10 mai 2013

Epicure, Lucrèce, Spinoza - Introduction

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Epicure, Lucrèce, Spinoza - 1ère partie : Introduction - face à l’esprit français « stoïque »

Le philosophe grec Épicure (342 – 270 avant notre ère) est d’une grande importance dans l’histoire de l’humanité ; son influence a été très grande pour le courant matérialiste qui, partant d’Épicure, passe par Lucrèce puis Spinoza, pour arriver à Hegel et Marx.

Ce dernier avait d’ailleurs fait une thèse de doctorat intitulée « Différence des conceptions de la nature chez Démocrite et Épicure » ; mieux encore, dans l’ouvrage La Sainte Famille écrit avec Engels, Marx oppose de manière très claire l’épicurisme à Descartes.

Or, en tant que révolutionnaires en France, en tant que communistes luttant pour la dignité du réel, cela est d’une très grande importance ! Voici comment Marx et Engels posent la question :

Le matérialisme cartésien continue d’exister en France. Il enregistre ses grands succès dans la physique mécanique, à laquelle, « pour parler exactement et au sens prosaïque », on peut reprocher tout ce qu’on veut sauf le romantisme.

Dès sa première heure, la métaphysique du XVIIe siècle, représentée, pour la France, surtout par Descartes, a eu le matérialisme pour antagoniste. Descartes le rencontre personnellement en Gassendi, restaurateur du matérialisme épicurien.

Le matérialisme français et anglais est demeuré toujours en rapport étroit avec Démocrite et Épicure. La métaphysique cartésienne a eu un autre adversaire en la personne du matérialiste anglais Hobbes. C’est longtemps après leur mort que Gassendi et Hobbes ont triomphé de leur adversaire, au moment même où celui-ci régnait déjà comme puissance officielle dans toutes les écoles françaises.

Ce passage en dit très long sur la mentalité française de négation de la dignité du réel. Descartes a posé les fondements de la science de la nature, mais il l’a fait de manière mécaniste, à l’opposé des humanistes comme Rabelais pour qui « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

Il va de soi, donc, que le mouvement révolutionnaire n’est pas le prolongement du matérialisme cartésien, contrairement notamment aux thèses révisionnistes des années 1960-1970 ; Marx et Engels le constatent clairement dans La Sainte Famille :

De même que le matérialisme cartésien a son aboutissement dans la science de la nature proprement dite, l’autre tendance du matérialisme français débouche directement sur le socialisme et le communisme.

Il est admirable qu’en France n’ait pas été vue la continuité d’Épicure à Lucrèce, de Lucrèce à Spinoza, de Spinoza à Hegel.

La raison en est qu’en France, les œuvres d’Engels n’ont pas été étudiées. Les penseurs français ont alors fantasmé sur une opposition entre Hegel et Spinoza, certains comme Althusser tentant même de contourner Hegel par l’intermédiaire d’un Spinoza anti-dialectique, etc.

Une telle question était pourtant dépassée depuis les années 1920-1930 en URSS, et Spinoza considéré comme une grande figure matérialiste ! Les communistes en France le savaient dans les années 1920-1950, mais avec le triomphe du révisionnisme, tout cela s’est perdu.

Il est vrai également que la France a été un pays très grandement influencé par le stoïcisme. Or, cette philosophie apparue au même moment que l’épicurisme consiste en son exact contraire.

De la même manière que Spinoza est le prolongement d’Épicure, Descartes se situe dans le prolongement du stoïcisme. Descartes assume clairement cette filiation (« il vaut mieux changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde »).

Cela est d’une importance très grande sur le plan culturel en France : le stoïcisme considère en effet qu’il faut accepter les évènements tels qu’ils se présentent ; l’épicurisme affirme lui qu’il faut sentir la vie telle qu’elle se présente.

Or, la France est cartésienne ; disciple de Descartes, elle accepte les règles mécaniques et mathématiques du monde, sans se soucier de la dignité du réel.

Il y a en fait là un moment clef, qui correspond à la thèse comme quoi le classicisme est le baroque français. Car le baroque n’est ni plus ni moins qu’un néo-stoïcisme ; il suffit de voir les tableaux dépeignant les « vanités », qui enseignent que tout est vain et que rien ne sert à rien puisque tout meurt.

Impossible de comprendre Pascal, Corneille (notamment son œuvre « Cinna » ou Descartes sans voir l’influence du néo-stoïcisme, dont le principal théoricien est le flamand Juste Lipse (1547-1606), et du français Guillaume du Vair (1556-1621), un personnage d’une grande importance dans la naissance de l’idéologie de la nation française.

Tout le baroque français puise massivement dans le stoïcisme, et l’on voit très bien que le classicisme ne dit justement pas autre chose dans son contenu.

Le néo-stoïcisme imprègne toute l’époque de la Contre-Réforme, ce qui est logique puisque, inversement, l’humanisme véritable peut clairement être relié à l’épicurisme.

Ce n’est pas pour rien que les tragédies, formes classiques par excellence, soulignent l’importance du fait d’être stoïque ; le fait de ne pas être stoïque ne peut à l’opposé relever que de la comédie.

Le néo-stoïcisme n’est pas une simple réédition du stoïcisme : il y a l’intégration du religieux, dans une variante qui existe encore aujourd’hui, puisque bon nombre de scientifiques bourgeois se diront croyants, tout en affirmant que la question ne concerne pas leurs activités scientifiques.

Une vision du monde schizophrène et idéaliste qui est typiquement bourgeoise. Et qui fait que la science en France est authentiquement bourgeoise et mécaniste ; elle prend les choses comme elles apparaissent de manière mécanique, d’où l’esprit vivisecteur.

Et en fait, toute la culture latine en France – et cette culture a un grand impact jusque dans les années 1960 dans le monde scolaire et universitaire – est imprégnée de stoïcisme, sans parler de la religion (qu’on pense au jansénisme – variété religieuse de stoïcisme – qui a traversé le christianisme français, mais il faut également bien comprendre que le christianisme puise énormément et directement dans le stoïcisme lui-même).

Voilà qui souligne l’importance à comprendre le mouvement qui part d’Épicure, pour aller à Marx en passant par Lucrèce, Spinoza et Hegel. Pour faire la révolution, il faut saisir l’importance du stoïcisme, à la base de la France cartésienne à l’esprit vivisecteur : la France de la pensée bourgeoise.