15 déc 2012

Après 40 ans d'existence, le tournant historique du FN

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Le week-end dernier, les 8 et 9 décembre 2012, le Front National tenait un rassemblement privé dans une salle parisienne pour fêter ses 40 ans. Depuis le 5 octobre 1972 où Jean-Marie Le Pen lançait avec quelques compagnons un nouveau mouvement politique d’extrême-droite jusqu'à aujourd'hui où Marine Le Pen est l'une des personnalités les plus importantes de l’actualité politique française, les choses ont beaucoup évolué. 

Le Front National était, jusqu'au début des années 2000, une structure radicale destinée à polariser la société française sur des valeurs d’extrême-droite et rassembler les personnes les plus réactionnaires autour d'un projet large, au delà des simples noyaux radicaux. Aujourd'hui, comme nous l'évoquons dans nos nombreux documents qui traitent de Marine Le Pen, de ce qu'elle représente et de comment la combattre, le Front National se transforme en une structure destinée à prendre le pouvoir en France. Le Front National n'est plus simplement d'extrême-droite, il est une structure nationaliste fasciste. C'est un tournant historique, qui a et aura un impact important sur la lutte des classes en France.  

Ces changements ne se font pas sans un certain nombre de contradictions entre le contenu historique du discours du FN et sa version 2012. Ces contradictions s'expriment particulièrement dans des frictions indéniables entre la figure de Jean-Marie Le Pen et l'équipe de sa fille Marine Le Pen aujourd'hui à la tête du mouvement. 

Une question révélatrice, et essentielle pour comprendre la nature du tournant historique du Front National, est le positionnement par rapport au gaullisme. A l'origine, le Front National était une structure politique anti-gaulliste, regroupant des personnes qui considéraient que Charles De Gaulle avait trahi la France en « abandonnant »  la colonisation de l'Algérie. Mais aujourd'hui, le moteur idéologique du Front National de Marine Le Pen est le néogaullisme, dont le haut-fonctionnaire Florian Philippot, vice-président chargé de la communication, est une figure importante. 

Le fait que Florian Philippot soit allé se recueillir sur la tombe de Charles De Gaulle en novembre a constitué une certaine polémique inte. C'est une rupture évidente avec les traditions du FN, alors que Florian Philippot est avec Marine Le Pen elle-même la personne qui s'exprime le plus en son nom (et surtout sur des questions stratégiques et idéologiques importantes). Mais justement, à ce sujet, Marine Le Pen est obligée de tergiverser. Elle explique qu'elle ne l'aurait pas fait pour sa part mais qu'il l'a fait à titre personnel et qu'elle ne le condamne pas. Dans une interview elle se justifie :

« Et il n’a jamais caché qu’il venait du mouvement gaulliste. Le but d’un rassemblement, par définition, n’est pas de réunir des personnes d’accord entre elles à 1 000 % ! C’est aussi une preuve de maturité d’accepter des gens qui ont une sensibilité, un parcours différents du nôtre, qu’ils soient chevènementiste, communiste ou gaulliste ! Personnellement, je ne pardonne pas au Général de Gaulle son comportement lors de la Guerre d’Algérie, mais ça ne m’empêche pas de me sentir une proximité avec lui sur la vision qu’il avait de la grandeur de la France, ou de l’absence de soumission du politique au moindre lobby ou aux groupes de pression, aussi importants soient-ils ! »

En fait, Marine Le Pen balance entre les intérêts politiques pour le maintien de sa structure et d'une partie de sa base militante, l'obligation d'évoluer pour conquérir le pouvoir. 

Historiquement, le Front National est sur la position d'une extrême-droite dure, partisane de solutions radicales et agressives pour garantir les intérêts de l'impérialisme français. La question de l'Algérie est typique. Les partisans de « l'Algérie française » ont formé un courant nécessaire à l'impérialisme, une constituante importante notamment pour et dans l'armée. Mais ils ne pouvaient pas former un projet destiné à prendre le pouvoir au nom de l'impérialisme français. Le Front National représentait les intérêts d'une partie de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie qui était nationaliste et « excitée ». C'est ce qu'exprime à ce sujet Jean-Marie Le Pen dans son discours à la fête des 40 ans :

« La perte de l’Indochine, l’indépendance de la Tunisie et du Maroc, annonçant le repli historique des puissances coloniales, les événements d’Algérie, l’effondrement du parti gaulliste RPF et la menace d’une invasion soviétique pesant lourdement appuyée sur un Parti Communiste, tout concourait à l’exigence de création d’une force nationale. Elle était possible, comme venait de l’esquisser avec force, l’insurrection syndicale des commerçants et des artisans du mouvement Poujade. »

Mais la bourgeoisie impérialiste française savait qu'elle n'avait pas le rapport de force pour se permettre de passer en force en Algérie et sur le reste. Plutôt, elle s'est servie de la figure de Charles De Gaulle pour réaménager le colonialisme en la forme moderne du semi-colonialisme en s'appuyant sur une bourgeoisie compradore locale et des forces féodales.

La grande différence, c'est qu'aujourd'hui, avec la généralisation de la crise du mode production capitaliste et l'intensification des contradictions inter-impérialistes, la bourgeoisie impérialiste française peut reprendre l'offensive et devient de plus en plus agressive. Elle tend inévitablement vers le fascisme. 

Et c'est cela qui permet de comprendre cette fusion en marche entre le néogaullisme et l'extrême-droite, pour former un parti moteur du mouvement fasciste en France. En tant que tel, le projet du Front National dépasse le Front National lui-même. C'est-à-dire qu'il est une structure au service d'un mouvement général qui représente des intérêts précis et puissants. Ce mouvement général c'est le fascisme, le nationalisme dans une forme radicale et pseudo-sociale, au service des intérêts de plus en plus agressifs de l'impérialisme français.

Le Front National était un mouvement populiste de nature largement petite-bourgeoise ; il devient aujourd'hui une structure organiquement liée à la bourgeoisie impérialiste et au capital financier français, destinée à prendre le pouvoir.

Le positionnement de Marine Le Pen à propos de l'Algérie exprimé récemment dans une interview par Robert Ménard est pleinement expressif de ce mouvement :

« PM : François Hollande doit se rendre dans quelques jours en Algérie. Quels rapports la France doit-elle entretenir avec l’Algérie ?

MLP : Un rapport de force. Or, depuis quelques années, tout déplacement en Algérie se résume à une augmentation des visas accordés aux Algériens — on est passé en quelques années de 130.000 à 200.000 visas par an — et à une inflation de la repentance pour la simple raison que nous sommes dépendants économiquement du gaz algérien. Voilà une véritable erreur stratégique ! Je plaide depuis plusieurs années pour que l’on mette en place une réflexion et des accords stratégiques avec la Russie, justement pour éviter de dépendre intégralement de pays comme l’Algérie. »

Cela est clair, net et sans bavure. Et cela exprime pleinement les intérêts agressifs de la bourgeoisie impérialiste française. 

Une autre question est essentielle pour comprendre ce tournant historique du Front National, c'est ce qui relève des positionnements économiques.

Dans cette même interview à Robert Ménard, ce dernier demande :

« Vous allez fêter les 40 ans du Front National prochainement : à sa naissance, le Front était tout sauf ce que vous préconisez aujourd’hui. Il était libéral et anti étatique. Sur ce terrain-là, vous êtes loin de votre père, non ? »

La réponse de Marine Le Pen est assez exceptionnelle. Toujours obligée de tergiverser, elle se justifie en bricolant un rapprochement entre les arguments traditionnels du FN et les positions d'aujourd'hui :

« C’est une erreur d’analyse pour une raison simple : à l’époque où le Front National était libéral, nous étions en présence de deux éléments majeurs qui n’existent plus aujourd’hui. D’abord, nous avions des frontières, y compris économiques, ce qui change totalement la donne. Par ailleurs, le modèle économique alternatif était le communisme : du coup, vous aviez le choix entre une économie libre et une économie dirigée, une économie communiste. La situation est très différente aujourd’hui car, entre temps, le mondialisme s’est imposé. Et avec lui, l’effacement total des frontières et celui des outils de protection à la disposition de l’État pour mettre en œuvre une politique de défense stratégique de ses intérêts. Ce n’est pas tellement nous qui avons changé : nous sommes toujours pour une économie libre et nous croyons toujours à la libre entreprise. Mais l’État doit être fort et capable de défendre ses intérêts stratégiques qui sont l’intérêt supérieur d’une nation. »

Le « problème », c'est que dans une autre partie de l'interview elle explique au contraire à propos d'une question sur l'éventualité d'une « union sacrée » avec Jean-Pierre Chevènement, Arnaud Montebourg et même Jean-Luc Mélenchon, qu'elle est contre le « libre-échange » :

« Tout ce qui se passe aujourd’hui constitue les prémisses d’une recomposition du paysage politique, sur la base de ce clivage justement. Il va évidemment falloir dépasser des intérêts partisans dans un pays qui est, somme toute, très partisan dans son fonctionnement politique. Mais la réalité est bien là : la pierre d’achoppement, c’est l’Union Européenne. Deux grands sujets permettent de mesurer la sincérité de ceux qui luttent contre la mondialisation dérégulée : l’immigration et le libre-échange. On ne peut pas être pour l’un et contre l’autre. On ne peut pas, comme la droite populaire, être à la fois contre l’immigration et pour le libre-échange : c’est complètement incohérent car l’immigration est un des éléments de la mondialisation au même titre que le libre-échange. On ne peut pas plus être pour l’immigration et contre le libre-échange comme Monsieur Mélenchon, parce que c’est contradictoire. Quand ces gens-là seront allés au bout de leurs contradictions et auront fait le choix de la nation, en tant que cadre indépassable de la protection des salariés, de l’emploi, et de la protection sociale, nous arriverons, tout à fait légitimement, à nous retrouver. »

Tout cela apparaît comme contradictoire à priori, mais fait totalement sens quand on comprend la nature de classe et le rôle historique du Front National de Marine Le Pen. Le but du fascisme est de mobiliser les masses populaires derrière les intérêts stratégiques (et de plus en plus guerriers) de l'impérialisme français. Pour cela, le nationalisme est un outil pour mobiliser. Il s'agit pour les fascistes de faire croire que « le choix de la nation » est un choix social et populaire. 

Toute l’ambiguïté du fascisme, c'est de se faire passer pour un mouvement socialiste tout en luttant à mort contre la dictature du prolétariat, le seul véritable chemin vers le socialisme authentique. Le fascisme use donc largement de démagogie et fait preuve de populisme, n'hésitant pas à se contredire. 

Le nationalisme en lui-même n'est d’ailleurs qu'un artifice mobilisateur, les valeurs positives portées dans la culture française n'étant jamais reconnues par les fascistes qui rejettent systématiquement le métissage et l'universalisme. Marine Le Pen elle-même n'hésitant pas à insulter le patrimoine culturel de la France. 

 

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