en demeure pas moins attaché à son pays et prêt à être remobilisé pour la guerre. Okane qui ne supporte pas de le voir partir à la guerre, celle-ci comme n'importe quelle autre qui pourrait survenir, lui crève soudainement les yeux. La métaphore est assez limpide : en lui crevant les yeux, elle lui a en vérité ouvert les yeux sur l'absurdité de la guerre et le fait de mourrir à la guerre au seul bénéfice de l'impérialisme.
Seisaku, loin de recevoir la compassion des villageois, est au contraire copieusement insulté. Tout le village le considère comme un traître, un lâche qui s'est volontairement mutilé pour éviter de partir à la guerre. Après l'avoir détestée dans un premier temps, Seisaku comprend qu'Okane a agi par amour pour le préserver d'une mort quasi certaine, et stupidement "héroïque", à la guerre. Seisaku et Okane continueront de s'aimer. Leurs sentiments ont triomphé de l'idéologie dominante marquée par l'impérialisme.
Il faut aussi relever dans ce film le rôle important de l'"idiot du village", Heisuke, un être sensible rejeté par tous sauf Okane qui le protège. Heisuke s'oppose aux délires patriotiques de Seisaku et se bat même avec lui en haut de la colinne où la cloche est accrochée à un arbre.
Ce très beau film est d'autant plus remarquable qu'il s'attaque à un véritable monument de patriotisme au Japon, à savoir la guerre russo-japonaise, le premier conflit "remporté" par un pays non occidental sur un pays occidental. A travers cet exemple historique, la critique s'adresse bien entendu à l'impérialisme et les geurres qu'il engendre, au nationalisme qu'il propage ne répandant que la mort sur son passage.
Dans la même veine anti-militariste, Masumura réalisera un autre classique, L'ange rouge, dont l'histoire est une nouvelle fois empreinte de métaphorisme. On y voit une infirmière (la même actrice que pour Okane) horrifiée par les mutilations atroces des soldats (mais encouragée par ses supérieurs à y rester insensible) pendant la guerre sino-japonaise. Elle cherche l'amour du chirurgien en chef survivant dans cet enfer grâce aux injections de morphine qui le rendent impuissant...