Jean Calvin et l'avènement de l'individu - 4e partie : l'entendement assume la morale
Submitted by Anonyme (non vérifié)Le calvinisme a une image de grande rigueur et de grande exigence, dans un esprit particulièrement austère. Une telle approche est erronée et ne s'intéresse qu'aux apparences.
Si l'on veut comprendre la démarche de Jean Calvin, et son importance, il faut se concentrer sur comment Jean Calvin formule une théorie de la connaissance où la conscience a un rôle majeur. C'est ici que Jean Calvin révèle sa nature de classe révolutionnaire, portant la bourgeoisie qui alors brise les chaînes de la féodalité.
Pour comprendre cela, il suffit d'effectuer quelque chose de très simple : remplacer le terme Dieu par celui de morale dans le cadre d'une société organisée. Dieu, chez Jean Calvin, n'est pas un « tyran » lointain, mais celui qui justifie la possibilité de l'humanité disposant de l'entendement.
Sans Dieu, il n'y a pas d'entendement possible, il n'y a pas de raison, et donc d'acte raisonné. C'est pour cela que Jean Calvin reproche aux épicuriens de sombrer dans une oisiveté sans intérêt, dans l'absence d'organisation sociale, bref dans le nihilisme social :
« Car quel profit y aura-il de confesser avec les Épicuriens, qu'il y a quelque Dieu, lequel s’étant déchargé du soin de gouverner le monde, prenne plaisir en oisiveté ? Mesniesde quoy servira-il de cognoistre un Dieu, avec lequel nous n'ayons que faire ? »
Si Dieu existe, au contraire, il y a une exigence morale qui pousse les humains à s'élever sur le plan de l'organisation sociale. La religion découle de la « piété », qui elle-même découle des vertus de Dieu : la religion n'a pas la première place, mais la seconde par rapport à la morale permise par Dieu.
Jean Calvin affirme ainsi :
« A parler droitement nous ne dirons pas que Dieu soit connu, où il n'y a nulle religion de piété (…). Ce sentiment des vertus de Dieu, est le seul bon maître et propre pour nous enseigner piété, de laquelle la religion procède (…).
J'appelle Piété, une révérence et amour de Dieu conjointes ensemble, à laquelle nous sommes attirez, connaissant les biens qu'il nous fait ».
Il y a là l'élément clef de l'œuvre de Jean Calvin. Il ne s'agit pas d'une tyrannie de la religion, mais de la morale. La religion n'est que l'enseignement au sujet de la piété, qui elle-même consiste en l'expression humaine de valeurs morales portées par Dieu.
C'est là un puissant renversement de la position féodale où c'est l’Église organisée qui porte la morale, au nom de Dieu. Ici, chaque individu accède, non plus simplement à la religion en tant que structure hiérarchisée, mais directement à la piété émanant de Dieu.
La morale sociale est la base psychique pour des humains vivant en collectivité. Dieu est la morale surplombant les humains et ceux-ci, s'ils veulent vivre en tant qu'humains réels, hors du chaos, doivent se plier à la morale, qui leur correspond finalement également.
Toute la tension de la morale calviniste est là : à la fois on soumet l'être humain, mais en même temps c'est dans sa nature – cette tension ira jusqu'à devenir une contradiction que Jean Calvin résoudra au moyen de la « prédestination » de certaines âmes devant être sauvées, comme on le verra.
Il fallait bien expliquer, en effet, pourquoi certains ne « répondaient » pas aux appels de la morale.
Jean Calvin explique donc, en tout cas, que connaître Dieu revient à connaître la morale propre aux sociétés humaines réelles :
« Or si tous hommes naissent et vivent à ceste condition de connaître Dieu, et que la connaissance de Dieu si elle ne s'avance jusques-là où j’ai dit, soit vaine et s’évanouisse : il apparaît que tous ceux qui n'adressent point toutes leurs pensées et leurs œuvres à ce but, se fourvoient et s’égarent de la fin pour laquelle ils sont crées.
Ce qui n'a pas été inconnu même des Philosophes païens : car c'est ce qu'a entendu Platon, disant que le souverain bien de l'âme est de ressembler à Dieu, quand après l'avoir connu, elle est du tout transformée en lui (…).
Par quoi un certain personnage qu'introduit Plutarque argue très bien, en remontrant que si on ôte la religion de la vie des hommes, non-seulement ils n'auront de quoi pour être préféré aux bêtes brutes, mais seront beaucoup plus misérables, vue qu’étant sujets à tant d'espèces de misères, ils mèneront en grand regret et angoisse une vie pleine de trouble et inquiétude.
Dont il conclue qu'il n'y a que la religion qui nous rende plus excellents que les bêtes brutes, vue que c'est par elle que nous tendons à immortalité. »