Le positivisme d'Auguste Comte - 3e partie : «la grande crise politique et morale»
Submitted by Anonyme (non vérifié)Auguste Comte exprime donc un besoin historique, celui d'annoncer une nouvelle mentalité. Il lève le drapeau de la fin de la superstition, ce qui équivaut pour lui à annoncer le triomphe de l'ère industrielle, de la conception terre à terre de l'industriel.
Comme il le dit dans son Discours sur l'esprit positif, les superstitions sont condamnées à graduellement disparaître, cédant la place à l'approche nouvelle :
« A mesure que les lois physiques ont été connues, l’empire des volontés surnaturelles s’est trouvé de plus en plus restreint, étant toujours consacré surtout aux phénomènes dont les lois restaient ignorées. »
Auguste Comte insiste particulièrement sur cette dimension idéologique, dans la mesure où il cherche à bien montrer qu'il existe une crise très profonde dans l'idéologie dominante en France. Cette crise tient bien sûr à non-adéquation de l'idéologie dominante avec les besoins de la réalité.
Ces besoins sont industriels d'un côté – c'est-à-dire demandant une approche matérialiste - scientifique – sociaux de l'autre, c'est-à-dire répondant aux besoins de la société guidée par la bourgeoisie. Dans le contexte de la Restauration, le positivisme est un drapeau : celui d'une réforme radicale des mentalités, l'effacement des mœurs et conceptions du passé, du catholicisme, de l'aristocratie.
Voici comment il caractérise la crise intellectuelle et morale présente en France dans le cours de philosophie positive :
« Ce n'est pas aux lecteurs de cet ouvrage que je croirai jamais devoir prouver que les idées gouvernent et bouleversent le monde, ou, en d'autres termes, que tout le mécanisme social repose finalement sur des opinions.
Ils savent surtout que la grande crise politique et morale des sociétés actuelles tient, en dernière analyse, à l'anarchie intellectuelle.
Notre mal le plus grave consiste, en effet, dans cette profonde divergence qui existe maintenant entre tous les esprits relativement à toutes les maximes fondamentales dont la fixité est la première condition d'un véritable ordre social.
Tant que les intelligences individuelles n'auront pas adhéré par un assentiment unanime à un certain nombre d'idées générales capables de former une doctrine sociale commune, on ne peut se dissimuler que l'état des nations restera, de toute nécessité, essentiellement révolutionnaire, malgré tous les palliatifs politiques qui pourront être adoptés, et ne comportera réellement que des institutions provisoires.
Il est également certain que, si cette réunion des esprits dans une même communion de principes peut une fois être obtenue, les institutions, convenables en découleront nécessairement, sans donner lieu à aucune secousse grave, le plus grand désordre étant déjà dissipé par ce seul fait. C'est donc là que doit se porter principalement l'attention de tous ceux qui sentent l'importance d'un état de choses vraiment normal. »
Pour bien saisir sa critique indirecte du catholicisme, voici un extrait du Discours sur l’esprit positif, où il souligne bien que l'hypocrisie prédomine, en raison de l'incapacité de l'ancienne forme morale d'avoir une valeur aux yeux de la population.
Il souligne bien, par conséquent, que c'est en quelque sorte au nom de la morale que l'ancienne morale doit être remplacée ; c'est une nécessité sociale de moderniser l'idéologie dominante.
C'est une question d'ordre public : l'ancien ordre n'est plus capable de le maintenir, seule la bourgeoisie est capable de prendre la société en main et de façonner les opinions de manière ordonnée et efficace.
« Pour achever d’apprécier les prétentions actuelles de la philosophie théologico-métaphysique à conserver la systématisation exclusive de la morale usuelle, il suffit d’envisager directement la doctrine dangereuse et contradictoire que l’inévitable progrès de l’émancipation mentale l’a bientôt forcée d’établir à ce sujet, en consacrant partout, sous des formes plus en moins explicites, une sorte d’hypocrisie collective, analogue à celle qu’on suppose très mal à propos avoir été habituelle chez les anciens, quoiqu’elle n’y avait jamais comporté qu’un succès précaire et passager.
Ne pouvant empêcher le libre essor de la raison moderne chez les esprits cultivés, on s’est ainsi proposé d’obtenir d’eux, en vue de l’intérêt public, le respect apparent des antiques croyances, afin d’en maintenir, chez le vulgaire, l’autorité jugée indispensable.
Cette transaction systématique n’est nullement particulière aux jésuites, quoiqu’elle constitue le fond essentiel de leur tactique ; l’esprit protestant lui a aussi imprimé, à sa manière, une consécration encore plus intime, plus étendue, et surtout plus dogmatique : les métaphysiciens proprement dits l’adoptent tout autant que les théologiens eux-mêmes ; le plus grand d’entre eux, quoique sa haute moralité fût vraiment digne de son éminente intelligence, a été entraîné à la sanctionner essentiellement, en établissant, d’une part, que les opinions théologiques quelconques ne comportent aucune véritable démonstration, et, d’une autre part, que la nécessité sociale oblige à maintenir indéfiniment leur empire.
Malgré qu’une telle doctrine puisse devenir respectable chez ceux qui n’y rattachent aucune ambition personnelle, elle n’en tend pas moins à vicier toutes les sources de la moralité humaine, en la faisant nécessairement reposer sur un état continu de fausseté, et même de mépris, des supérieurs envers les inférieurs. »
On a ici une critique de l'ordre social dominant, au nom de son manque d'efficacité, d'efficience ; le décalage qui se produit dans la société sur le plan des mentalités et des mœurs entrave le progrès et cause des troubles.