22 juil 2012

Evgeny Nikitin et l'affaire des tatouages nazis amenant l'exclusion de Bayreuth (critique de l'opéra wagnérien et de ses variantes modernes)

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Trop c'est trop : le festival de Bayreuth a été obligé de mettre la pression sur Evgeny Nikitin, car si ses tatouages étaient un foklore baroque appréciable, la découverte des symboles nazis change la donne et fait une « mauvaise publicité », alors qu'avec l'antisémitisme du compositeur allemand Wagner, c'était déjà suffisant.

C'est un moment culturel étrange, typique de la décadence historique de la bourgeoisie, et ce sur tous les plans.

Evgeny Nikitin est un black metalleux et un chanteur d'opéra, chose inconcevable selon les principes du black metal originel (ou encore true black metal), révolte romantique – nihiliste contre la société et certainement pas dans l'esprit de pousser la chansonnette devant des parterres de grands bourgeois.

Le true black metal avait deux figures historiques, la première (Varg Vikernes, du groupe Burzum dont il est pratiquement le seul membre) étant nazie et assassinant la seconde (Euronymous, du groupe Mayhem) qui elle s'était tournée vers le communisme.

Le romantisme black metal a alors choisi, en partie significative, le nazisme contre le communisme, à partir de cette situation en Norvège, lieu d'origine du black metal (s'il y a bien sûr des nazis, la Norvège a connu aussi dans les années 1970 un très fort mouvement maoïste, avec des branches clandestines, et encore culturellement de nombreux restes).

Et le black metal s'est, dans cette logique, donc souvent tourné vers une logique symphonique – symbolique particulièrement esthétisante, ce qui fait qu'il n'est pas étonnant de retrouver un nazi russe devenant une figure de l'opéra, en tant que baryton-basse. C'est la même logique symphonique irrationnelle.

L'opéra tel qu'il est joué aujourd'hui n'est en effet plus celui des origines. L'opéra est une forme issu de l'humanisme, c'est un moyen élaboré de mettre en avant une vision du monde dans l'esprit de la bourgeoisie : on doit penser au Fidelio de Beethoven et à la Flüte enchantée de Mozart.

Dans la Flûte enchantée, on a une grande présence de la mélodie, l'orchestre est en arrière-plan ; le chant est facile d'accès, on reconnaît la base populaire.

Mais le romantisme dans sa version « totale » et délirante entend « synthétiser » le monde conformément à sa manière irrationnelle. L'opéra bourgeois décadent précède dans la forme et son contenu le black metal dans sa variante nazie.

La question de Wagner est ici d'importance. Voici comment Hanns Eisler, le grand compositeur communiste allemand, présente la question, dans ses thèses sur Richard Wagner :

« Le « Tristan » de Richard Wagner. Essai d'appréciation musicale d'ensemble

Au lieu de la diversité changeante de la forme classique, un style pseudosymphonique ; au lieu d'une formation claire de la mélodie, une technique du leitmotiv ; au lieu de l'opposition entre le récitatif (information) et l'aria (réflexion), un chant parlé donnant dans la psychologie avec très peu d'élans vers l'aria [c'est-à-dire la mélodie].

L'ensemble est presque totalement absent. Le danger de la monotonie est contrebalancé par un coloris orchestral bariolé, par le dynamisme et les effets d'illustration. La technique d'illustration est de deux sortes : psychologisme et palette tonale naturaliste.

A l'humanisme mozartien se substitue une « philosophie » qui est du Schopenhauer vulgarisé. »

Les dernières lignes sont parfaitement conformes pour décrire le black metal dans sa variante nazie. On a une sorte de psychologie de bazar mise en avant par le chant qui revient sans mélodie, comme un leitmotiv, formant un véritable pathos, avec toute une gamme de sons pour faire une ambiance, soit une véritable palette tonale naturaliste.

Quant à Schopenhauer, c'est-à-dire le scepticisme et le nihilisme, c'est bien sûr le cœur du black metal, bien trop dans l'esprit de Schopenhauer pour assumer le nazisme autrement que dans une veine nihiliste élitiste.

Ce n'est pas tout : voici comment Eisler décrit l'aspect irrationnel de Wagner, tout à fait conforme au black metal dans sa version nazie, encore une fois.

« La belle clarté du classicisme fait place à un état second voisin de l'ivresse.

Wagner ne s'adresse pas à l'auditeur conscient et en éveil, mais à un public qui se soumet et s'abandonne.

Alors que Beethoven exige de la musique qu'elle fasse jaillir du feu de l'homme, Wagner a besoin d'une sorte d'état d'hypnose (…).

Chez Wagner, le peuple tombe à l'état de figurant. Ce sont des hommes d'armes et des serviteurs fidèles qui se trouvent un étrange plaisir à mourir pour leur maître. La peinture musicale des personnages n'a pas la netteté tranchante de Mozart. »

Puis, Eisler de rappeler les défauts de Wagner : « le sentiment fait place à la sentimentalité, la grandeur à l'enflure, la vigueur au pathos. »

Cela est-il conforme au black metal dans sa version nazie ? Oui, ça l'est, et c'est même vrai pour une partie importante du black metal, qui plonge dans un délire esthétisant enivrant et idéaliste au lieu d'en arriver à l'épopée.

C'est là la différence entre ceux qui rêvent et délirent, et utilisent le nazisme, et les groupes puisant dans des références culturelles diverses pour former une sorte de monde des merveilles prétexte à des œuvres artistiques de qualité (Immortal et les paysages nordiques, Summoning et l'univers de Tolkien, etc.).

« Dark fantasy » ou national-socialisme, il faut choisir, et ce que Evgeny Nikitin a choisi, c'est l'intégration dans le monde de l'opéra, totalement bourgeois (si l'on excepte l'énorme popularité dans les masses de l'opéra dans la ville de Vienne, qui est une anomalie historique spécifique).

Evgeny Nikitin devait se produire au Festival de Bayreuth, dans le rôle principal de la nouvelle production du « Vaisseau fantôme », mais un reportage a révélé ses tatouages nazis.

Les médias ne parlent que d'un tatouage, une croix gammée recouverte. Mais on retrouve également en fait des runes utilisées par les nazis, mais aussi Odin tel qu'il a été représenté sur une pochette d'un album de Burzum.

Nikitin a tenté de se dédouaner : « je n’avais pas conscience de la portée des irritations et blessures que ces signes et symboles, particulièrement à Bayreuth, dans le contexte du Festival, pouvaient engendrer ».

Mais c'est trop tard, et ce qui est clair c'est qu'il n'y a pas de hasard culturel à ce qu'un black metalleux nazi se retrouve dans le monde de l'opéra, et encore plus à un festival annuel consacré uniquement à Wagner.

Les bourgeois, surtout les grands bourgeois en fait, aiment bien sombrer dans le baroque, cela est conforme à leur nature de classe. Le pseudo classicisme, surtout le formalisme en réalité, va de pair avec le baroque.

Et qu'y a-t-il de plus baroque qu'un bal masqué dans le château de Versailles comme récemment, ou qu'une personne tatouée de partout à l'opéra ?

Non pas que le renversement de ce qu'est Versailles ne soit pas nécessaire, ou que les tatouages ne soient pas une forme artistique tout à fait modernes. Mais c'est le mélange improbable des genres, le mélange contre-nature, qui va à l'opposé du principe du saut dialectique, de la symbiose.

Et finalement, ce sont surtout des tendances décadentes qui se reconnaissent et s'allient. Un « mauvais garçon » comme chanteur à l'opéra, le lumpen jouant au dandy, voilà qui correspond tout à fait à une certaine forme de fascisme originel, qui veut être bourgeois mais sans la « vie commode. »

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