23 mar 2013

SimCity, le capitalisme des monopoles et la nature

Submitted by Anonyme (non vérifié)

« Certes, la civilisation nous a laissé, avec les grandes villes, un héritage qu’il faudra beaucoup de temps et de peine pour éliminer. Mais il faudra les éliminer et elles le seront, même si c’est un processus de longue durée. »

Friedrich Engels, Anti-Dühring

Le 7 mars 2013 est sortie la cinquième version du célèbre jeu vidéo de gestion urbaine SimCity. Sa sortie a été considérée comme un fiasco par les premiers joueurs qui ont subi la surcharge des serveurs de l'éditeur du jeu (il est impossible de jouer sans y être connecté) et qui ont largement critiqué l'éditeur Electronic Arts (EA) pour ne s'intéresser qu'à la rentabilité au mépris de la qualité du jeu.

La sortie ratée de SimCity révèle l'asphyxie culturelle et technique provoquée les groupes monopolistes comme EA, l’éditeur du jeu qui a racheté la société Maxis qui développe SimCity depuis les débuts. À une époque où l’urgence est d'abolir les villes plutôt que d’en construire, la sortie de SimCity nous rappelle aussi à quel point la contradiction ville/campagne est une brûlante question d’actualité que le mode de production capitaliste est incapable de résoudre, ni sur le plan des forces productives, ni sur le plan culturel.

La première version de SimCity a vu le jour en 1989, conçu par Will Wright et la société californienne Maxis crée pour l’occasion. Alors que la majorité des jeux de l’époque étaient orientés vers l’arcade et l’action, avec des niveaux à gravir et souvent un « boss » final, SimCity a marqué le succès des jeux de gestion, dans lesquelles il n’y a pas de fin si ce n’est la lassitude du joueur.

De nombreuses personnes ont ainsi passé plusieurs centaines d’heures devant les différentes versions de ce jeu, le plaisir de « gérer » une société prenant le dessus sur des graphismes très sommaires, surtout dans les deux premières versions.

SimCity est de fait une référence pour les amateurs de jeux de gestion/stratégie, alors qu’il a l’image d’un jeu peu avenant et difficile. Il est souvent considéré comme un jeu de « geek » un peu étranges de la part de la partie des joueurs qui ne lui trouve pas d’intérêt.

Concrètement, SimCity consiste à recouvrir une carte initialement vierge (ou alors avec quelques arbres et cours d’eau) avec des bâtiments publics et des routes afin que se développe une ville.

Les bâtiments privés se développent selon le système RCI (Résidentielles – Commerciales – Industrielles) : les zones de chaque catégorie se développent d’elles-même, si les conditions sont réunies, et sont abandonnées quand les conditions se dégradent.Au fur et à mesure des versions de SimCity, le système s’est largement complexifié, des paramètres de plus en plus nombreux (la pollution fait fuir les habitants, les faibles taxes attirent les industries, l’absence de caserne de pompiers cause la généralisation des incendies, etc.).

Le logiciel a connu un franc succès et a reçu de nombreuses récompenses en 1989 par différents organismes de part le monde. L’édition la plus aboutie de la première version de SimCity est sortie sur console Super Nintendo en 1991 et a connu elle aussi un large succès.

La seconde version du jeu, SimCity 2000, est apparue en 1993 avec une vue en 2 dimensions permettant des reliefs, ainsi que de nombreux nouveaux bâtiments publics (musées, dépôts de bus, prisons, etc.). La vue souterraine permettant l’organisation des canalisations et du métro ainsi qu’une plus grande finesse dans la gestion financière ont largement contribué au succès et à la durée de vie du jeu.

D'un point de vue culturel, SimCity 2000 est marqué par une question qui a pris une ampleur fulgurante à la fin du XXe siècle : l'écologie. Si le jeu consiste purement et simplement à bétonner une carte initialement vierge, l'écologie ne pouvait pas être totalement ignorée à une époque où, surtout au États-Unis, la question survie de la Biosphère prenait de plus en plus d'ampleur.

Ainsi, des messages de protestation contre la déforestation apparaissent dans SimCity 2000 lorsque le joueur décide de raser trop brutalement la forêt et la « gestion » de la pollution est devenue un point essentiel de la stratégie du jeu.

Un des aboutissements dans SimCity 2000, lorsque que la ville est développée et permet un important budget, est la construction de différentes arcologies. Le terme qui est une combinaison des mots architecture et écologie a été exprimé par l’architecte italo-américain Paolo Soleri. Ce dernier est à l’origine de différents projets et différentes théories pour faire face à l’étalement urbain et la destruction de la nature par les villes. Le projet utopiste des arcologies est de concentrer la population en hauteur dans des bâtiments autonomes consistant en de véritables écosystèmes locaux.

C'est un point de vue idéaliste/pessimiste qui a une grande dimension antinaturelle, dans la mesure où la véritable solution écologique consiste non pas en un repli dans des environnements isolés tels que les arcologies, mais dans la reconnaissance de la Biosphère et la compréhension que tous les aspects de la vie sur Terre sont liés et interdépendants.

Mais cette vision utopique exprime malgré tout le refus de voir se développer un monde tel qu’il est présenté dans les œuvres de science-fiction cyberpunks ….ou dans les immondes villes aux rues quadrillées et aux espaces séparés de SimCity !Lorsque plusieurs centaines d’arcologies sont créées dans SimCity 2000, un message peut alors apparaître : « The exodus has begun » (L’exode a commencée). Puis, les arcologies explosent et un nouveau message apparaît expliquant qu’elles ont décollé pour l’espace afin de trouver de nouveaux mondes !

SimCity et SimCity 2000 ont exprimé la contradiction de cette jeunesse de la fin du XXe siècle qui a saisi l’importance de la technologie, mais qui n’a pas su se tourner vers la nature pour sortir du capitalisme.

Avec SimCity 3000 et SimCity 4, sortis respectivement en 1999 et en 2003, les arcologies ont finalement disparu, pour laisser place à la construction de mégapoles immenses sans considération pour la nature, si ce n’est de grandes exploitations agricoles qui se développent sur les zones industrielles de faible valeur.

Une des particularités de SimCity 4 est qu'il continue à être joué et soutenu par une communauté relativement importante dans le monde dix années après sa sortie : cela est possible grâce aux outils de modification et d'édition des données même du jeu, fournis officiellement. SimCity 2000 était déjà doté d’un éditeur de bâtiments, mais le phénomène du « modding » (transformation du jeu) prend surtout de l’ampleur grâce aux possibilités de partage et de synthèse offertes par internet.Ceci étant dit, les possibilités de transformation du jeu ne concerne pas tant l’aspect gestion/stratégie de SimCity que sa dimension graphique : la grande partie des améliorations partagées consistent en la création de bâtiments réels, par exemple l’église de telle ville, un magasin de telle chaîne de centre commerciaux, etc.

Il y a là une dimension « maquette » très proche de l’esprit du modélisme ferroviaire en vogue dans les années 1970/1980, un esprit de contemplation du réel improductif et terriblement aliéné, comme dans le très connu et très basique Minecraft.

Depuis 2003 et SimCity 4, il n’y avait pas eu d’autres versions du jeu, si ce n’est une tentative d’exploitation du nom commercial SimCity avec « SimCity Société », qui fut un lamentable échec.

L’attente autour de la version 2013 de SimCity était donc très forte. Electronic Arts, détenteur de la marque, a pendant longtemps refusé de poursuivre le développement du jeu au profit du développement d’une autre licence issue de SimCity (du même concepteur et également développée par Maxis) : les Sims.

C'est un jeu de « simulation de vie » qui consiste à gérer et développer la vie de ses personnages en satisfaisant leurs besoins. La série les Sims, dont les versions successives sont sorties en 2000, 2004 et 2009, avec à chaque fois de nombreuses extensions et contenus additionnels payants, est un immense succès commercial.

Les Sims est le jeu PC le plus vendu au monde, avec plusieurs millions d'exemplaires écoulés. Posséder légalement toutes les extensions du jeu les Sims revient à plusieurs centaines d’euros par personne.La nouvelle version de SimCity porte l’indéniable marque du jeu les Sims : Electronic Arts, exerçant sa position de monopole capitaliste, exprime là ses nécessités commerciales. La faiblesse du jeu sur de nombreux plans, notamment la taille ridicule des cartes dans lesquelles jouer, laisse clairement présager des contenus additionnels payants à venir.

Dans le nouveau SimCity, les dimensions gestion et stratégie propre à la série sont largement subordonnées à l’esprit prévalant dans les Sims : un jeu facile dans lequel le joueur peut se développer avec peu de contraintes et construire ce qui lui plaît. Autant l’environnement graphique que le gameplay (le « système de jeu » pourrait-on dire) rappellent les Sims.

SimCity (2013) est franchement très joli (avec un niveau de détails et de réalisme des textures parfois impressionnant) et il est agréable à utiliser. Il est ergonomique et sa prise en main est intuitive. Mais c’est indéniablement un plaisir en carton, un mirage qui s’évapore, un emballage surfait sans véritable contenus ni dimension.

La puissance de ce qui a fait SimCity a été largement sacrifiée pour des raisons de marketing. Sim City (2013) est à l’image de la société capitaliste du XXIe siècle qui s’effondre sur elle-même, un monde où l’esthétique et la forme sont glorifiées pour masquer le manque de perspective et la misère du quotidien, ce que nous évoquions aussi récemment à propos du Harlem ShakeLa version 2013 de SimCity est aussi à l’image de la décadence des forces productives dans le capitalisme en crise.

Pour différentes raisons, certainement essentiellement pour des raisons de lutte contre le piratage, Electronic Arts a décidé qu’il faillait constamment être connecté à internet pour y jouer : il n’y a pas de sauvegarde, tout est enregistré en temps réel sur les serveurs de la firme qui prennent également en charge la gestion des aspects multijoueurs (échanges entres les villes, etc.).

Cela n’est pas une mauvaise chose en soit. Sauf que cela ne fonctionne pas ! Le lancement du jeu a été absolument catastrophique, avec impossibilité de se connecter pendant plusieurs heures. Après avoir plus que triplé la capacité des serveurs, il y a encore d’importants dysfonctionnement à l’heure actuelle, alors même que le jeu est encore en partie bridé pour limiter l’ampleur du désastre.

Le lancement de SimCity (2013) a été tellement catastrophique qu’une partie des critiques de jeu vidéo ont revu leurs notes à la baisse (elles étaient d’ailleurs pour la plupart excessivement élevées) et l’éditeur a annoncé dans un communiqué que les joueurs se verront offrir un jeu du catalogue pour compenser les désagréments. Une grosse partie des stocks du jeu ont même été temporairement retiré du marché et la campagne marketing suspendue.

Sur le plan technique, l’équipe de développement du jeu avait stratégiquement publié une série d’articles durant les mois précédant la sortie pour vanter les mérites du nouveau moteur du jeu, appelé Glass Box.

Cela devait annoncer une nouvelle ère, avec un niveau d’intelligence artificielle très élevé et complexe. En vérité, le rendu est très faible et en matière de gestion et de stratégie les possibilités ne sont pas à la hauteur de ce qui était annoncé. Au bout de quelques jours, les joueurs ont eu très vite fait de découvrir les énormes limites du Glass Box.

Une des critiques les plus récurrentes du moteur du jeu concerne le pathfinding, c'est-à-dire la capacité d'une intelligence artificielle à résoudre la question de la recherche de chemin. La qualité de cette fonction est absolument essentielle dans un jeu de gestion urbaine. Les faits ont montré qu'elle était très limité dans SimCity, comme l'illustre cette vidéo.

Les développeurs peuvent bien prétendre sur leur blog qu’ils sont en train de résoudre ce problème, le fait est que jamais ce logiciel n’aurait du être commercialisé avec de tels défauts. Une autre chose, assez scandaleuse si l’on considère les prétentions de l’équipe de développement du jeu lors de ces articles de promotion, est la façon dont la population occupe les habitations.

Des vidéos ont été faites pour montrer l'absurdité résultant de la gestion des flux de population entre le travail et le logement. Dans cette vidéo, on voit les voitures des « sims » rentrer dans la première maison libre qu'ils trouvent. Une autre vidéo montre de manière simple la situation absurde que cela crée et révèle la grande faiblesse du moteur de jeu en matière de simulation.

En plus de tout cela, il y a très peu de données et de statistiques permettant de « gérer » véritablement sa ville, seulement des cartes indiquant plus ou moins vaguement tel ou tel phénomène. D’autant plus que de nombreuses personnes sur différents forums internet dans le monde font remonter de multiples incohérences par rapport à ces données.

L’équipe de développement prétend que ces limites sont dues au fait que le moteur Glass Box nécessite d’énormes capacités de calculs. Cela est difficilement vérifiable en soit, mais n’est probablement pas faux. 

Ce que cela montre en tout cas, c’est que d’une manière ou d’une autre les choix fait en matière d’intelligence artificielle ne sont pas bons. En comparaison avec les ordinateurs sur lesquels fonctionnait SimCity 2000 par exemple, les possibilités ont largement explosés aujourd’hui. Tout cela n’est pas exploité, si ce n’est pour le graphisme, pour l’emballage.

La grande limite du moteur Glass Box est qu’il est basé sur la micro-gestion, il prend appui sur ce concept antiscientifique qu’est la « micro-économie ». Conformément à l’idéologie bourgeoise produite par le capitalisme, les concepteurs de SimCity ont vu la société comme simplement une succession d’initiatives individuelles s’additionnant mécaniquement.

Ils se sont alors pris les pieds dans des sommes innombrables de calculs irréalisables, qui font qu’aujourd’hui il y a un grand nombre de bugs et dysfonctionnement dans la version commerciale du logiciel. Cette vision mécanique bourgeoise de la société empêche tout esprit de synthèse qui aurait permis de produire un concept intéressant pour un jeu de gestion, à une époque où les problèmes posés par les villes ouvrent des champs de réflexion immenses.

La puissance de calcul des nouveaux processeurs permet de traiter des données gigantesques, offrant la possibilité de s’intéresser à la réalité et aux fonctionnements de la nature elle-même. Mais pour que cela soit possible, encore faut-il qu’il y ait un niveau culturel qui corresponde et une dynamique positive qui porte le tout, pleinement ancrée dans son époque.

SimCity (2013) n'a pas la grandeur d'un véritable jeu de gestion/stratégie, et il passe complètement à côté de son époque. La question des villes est d'une importance majeure en ce début de XXIe siècle.

La grande question est de savoir si l’humanité va continuer à détruire la Biosphère en croyant dominer la nature, avec ses villes et ses campagnes – ce qui engendrera de nouvelles catastrophes toujours plus terribles – ou bien si elle va comprendre qu’il faut dépasser la contradiction ville-campagne, qu’il faut dépasser les villes et les campagnes d’aujourd’hui pour bâtir une société nouvelle qui vise l’harmonie avec la Biosphère !

SimCity (2013) ne s'occupe pas du tout de cela. À peine sorti, il appartient déjà au passé, car il est condamné par l’avenir.  Il y a bien dans le jeu la possibilité de construire une arcologie ou bien une immense centrale solaire. Mais avec quelle perspective ?

L’arcologie permet en fait surtout d’alimenter les magasins des villes construites par le joueur en consommateurs et en travailleurs, et la centrale permet d’alimenter en électricité des villes qui resteront les mêmes. Les animaux n’existent pas dans SimCity, la nature est niée et finalement c’est la Biosphère qui est insultée par un jeu qui considère que la Terre est un gros caillou sur lequel l’humanité pourrait se développer en ne se souciant que de sa propre existence.

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