La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette

20 fév 1978

Le cardinal de Lorraine s’était rendu maître absolu de l’esprit de la reine mère : le vidame de Chartres n’avait plus aucune part dans ses bonnes graces, et l’amour qu’il avait pour madame de Martigues et pour la liberté l’avait même empêché de sentir cette perte autant qu’elle méritait d’être sentie. Ce cardinal, pendant les dix jours de la maladie du roi, avait eu le loisir de former ses desseins, et de faire prendre à la reine des résolutions conformes à ce qu’il avait projeté ; de sorte que, sitôt que le roi fut mort, la reine ordonna au connétable de demeurer aux Tournelles, auprès du corps du feu roi, pour faire les cérémonies ordinaires. Cette commission l’éloignait de tout, et lui ôtait la liberté d’agir. Il envoya un courrier au roi de Navarre, pour le faire venir en diligence, afin de s’opposer ensemble à la grande élévation où il voyait que MM. de Guise allaient parvenir...

20 fév 1978

Cependant, quelque rempli et quelque occupé que je fusse de cette nouvelle liaison avec la reine, je tenais à madame de Thémines par une inclination naturelle que je ne pouvais vaincre. Il me parut qu’elle cessait de m’aimer, et, au lieu que, si j’eusse été sage, je me fusse servi du changement qui paraissait en elle pour aider à me guérir, mon amour en redoubla, et je me conduisais si mal que la reine eut quelque connaissance de cet attachement. La jalousie est naturelle aux personnes de sa nation, et peut-être que cette princesse a pour moi des sentiments plus vifs qu’elle ne pense elle-même. Mais enfin le bruit que j’étais amoureux lui donna de si grandes inquiétudes et de si grands chagrins, que je me crus cent fois perdu auprès d’elle. Je la rassurai enfin à force de soins, de soumissions et de faux serments ; mais je n’aurais pu la tromper long-temps, si le changement de madame de Thémines ne m’avait détaché d’elle malgré moi...

20 fév 1978

Vous savez l’amitié qu’il y a entre Sancerre et moi ; néanmoins il devint amoureux de madame de Tournon, il y a environ deux ans, et me le cacha avec beaucoup de soin, aussi-bien qu’à tout le reste du monde : j’étais bien éloigné de le soupçonner. Madame de Tournon paraissait encore inconsolable de la mort de son mari, et vivait dans une retraite austère. La sœur de Sancerre était quasi la seule personne qu’elle vît, et c’était chez elle qu’il en était devenu amoureux.

Un soir qu’il devait y avoir une comédie au Louvre, et que l’on n’attendait plus que le roi et madame de Valentinois pour commencer, l’on vint dire qu’elle s’était trouvée mal, et que le roi ne viendrait pas. On jugea aisément que le mal de cette duchesse était quelque démêlé avec le roi : nous savions les jalousies qu’il avait eues du maréchal de Brissac pendant qu’il avait été à la cour, mais il était retourné en Piémont depuis quelques jours, et nous ne pouvions imaginer le sujet de cette brouillerie...

20 fév 1978

La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri II. Ce prince était galant, bien fait, et amoureux : quoique sa passion pour Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, eût commencé il y avait plus de vingt ans, elle n’en était pas moins violente, et il n’en donnait pas des témoignages moins éclatants.

Comme il réussissait admirablement dans tous les exercices du corps, il en faisait une de ses plus grandes occupations : c’était tous les jours des parties de chasse et de paume, des ballets, des courses de bagues, ou de semblables divertissements. Les couleurs et les chiffres de madame de Valentinois paraissaient par-tout, et elle paraissait elle-même avec tous les ajustements que pouvait avoir mademoiselle de la Marck, sa petite-fille, qui était alors à marier...

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