31 juil 2014

Existentialisme et pessimisme - 8e partie : «dasein», «intentionnalité» et un monde «absurde»

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Ce qui est frappant dans le roman L'étranger, c'est que le personnage n'a aucun intérêt à part lui-même dans son existence immédiate. Lorsque sa petite-amie lui propose de se marier, il est d'accord de manière vague, car en fait il ne se projette jamais. De la même manière, il apparaît « indifférent » à la mort de sa mère, ou lorsqu'il tue une personne sur la plage. Tout cela lui semble abstrait. Albert Camus, en fait, dresse ici le portrait de ce que Martin Heidegger a appelé le « dasein » et Edmund Husserl, avant lui, l'intentionnalité.

Pourquoi est-ce que, en France, Martin Heiddegger est si connu dans les milieux bourgeois, bien plus que Edmund Husserl ? Cela tient à ce que Martin Heidegger a résolu des problèmes inhérents à la démarche d'Edmund Husserl ; il a comblé les manquements rendant inopérants l'ensemble. Sa principale trouvaille tient à un concept, appelé « dasein », exposé dans l'oeuvre appelé Être et temps, publié en 1927.

Dans ce Être et temps, Martin Heidegger tente d'aller plus loin qu'Edmund Husserl, de combler ce qui pose un problème fondamental : le rapport entre la conscience et le fait de vivre. En effet, Edmund Husserl a fait comme René Descartes, acceptant de séparer l'esprit du corps. On en arrive à une conscience pure, cela est clair pour tout le monde. Cela renforce l'idéalisme, c'est très bien pour la bourgeoisie.

Mais quel est alors le rapport au corps ? Car l'être humain a également une enveloppe charnelle. Edmund Husserl ne s'y est pas intéressé, mais il le faut pourtant, car tant que cette question n'est pas réglée, il y a l'espace pour la critique effectuée par le matérialisme dialectique.

L'idée alors de Martin Heidegger, et de l'existentialisme à sa suite, avec notamment Jean-Paul Sartre ou encore Albert Camus, c'est de dire que l'être humain trouve fondamentalement désagréable d'être dans un corps qui va mourir. Il considère son corps comme une enveloppe à améliorer, comme une sorte d'habit, et il est profondément choqué, angoissé à l'idée qu'il va mourir en raison de cet habit devenu périmé.

Ce n'est pas original, puisque c'est la conséquence inévitable de la vision séparant le corps et l'esprit, vision religieuse au cœur des figures intellectuelles d'ailleurs religieuses de René Descartes et Edmund Husserl.

Toutefois, Martin Heidegger va réactiver le thème baroque de l'angoisse fondamentale par rapport à la mort. De la même manière que le baroque relativisait au maximum la vie afin de contrer l'humanisme (et le matérialisme), Martin Heidegger relativise la vie comme étant un simple « parcours » secondaire pour la conscience.

La grande différence est qu'il ne parle pas de vie après la mort, on a un baroque sans religion, d'où le thème de l'absurde.

Ce thème de l'angoisse face à la mort est au cœur de la démarche de Martin Heidegger et de l'existentialisme. C'en est devenu un lieu commun intellectuel, dont les plus hautes expressions ont été des chefs d'oeuvre cinématographiques « philosophant » sur cette question angoissante de la mort, avec Le septième sceau d'Ingmar Bergman, Blade Runner de Ridley Scott, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. Les protagonistes refusent le fait d'avoir à mourir et ils font tout pour tenter d'en repousser les limites.

Le fait de savoir qu'on ne peut pas les repousser provoque le trouble majeur de l'identité humaine, aux yeux de Martin Heidegger et de l'existentialisme. Comment la phénoménologie est-elle arrivée à cette démarche ?

En fait, Martin Heidegger prend le fait que la vie ne serait pas définie. Il cite ainsi Blaise Pascal, disant :

« On ne peut entreprendre de définir l'être sans tomber dans cette absurdité : car on ne peut définir un mot sans commencer par celui-ci, c'est, soit qu'on l'exprime ou qu'on le sous-entende. Donc pour définir l'être, il faudrait dire c'est, et ainsi employer le mot défini dans la définition. »

Cette position n'est possible bien entendu que si on refuse la définition matérialiste de la vie, avec le principe de la matière en mouvement et en voie de complexification.

Cela amène Martin Heidegger à séparer la vie en d'un côté l'existence, et de l'autre ce qui existe. Il parle alors de l'Être et des étants, et l'existence d'un être humain il l'appelle « dasein » c'est-à-dire « être-là », mais la traduction est impropre, il faudrait traduire par « l'être qui est ici sur place immédiatement présent ».

Ce que signifie ce terme de « dasein » ne veut rien dire d'autre en fait que l'être humain est sa conscience et plus précisément sa conscience immédiate. Le terme de « dasein » n'est là que pour conceptualiser le principe de l'intentionnalité d'Edmund Husserl, selon lequel un être humain n'existe que par sa conscience « tendant » vers quelque chose, se tournant vers quelque chose.

Si l'on regarde l'étymologie, le terme latin « intention » signifie « action de tendre ; application de la pensée, attention ; effort vers un but, intention ; intensité ».

Le personnage du roman L'étranger de Camus est ainsi un exemple complet de dasein, c'est-à-dire de personne se résumant, se limitant à une présence immédiate et à une conscience immédiate, sans aucun esprit de projection. Mais ce qui compte, c'est que, selon Martin Heidegger et l'existentialisme, la projection est impossible, car un individu ne se rattache à rien. Il est immédiatement là, et c'est tout, cela s'arrête là.

C'est la thèse inverse de celle du matérialisme dialectique pour qui un être humain est de la matière vivante forcément imbriquée dans le reste de la vie sur Terre, ce qui est appelé la « biosphère », et pour qui la conscience n'est que matière grise, reflet du mouvement général de la matière.

Figures marquantes de France: