7 oct 2018

Le Parti Socialiste SFIO – 7e partie : la soumission à la CGT

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En 1907, au Congrès de Stuttgart, la seconde Internationale décida dans une motion concernant les rapports dans chaque pays entre le Parti et les syndicats, que ceux-ci devaient avoir des « relations étroites » et « rendues permanentes ». Mais les Français se défaussèrent ; après le vote, Marcel Sembat prit la parole et expliqua la chose suivante :

« La majorité de la délégation française déclare que dans la France, l'évolution des rapports entre les organisations syndicale et politique de la classe ouvrière, a subi un cours différent et que l'indépendance réciproque et l'autonomie du Parti socialiste et de la C. G. T., sont une condition nécessaire de leur développement et de leur action et de la possibilité ultérieure d'un rapprochement spontané. »

Les Français, ne voyant pas de protestation après avoir affirmé cela, considérèrent qu'ils pouvaient faire comme ils l'entendaient. Mais en réalité, c'était le masque d'une soumission entière à la CGT. Non pas seulement en raison de la très forte influence anarchiste ou syndicaliste dite révolutionnaire, mais tout simplement parce que la majorité des socialistes considère alors que la révolution sera le produit d'une agitation électorale combinée à une grève générale menée par le syndicat lui-même.

Jean Jaurès expliquait ainsi au congrès de 1912 du Parti Socialiste SFIO que ce serait amener « la guerre civile dans la classe ouvrière » que d'appliquer les principes de la social-démocratie internationale ; Edouard Vaillant parla lui de « crime » si l'on appliquait ces principes, de « déclaration de guerre à la C.G.T. ».

On a ici une différence fondamentale entre les collectivistes à la française et la social-démocratie internationale.

C'est d'ailleurs une double intoxication, tant du Parti Socialiste SFIO sur son importance historique, que de la part de la CGT. Car celle-ci ne représente qu'une toute petite minorité agissante, d'où justement son apparente radicalité et ses discours de minorité agissante au nom de tous.

Ce n'est pas seulement une question de taux de syndicalisation : si la France a un faible taux, elle n'est pas si mal lotie. Le vrai problème est la division syndicale, l'importance mineure de la CGT : seulement 35 % des syndiqués sont membres de la CGT. Sur un peu plus d'un million de syndiqués en général, 400 000 étant dans des syndicats patronaux. Il faut également compter 5 407 syndicats agricoles, réunissant plus de 910 000 syndiqués, à l'écart des socialistes.

Le taux d'appartenance au syndicat lié à l'Internationale est par contre de 100 % en Espagne, de 100 % aussi en Serbie et aux Etats-Unis, de pratiquement 100 % en Hongrie, de plus de 97 % en Norvège et en Bosnie-Herzégovine, de 89 % en Croatie, de presque 89 % en Autriche, de presque 83 % au Danemark, de 78 % en Allemagne, de 73 % en Belgique, de 69 % en Suède.

Numériquement, les chiffres ont leur importance aussi : il y a, avant 1914, seulement 355 000 syndiqués CGT sur plus de 11 millions de travailleurs. Ainsi, non seulement la CGT est largement marginale dans la classe ouvrière, malgré que 40 % des entreprises aient plus de cent ouvriers, mais la paysannerie qui forme la moitié du pays est entièrement coupée d'elle.

La répression est également brutale. En 1906, c'est l'armée qui est envoyée pour mater la grève générale du bassin minier à la suite de la catastrophe de Courrières, ayant tué un millier de mineurs. Les gendarmes tirent en 1908 sur les carriers des sablières à Draveil, tuant deux ouvriers, puis quatre lors de l'écrasement de la manifestation de la CGT à Villeneuve. La grève dans les PTT, en mars - mai 1909, voit également une défaite complète de la CGT.

Cela n'empêche pas celle-ci de s'imaginer au centre de tout le processus de transformation sociale. Elle est grisée par son développement : le nombre de syndicats CGT est de 1043 en 1902, 1220 en 1903, 1792 en 1904, 2399 en 1906, 2590 en 1908, 3012 en 1910. Elle s'imagine que le processus ne peut pas être interrompu et même qu'elle peut déjà se placer au centre de l'initiative, d'où l'adoption de la charte dite d'Amiens en octobre 1906.

Cette adoption provoqua un vaste au débat au congrès du Parti socialiste (SFIO) qui se déroula du 1er au 4 novembre de la même année, d'ailleurs le moment de la charte visait évidemment à provoquer une certaine rupture entre la CGT et le Parti, avec paradoxalement l'accord de la majorité des socialistes, qui avaient par ailleurs l'obligation statutaire d'adhérer à la CGT si c'était possible dans leur activité salariale.

Car la charte d'Amiens est très claire : il est interdit en d'amener les questions politiques dans le syndicat, ce dernier ne doit aborder que les questions économiques, ce qui serait en soi une préparation aux grandes transformations sociales, avec bien entendu à l'arrière-plan le mythe de la grève générale.

La politique est résumée à une activité de partis et de sectes à la marge du mouvement :

« En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu'afin que le syndicalisme atteigne son maximum d'effet, l'action économique doit s'exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n'ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté, la transformation sociale. »

Le socialiste Victor Renard avait pourtant proposé une motion disant que :

« Le Comité Confédéral est invité à s’entendre toutes les fois que les circonstances l’exigeront, soit par des délégations intermittentes ou permanentes, avec le conseil national du Parti socialiste pour faire plus facilement triompher ces principales réformes ouvrières. »

Cependant, 774 voix du congrès de la CGT s'y opposèrent, contre 34 pour, alors que le positionnement anti-politique de la Charte d'Amiens aura, lors du même congrès, 834 pour, 8 contre (et une abstention). Cela signifie que non seulement les socialistes apparaissent ici comme une minorité politique très faible au congrès alors qu'ils sont physiquement massivement présents. Ils sont en fait d'accord sur cette répartition : la CGT s'appropriait la dimension économique et il ne restait plus que le terrain parlementaire pour le Parti.

Jean Jaurès avait déjà affirmé cette ligne lors du second congrès du Parti Socialiste SFIO :

« Ayons confiance dans la classe ouvrière agissant par l'action politique et par l'action économique, ou plutôt par une seule et grande action politique qui a deux organes, le syndicalisme et l'action parlementaire, et allons ainsi à la bataille.

A mesure que nous agirons, le vice de chaque méthode s'éliminera et seule la partie efficace de chacune subsistera. »

Cela ne pouvait que renforcer l'économisme syndical et l'électoralisme du Parti ; cela signifiait que le Parti socialiste (SFIO) non seulement ne dirigeait pas le syndicat comme c'est le cas en Allemagne, mais qu'en plus le terrain syndical asséchait entièrement désormais tout ce qui ressemblerait à une discussion politique. C'était là dépolitiser la classe ouvrière française et donner des ailes à l'esprit insurrectionnaliste blanquiste, anarchiste. Karl Kautsky était très clair à ce sujet :

« Quant à la résolution de la majorité française, elle est totalement inacceptable.

D'une part, parce qu'elle représente la grève générale comme un moyen suprême dans la lutte économique, tandis que la majorité des camarades allemands reconnaît simplement la grève générale comme un moyen de lute éventuel dans la bataille politique.

Ensuite, c'est qu'elle conçoit l'autonomie syndicale dans l'esprit anarchiste. »

Jules Guesde avait de son côté conscience de cela, expliquant avec justesse au second congrès :

« On peut laisser croire à la Bourgeoisie qu'il y a là une véritable force, mais en fait, au point de vue numérique, vous savez bien que nos syndicats sont tout à faits insuffisants, que, comparés à ce qu'ils sont en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, ils n'existent à peu près pas. »

Cela n'empêcha pas le choix de la soumission à la CGT, de toutes façons. Deux résolutions se firent face alors au troisième congrès du Parti socialiste SFIO, en 1906, pour tenter de répondre à cette crise imposée par la ligne anti-Parti de la CGT.

La première, proposée par le guesdiste Charles Dumas soutenu par les 42 délégués du Nord acquis à Jules Guesde, affirme une tentative d'esprit d'unité :

« Considérant que c'est la même classe, le même prolétariat qui s'organise et agit, qui doit s'organiser et agir en Syndicats ici, sur le terrain corporatif, en parti socialiste là, sur le terrain politique ;

Que si ces deux modes d’organisation et d'action de la même classe ne sauraient être confondus, distincts qu'ils sont et doivent rester de but et de moyens, ils ne sauraient s'ignorer, s'éviter, à plus forte raison s'opposer sans diviser mortellement le prolétariat contre lui-même et le rendre incapable d'affranchissement ;

Le Congrès déclare :

Il y a lieu de pourvoir à ce que, selon les circonstances, l'action syndicale et l'action politique des travailleurs puissent se concerter et se combiner. »

Cette proposition reçut 130 voix et échoua par conséquent face à la résolution suivante, faite par la Fédération du Tarn et recevant 148 voix (pour 9 abstentions). Il s'agit ici d'une capitulation ouverte et d'un appel à une sorte de « parallélisme » fondamentalement opposé aux principes socialistes.

« Le Congrès, convaincu que la classe ouvrière ne pourra s'affranchir pleinement que par la force combinée de l'action politique et de l'action syndicale, par le syndicalisme allant jusqu'à la grève générale et par la conquête de tout le pouvoir politique en vue de l'expropriation générale du capitalisme ;

Convaincu que cette double action sera d'autant plus efficace que l'organisme politique et l'organisme économique auront leur pleine autonomie ;

Prenant acte de la résolution du Congrès d'Amiens, qui affirme l'indépendance du syndicalisme à l'égard de tout parti politique et qui assigne en même temps au syndicalisme un but que le socialisme seul, comme parti politique, reconnaît et poursuit ;

Considérant que cette concordance fondamentale de l'action politique et de l'action économique du prolétariat amènera nécessairement, sans confusion, ni subordination, ni défiance, une libre coopération entre les deux organismes ;

Invite tous les militants à travailleur de leur mieux à dissiper tout malentendu entre la Confédération du Travail et le Parti socialiste. »