Révolution française

8 Jan 2017

Karl Kautsky aborde de manière plus directe la question française dans La république et la social-démocratie en France, série d'articles publiée dans la Neue Zeit en 1904 et en 1905.

A l'arrière-plan, il y a l'opposition idéologique avec Jean Jaurès, qui a une conception de la république « au-delà » de la lutte des classes qui n'est pas considérée comme marxiste.

Tous deux ont d'ailleurs étudié la révolution française, Karl Kautsky publiant en 1899 Les antagonismes de classes à l'époque de la Révolution française. Jean Jaurès se positionnait à la base même contre Karl Kautsky et le marxisme...

1 nov 1902

Avant de clore notre exposé, nous allons encore jeter un coup d’œil sur le comportement des éléments féodaux, de la noblesse et des cours hors de France, qui n'a pas été sans influencer significativement le développement de la Révolution.

Le divorce entre la royauté et la noblesse en France, à la veille de la Révolution, était déjà un phénomène incroyable. Mais il l'est encore plus que ce clivage ait pu encore se manifester dans une monarchie européenne après son déclenchement, et que des intérêts éphémères des plus mesquins aient mis aux prises des éléments dont les intérêts permanents et généraux auraient exigé de façon pressante qu'ils se coalisent. Signalons quelques-unes de ces luttes parmi les plus importantes...

1 nov 1902

Les paysans se situaient encore une marche en-dessous des artisans non affiliés à une corporation, des prolétaires et tous ceux qui vivaient dans leurs parages.

Citadins, le bouillonnement des idées n'était pas sans influencer dans une certaine mesure ces derniers, qui vivaient par ailleurs entassés dans des localités étroites non loin des centres du pouvoir. Leur concentration et leur intelligence leur donnaient une certaine force de résistance, et la proximité du gouvernement la possibilité d'agir directement pour faire pression sur lui. Si dure que fût l'oppression qui pesait sur eux, pire encore était celle qu'on faisait subir en toute impunité aux paysans, lesquels, isolés, disséminés, loin de toute stimulation intellectuelle, n'étaient pas en capacité de se coaliser contre leurs bourreaux et de faire entendre leurs doléances.

1 nov 1902

Le Tiers État comprenait également les artisans. L'organisation en corporations était sclérosée depuis longtemps et devenue pour quelques élus le moyen de monopoliser la production artisanale et de faire du titre de maître-artisan un privilège qui favorisait d'autant plus l'exploitation des compagnons et des consommateurs qu'était plus restreint le nombre de ceux auxquels il était attribué. Il était quasiment impossible à un compagnon de s'élever à ce grade s'il n'était pas le fils ou le gendre, ou n'épousait pas la veuve d'un maître-artisan.

Pour les autres, toute une série de conditions rendait la chose non seulement extrêmement difficile, mais généralement impossible à priori. Souvent, la corporation était déclarée fermée, et fixé une fois pour toutes le nombre de maîtres-artisans qu'elle pouvait compter...

1 nov 1902

Il y a encore une catégorie importante de la bourgeoisie qu'il convient d'évoquer, celle de l'intelligentsia bourgeoise. Le mode de production capitaliste a disjoint les deux fonctions qui étaient réunies dans l'artisanat et les a assignées à deux catégories différentes de travailleurs, les travailleurs manuels et les travailleurs intellectuels. Il a en outre, dans la société où il s'est formé, élargi à l'infini la division du travail, et donné naissance à une série de professions vouées uniquement au travail intellectuel.

Le technicien de formation scientifique ne jouait à vrai dire au 18ème siècle pas encore un grand rôle dans l'industrie. L'application industrielle de la mécanique et de la chimie scientifiques en était à la fin du siècle aux premiers balbutiements. Dans les transports, en revanche, le nouveau mode de production assignait déjà au technicien des tâches importantes : il devait construire des bateaux, des ponts, des routes, des canaux. Tout aussi importante pour le développement de son savoir-faire était l'art de la guerre...

1 nov 1902

Le Tiers État était aussi profondément divisé que les deux premiers ordres. Il est devenu à la mode aujourd'hui d'appeler Tiers État la classe des capitalistes, le prolétariat étant alors le quatrième ordre (1).

Outre que le prolétariat salarié moderne est une classe et pas un état, une couche sociale que les particularités de sa situation économique, et non des institutions juridiques séparées, distinguent des autres, on ne peut parler d'un quatrième ordre pour la simple raison que le prolétariat existait déjà au sein du Tiers État. Celui-ci comprenait toute la population qui n'appartenait pas aux deux premiers, donc pas seulement les capitalistes, mais aussi les artisans, les paysans et les prolétaires. Il est donc facile d'imaginer l'énorme hétérogénéité que cela pouvait représenter. Nous y voyons à l’œuvre les plus violents antagonismes, les méthodes de lutte et les objectifs les plus divers. Impossible de parler d'une lutte de classe homogène...

1 nov 1902

La lutte opposant les Parlements défenseurs de la noblesse de robe et l'administration rigoureusement centralisée et despotique de l’État prenait parfois les dimensions d'une lutte de tous les privilégiés contre cette dernière et contre la monarchie absolue, d'une lutte qui ne restait pas dans les limites d'une intrigue de cour ignorée du peuple malgré la brutalité de l'affrontement, mais qui appelait à la rescousse la classe tout entière jusqu'en-dehors de la cour et entraînait la multitude.

Le plus important mouvement de ce type fut la Fronde, que nous avons mentionnée dans le précédent chapitre. Cela eut lieu dans la première moitié du 17ème siècle, la noblesse possédait alors encore énergie et confiance en soi. Un mouvement analogue était en passe de se déclencher dans le dernier quart du 18ème siècle. La Fronde avait débouché sur un renforcement de l'absolutisme. Le mouvement qui démarra en 1787 allait se terminer par la victoire du Tiers État, il allait être le prologue de la grande Révolution...

1 nov 1902

L'administration d’État occupait une position sui generis, intermédiaire entre les deux premiers ordres et le Tiers État.

Les organes de l'ancienne administration féodale existaient encore en partie, dépouillés de leurs fonctions essentielles, mais pas de leurs revenus. Comme ils faisaient partie des principaux moyens que pouvait utiliser la noblesse féodale pour exploiter l’État à son profit, ils n'avaient pas été supprimés au fur et à mesure qu'il perdaient leur raison d'être. Bien au contraire, comme nous l'avons vu, les charges les plus lucratives et les plus superflues avaient encore été multipliées tout au long du 18ème siècle...

1 nov 1902

 C'est le calendrier qui a suscité l'écriture de la présente étude. Publiée d'abord en 1889 sous la forme d'une série d'articles dans la revue « die Neue Zeit », elle a été reprise en brochure pour le centième anniversaire du début de la Grande Révolution sous le titre « Les antagonismes de classes en 1789 ». L'occasion avait suggéré le titre, mais une fois celle-ci passée, il n'est plus gère adapté à l'objet de cet essai, qui ne se limite pas à l'année 1789, mais couvre toute la durée de la Révolution. Je l'ai donc modifié pour cette réédition sans pour autant rien changer au contenu.

Le but que je poursuivais il y a vingt ans en écrivant ces pages est malheureusement toujours d'actualité : il s'agissait de contrer une interprétation triviale du matérialisme historique, un marxisme vulgaire qui sévissait un peu partout à cette époque...

1 nov 1902

C'est le 17 juin 1789 que les députés du Tiers État, pressés par l'effervescence révolutionnaire du pays tout entier, se constituèrent en Assemblée Nationale et donnèrent par là-même le coup d'envoi du gigantesque drame social que nous appelons la Grande Révolution « par excellence ».

Les espérances que fit naître cette initiative étaient immenses, mais elles furent encore dépassées par l'enchaînement des événements qui suivirent. L'édifice de l’État féodal, qui paraissait naguère encore si solide, s'effondra comme un château de cartes sous l'assaut des masses. En l'espace de quelques mois seulement furent brisées toutes les entraves qui avaient corseté la France et failli la faire périr étouffée...

1 nov 1902

Avant d'examiner les antagonismes de classes à l'époque de la grande Révolution, il nous semble utile de jeter un coup d’œil sur la formation politique à l'intérieur de laquelle ils se sont déployés. La forme de l’État détermine la façon dont les différentes classes cherchent à faire prévaloir leurs intérêts, elle détermine la configuration de la lutte des classes.

La forme de l’État français, de 1614 à 1789, c'était la monarchie absolue, donc un type d’État qui, dans des conditions normales, exclut toute lutte de classes intensive, puisqu'il interdit à ses « sujets » toute activité politique, et par conséquent est dans la durée incompatible avec la société d'aujourd'hui. Toute lutte de classes débouche inévitablement sur une lutte politique, toute classe ascendante est donc obligée, si elle n'a pas de droits politiques, de se battre pour les obtenir...

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