Défense et illustration de la langue française - 3e partie : Naissance de la France et monarchie absolue
Submitted by Anonyme (non vérifié)Lorsque Joachim du Bellay appelle à se saisir des meilleurs exemples du passé afin de parvenir à « amplifier » la langue française conformément aux exigences du moment, il souligne bien qu'il ne s'agit en aucun cas de copier.
A aucun moment, Joachim du Bellay n'est d'accord pour rejeter unilatéralement notre langue vulgaire ; ce dont il s'agit, ce n'est pas de copier, mais de s'appuyer sur ce qui a été fait. Par conséquent, Joachim du Bellay se place en désaccord avec l'humanisme de type italien, lié à l'esprit catholique principalement.
On est ici dans une dynamique nationale, liée à la monarchie absolue ; Joachim du Bellay peut donc affirmer :
« Je n'estime pourtant notre vulgaire, tel qu'il est maintenant, être si vil et abject, comme le font ces ambitieux admirateurs des langues grecque et latine »
Car bien entendu, ici le processus de formation de la nation passe par le développement de la monarchie absolue, puisque c'est elle qui amène l'avènement de la langue nationale en tant qu'infrastructure de la nouvelle situation.
Nous en sommes ici à l'étape intermédiaire (avant Louis XIV), avec François Ier, naturellement célébré par Joachim du Bellay en tant que tel :
« Et qui voudra de bien près y regarder, trouvera que notre langue française n'est si pauvre qu'elle ne puisse rendre fidèlement ce qu'elle emprunte des autres ; si infertile qu'elle ne puisse produire de soi quelque fruit de bonne invention, au moyen de l'industrie et diligence des cultivateurs d'icelle, si quelques-uns se trouvent tant amis de leur pays et d'eux-mêmes qu'ils s'y veuillent employer.
Mais à qui, après Dieu, rendrons-nous grâces d'un tel bénéfice, sinon à notre feu bon roi et père François premier de ce nom, et de toutes vertus ?
Je dis premier, d'autant qu'il a en son noble royaume premièrement restitué tous les bons arts et sciences en leur ancienne dignité : et si a notre langage, auparavant scabreux et mal poli, rendu élégant, et sinon tant copieux qu'il pourra bien être, pour le moins fidèle interprète de tous les autres.
Et qu'ainsi soit, philosophes, historiens, médecins, poètes, orateurs grecs et latins, ont appris à parler français. »
A partir du moment où l'administration, l'Etat, les artistes, etc. revendiquent le français, alors on a un passage à une nouvelle étape, supérieure. Il y a un saut qualitatif, qui exprime la naissance de la France.
Ce processus reflète les exigences de la monarchie absolue, cependant seule la bourgeoisie sera en mesure de véritablement unifier les masses.
Bertrand Barère (1755-1841), membre du Comité de salut public en 1793, constate que le processus enclenché n'a pas été terminé :
« La monarchie avait des raisons de ressembler à la tour de Babel; dans la démocratie, laisser les citoyens ignorants de la langue nationale, incapables de contrôler le pouvoir, c'est trahir la patrie... Chez un peuple libre, la langue doit être une et la même pour tous. »
Au même moment, l'abbé Grégoire mène une enquête et constate que moins d'une personne sur cinq en France parle le même langage qu'à Paris (soit moins de 3 millions sur 25), dans 15 départements sur 83.
Il écrit alors un Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française.
L'abbé Grégoire explique la situation de la manière suivante :
« Nous n'avons plus de provinces, et nous avons encore environ trente patois qui en rappellent les noms.
Peut-être n'est-il pas inutile d'en faire l'énumération : le bas-breton, le normand, le picard, le rouchi ou wallon, le flamand, le champenois, le messin, le lorrain, le franc-comtois, le bourguignon, le bressan, le lyonnais, le dauphinois, l'auvergnat, le poitevin, le limousin, le picard, le provençal, le languedocien, le velayen, le catalan, le béarnais, le basque, le rouergat et le gascon ; ce dernier seul est parlé sur une surface de 60 lieues en tout sens.
Au nombre des patois, on doit placer encore l'italien de la Corse, des Alpes-Maritimes, et l'allemand des Haut et Bas-Rhin, parce que ces deux idiomes y sont très-dégénérés. »
Ce que pose Joachim du Bellay, la révolution française l'achèvera : c'est un saut de civilisation, passant par l'unification des masses, les amenant à une étape supérieure.