19 fév 2014

Crise de Libération: la fin d'un journal de la bourgeoisie moderniste

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Le quotidien Libération connaît une crise très profonde, il est en faillite et ses propriétaires veulent utiliser les locaux parisiens – une sorte d'ancien garage avec une « voie » qui monte en serpentant – pour en faire une librairie cafétéria et un plateau audiovisuel, le quotidien n'existant alors grosso modo plus qu'en ligne.

Les journalistes de Libération protestent, et le Nouveau Parti Anticapitaliste les soutient :

« Les actionnaires de Libération s’apprêtent à brader leur journal en bar, en lieu de restauration, en espace culturel, en plateaux télé, tout cela pour s’assurer le maintien de leurs profits. Ce faisant ils font mourir un journal, ils affaiblissent la presse, ils remettent en cause un peu plus la liberté d’expression. Au moment où les journalistes se battent contre ce plan de redressement inacceptable, le NPA tient à leur manifester sa solidarité. Le maintien d’une presse indépendante des marchands, des actionnaires, des capitalistes est plus que jamais à l’ordre du jour.

Montreuil, le 13 février 2014 »

Il est intéressant de voir que le 17 février, soit 4 jours après le communiqué, Olivier Besancenot du Nouveau Parti Anticapitaliste passait en même temps dans une interview, sur les chaînes BFM-TV et i-Télé.

On reconnaît ici la position petite-bourgeoise sur la démocratie bourgeoise, qu'on pourrait « utiliser ». On est là tout à fait dans l'illusion de la démocratie bourgeoise et sa pseudo liberté de la presse.

Car il ne saurait y avoir de presse indépendante de la bourgeoisie sous le capitalisme, à part par un parti d'avant-garde, aux moyens donc forcément limités, à part, pour prendre un exemple français, avec la situation particulière des années 1917-1953 en France lorsque l'URSS et l'Internationale Communiste appuyait matériellement (et idéologiquement) les communistes.

Comme l'a expliqué Lénine :

« Par liberté de la presse, la bourgeoisie entendait la liberté pour les riches de publier des journaux, pour les capitalistes de mettre la main sur la presse, mainmise qui conduisait en fait partout, dans tous les pays, sans en excepter les plus libres, à la vénalité de la presse. »

« Les capitalistes (et, à leur suite, par stupidité ou par inertie, nombre de socialistes-révolutionnaires et de mencheviks) appellent «liberté de la presse» la suppression de la censure et la possibilité pour tous les partis d'éditer des journaux à leur gré.

En réalité, c'est non pas la liberté de la presse, mais la liberté pour les riches, pour la bourgeoisie, de tromper les masses populaires opprimées et exploitées. »

Regardons les faits. Qui forme les journalistes ? Qui les paie ? A quelle classe appartiennent-ils ? Quelle est leur vision du monde, leurs intérêts ? De fait, les journalistes de Libération sont des intellectuels au service du capitalisme, dans une version moderniste de gauche par ailleurs flagrante, même plus masquée.

Les personnes lisant « Libé » en ayant justement assez, de cela comme des titres fonctionnant toujours au jeu de mots (comme souvent en France, depuis le quotidien gratuit « Metro » jusqu'à « Réflexes »), les ventes s'effondrent.

100 000 « Libé » sont vendus chaque jour, ce qui n'est rien au final ; on est là à la fin d'un processus commencé par la mystification des débuts, lorsque Libération profitait de l'aura de la Gauche Prolétarienne dont elle était issue, se présentant comme sa continuité démocratique dans le domaine de la presse, son dépassement « populaire ».

Cette apparence contestataire a de plus en plus disparu, pour se transformer en simple idéologie bobo, d'où d'ailleurs les soutiens dans la bourgeoisie moderniste de gauche, qui a appuyé le journal puis se l'est même acheté : Libération appartient à une série d'actionnaires de la haute bourgeoisie (Bruno Ledoux et Édouard de Rothschild pour moitié, Pierre Bergé, David de Rothschild, Bernard-Henri Lévy, etc.).

Le Nouveau Parti Anticapitaliste ne représente plus rien : il n'existe que par le soutien d'une partie de la presse, dont Libération. Si Libération tombe, c'est ainsi une catastrophe pour la bourgeoisie bohème, de gauche comme d'extrême-gauche.

Cela est vrai pour nombre de gens se définissant comme « artistes » ou « intellectuels », parasitant pareillement une partie de la bourgeoisie.

Une pétition, signée par exemple par Agnès Varda, Agnès Jaoui, Robert Guédiguian, Léos Carax, Laurent Cantet, les frères Dardenne, Bruno Podalydès, Pascale Ferran, Valérie Donzelli, Vincent Macaigne, Jerémie Elkaïm, Frédérique Bel, Virginie Ledoyen, Riad Satouf, Alex Beaupain, ose expliquer, sans aucune honte :

« Libération est un contre-pouvoir décisif aux pouvoirs politiques et au libéralisme ambiant (...) Alors que ces journalistes sont aujourd'hui en lutte contre un plan de redressement absurde des actionnaires qui cherchent à monétiser la marque au risque de vider le journal de son contenu, nous sommes à leurs côtés. »

« Nous ne voulons ni d'un restaurant, ni d'un espace culturel, ni d'un plateau télé, ni d'un bar, ni d'un incubateur de start-up, nous voulons notre journal tous les matins. »

C'est tout à fait hypocrite et ridicule : on est là dans la mystification la plus totale. Libération diffuse une idéologie libérale-libertaire typique ; ce quotidien n'est en rien un « contre-pouvoir », bien au contraire. La seule chose qu'il fasse, c'est être la voix d'une fraction de la bourgeoisie contre une autre.

Et ce qu'il faut voir ici, c'est que la fraction moderniste a besoin de sang neuf. Elle ne peut plus se contenter des vieilles marionnettes. Ainsi, et c'est là le paradoxe, le projet des actionnaires est justement un retour aux sources des débuts de Libération. Leur projet explique ainsi que Libération doit devenir :

«un réseau social, créateur de contenus, monétisable sur une large palette de supports multimédias (print, vidéo, TV, digital, forums, événement, radio, etc.)»

Or, c'était le but du Libération des débuts, sous la forme seulement d'un quotidien en raison des moyens techniques évidemment. Libération devait assembler des initiatives diverses, des compte-rendus pratiquement apportés par les personnes le lisant.

C'est en quelque sorte une tentative de journal de masse à l'apparence démocratique, s'appuyant sur la ligne de masses en version populiste. L'hebdomadaire Lutte Ouvrière fonctionne pareillement : sans jamais trop révéler l'idéologie, il se veut un copié collé de documents envoyés par des « correspondants » ouvriers, afin d'émuler des initiatives.

Évidemment, cela ne donne pas une identité à un journal, que seule une idéologie peut porter. Il ne suffit pas d'être « démocratique » pour avoir une ligne révolutionnaire correcte. Sans pensée guide, on bascule inévitablement dans le libéralisme, voire dans l'anarchisme.

Les actionnaires bobo le savent, mais ne veulent pas d'idéologie puisqu'ils sont post-modernes : il leur faut donc réimpulser la base bobo, au moyen donc d'un réseau social nouveau.

Les journalistes de Libération n'en veulent pas, et pourtant ils sont le produit d'une même dynamique... Mais les pauvres, ils se sont pris au sérieux, et s'imaginent vraiment des « journalistes » au-dessus des classes et des propriétaires !

Or, ils ne sont que des marionnettes, et leur rôle est terminé. Leur fonction contre-révolutionnaire étant désuète, ils partent à la casse, remplacés par des nouvelles marionnettes répondant aux attentes du maître de la presse dans la société capitaliste : la bourgeoisie et ses multiples fractions.

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