12 Jan 2016

David Bowie, talentueux mélodiste, hippie de droite échouant à être expressionniste

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En quelques jours, nous avons pu assister aux décès de Pierre Boulez et de David Bowie, véritables icônes du post-modernisme. Si le premier n'était connu qu'une poignée d'adeptes de la musique contemporaine, le second l'était des larges masses pour ses nombreux succès commerciaux.

Toutefois, ces deux figures possèdent une approche tout à fait commune, correspondant parfaitement à cette « modernité » que la bourgeoisie la plus « moderne » tente de nous présenter comme l'aboutissement le plus abouti de l'épanouissement individuel.

David Bowie est dans cette perspective la figure de l'artiste unique en son genre, tourmenté, parfaitement et totalement créatif, se plaçant au-dessus des masses qu'il toise du haut de son talent, etc.

On peut remarquer à ce titre que David Bowie a tenu des propos exactement similaires à ceux de Lemmy Kilmister, le fameux chanteur et bassiste de Motörhead, décédé également il y a quelques jours. Celui-ci expliquait que les méchants avaient toujours le meilleur look, qu'Adolf Hitler était une rock star.

David Bowie a expliqué de son côté, exactement de la même manière :

« Un jour, je ferai de la politique car je veux être premier ministre. Je suis un partisan du fascisme : notre unique chance de nous sortir de ce libéralisme répugnant, c'est l'extrême droite, tyrannique et dictatoriale.

Les rock-stars sont fascistes aussi et Hitler était l'une des premières. Ce n'était pas un politicien mais un grand artiste moderne. Il a utilisé la politique et le théâtre pour créer cette chose qui allait gouverner et contrôler le spectacle pendant ces douze années-là : il a mis en scène un pays. »

Par la suite, David Bowie a prétendu qu'il a dit cela sous l'effet de drogues. Pourtant, cela reflète tout à fait son approche, comme sa discographie en témoigne, notamment ce qu'il revendiquait dans ses premiers albums.

Son premier album, « David Bowie », en 1967 – lui-même est né en 1947 – contient des ballades sans intérêt. Le second, sorti sous le même nom en 1969, est dans le même esprit mais plus développé en faisant intervenir des éléments de rock progressif et une approche folk à la Bob Dylan. Il contient notamment le hit Space Oddity, nom sous lequel l'album sera réédité par la suite.

Ce n'est qu'après que David Bowie obtient une reconnaissance, avec une étape consistant en les albums The Man Who Sold the World (1970) et Hunky Dory (1971).

Ces deux albums contiennent encore des ballades s'orientant vers un mélange de folk et de rock progressif, mais cette fois avec un travail bien plus abouti permis par l'orientation hard rock donnant un effet bien plus accrocheur, avec toutefois un style en permanence désorienté.

Cela se reflète dans les thèmes : l'album de 1970 parle de l'occultisme d'Aleister Crowley, fait l'éloge des surhommes ayant vécu il y a bien longtemps avec des pouvoirs mystiques, dans la joie et la douleur au summum, ou aborde encore la schizophrénie de manière favorable, le refrain final consistant en des paroles obscures en partie en français « Zane, Zane, Zane Ouvre le Chien Zane, Zane, Zane Ouvre le Chien ».

Sur la pochette anglaise de l'album, David Bowie apparaît d'ailleurs habillé en femme, se stylisant comme le grand artiste au-delà des normes.

L'album de 1971 reprend pareillement le thème de l'homo superior à qui il faudrait laisser la place, n'hésitant pas à raconter que « Je vis dans un film silencieux, faisant le portrait du royaume sacré de Himmler de réalité rêve ».

On a là le vrai David Bowie : une belle voix, un jeu de guitare donnant des motifs très léchés, un texte mystico-idéaliste d'un artiste en quête de pureté outrancièrement esthétisante. Cependant, il faut également voir qu'il y a une dimension ouvertement commerciale. David Bowie veut, à tout prix, la reconnaissance. Sa musique vise clairement le grand public et il s'insère résolument dans une démarche de conquête commerciale.

David Bowie va alors se créer une série de personnages, qu'il va abandonner au bout d'un temps. Il se « recrée » ainsi en personnage, formant une nouvelle icône devant lui permettre d'accéder régulièrement au statut de rock star.

Il devient ainsi Ziggy Stardust, extraterrestre bisexuel prenant une forme humaine afin de visiter la Terre, pour The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars (1972), album d'orientation glam rock qui a un très grand succès commercial. David Bowie reprend également le principe de grandes chansons mélodiques pétries d'atmosphère, dans l'esprit du cabaret berlinois des années 1930.

Il réédite la même approche avec Aladdin Sane en 1973, avec également cette même année un album de reprises, Pin Ups, dans la veine rock anglais de la fin des années 1960 (the Kinks, the Merseys, the Who, the Yardbirds, etc.).

Mettant fin à la carrière de Ziggy Stardust, il fait apparaître le personnage de Halloween Jack. David Bowie aurait aimé reprendre le monde anticommuniste du roman de George Orwell 1984, mais devant un problème de droit, il forme son propre monde apocalyptique pour Diamond dogs en 1974.

David Bowie ajoute cette fois à sa perspective glam rock le style décadent de la beat generation américaine des années 1960, avec surtout William S. Burroughs, pour un phrasé découpé, un texte fragmentaire, pratiquant le collage d'autres textes, dans l'esprit de Dada et du surréalisme. A cela s'ajoute un son bien plus abrasif, annonçant la déchirure musicale punk qui se met en place.

David Bowie pratique alors un renversement musical complet, pour produire un album tentant de combiner soul music, mâtiné de funk et hard rock, avec Young Americans en 1975. Il parlera de plastic soul pour désigner son expérimentation qui, au-delà de son intérêt, ne doit pas masquer que David Bowie tente en permanence de se placer dans l'air du temps et que sa musique est clairement acceptable comme variété par les institutions, et cela depuis le départ.

Il prolonge cette orientation musicale soul avec l'album Station to station, en 1976, se mettant en scène dans les tournées comme un aristocrate sous la figure du Thin White Duke (le duc blanc maigre), avec pantalon et veste noirs, un paquet de Gitanes, des rideaux de lumière blanche, dans l'esprit encore du cabaret allemand.

Les paroles restent, encore et toujours, ancrées dans l'occultisme, avec les rumeurs courant selon laquelle il vivrait dans une maison au milieu d'antiquités égyptiennes, entouré de bougies noires, avec des sorcières volant son sperme et des cadavres tombant des fenêtres.

David Bowie a alors totalement sombré dans les drogues dures et c'est alors qu'il réalise ce qui est considéré comme son œuvre la plus aboutie : la trilogie berlinoise.

Les albums Low et Heroes (1977), ainsi que Lodger (1979) voient David Bowie rompre entièrement avec son approche hippie de droite. S'installant à Berlin, hors du star system et abandonnant sa vie de Los Angeles, il plonge dans une approche expressionniste.

Les trois albums possèdent un son marqué par l'émergence du krautrock en Allemagne, des nouvelles sonorités électroniques, le tout formant une atmosphère résolument rock expérimental, expressionniste. Ils sont absolument inséparables de l'album d'Iggy Pop The Idiot, également de 1977, Iggy Pop étant très proche de David Bowie et ayant passé du temps à Berlin avec lui.

L'impact de la trilogie, à laquelle contribua Brian Eno, fut véritablement énorme, notamment pour toutes les variantes post-punk, comme la cold wave, la new wave.

David Bowie, avec la trilogie, n'est plus un hippie de droite faisant carrière et cherchant à tout prix le succès commercial, il est un artiste authentique, s'isolant dans l'anonymat de Berlin, puisant dans la culture de cette ville une inspiration résolument expressionniste.

David Bowie n'utilisa cependant que la trilogie pour renouveler son approche initiale. Scary Monsters (And Super Creeps), sorti en 1980, est un album qui revient à la dimension variété-mélodie accrocheuse-expérimentation sonore en s'appuyant sur les sons à la mode.

Il continua avec Let's Dance en 1983, davantage orienté dance-rock, où tout le talent de David Bowie se réoriente vers une approche pop, commerciale, outrageusement agréable mais sans profondeur, toujours afin de ne pas rompre avec le monde de la variété.

L'album Tonight, en 1984, fut ouvertement réalisé dans un esprit commercial, pour ne pas disparaître de la scène après l'album précédent. L'album Never Let Me Down, de 1987, prolonge cette logique ouvertement commerciale, terrible et simpliste avec laquelle même David Bowie dut se désolidariser entièrement et ouvertement pour ne pas perdre toute crédibilité.

La tournée Glass Spider Tour, où il tenta de s'imposer comme un artiste capable de mise en scène artistique de grande ampleur, fut un échec complet. David Bowie participa à un groupe de rock hard, Tin Machine, réalisa quelques albums de plus, tentant encore de courir derrière les sons à la mode, mais sans jamais réussi à combiner son approche personnelle et la musique propre à une période.

C'est là le grand souci de David Bowie, qui a été incapable de synthétiser son approche et la culture portée par le peuple. Il a raté la cold wave anglaise du début des années 1980 et la noise rock américaine qui s'ensuivit et qui donna naissance au grunge, tout comme il rata la britpop de la fin des années 1980.

N'y avait-il pourtant pas, chez les Cure et Joy Division, Jesus & the Mary Chain et The Smiths, ou encore chez Echo & the Bunnymen, des perspectives expressionnistes d'une profondeur immense, au moins aussi grandes que dans la trilogie de David Bowie ?

Sans compter, bien entendu, du point de vue communiste, que David Bowie n'a participé à aucun mouvement de fond ayant traversé la société. Il s'est éloigné des forces vives de la société, du peuple qui est à l'origine de la culture.

En l'occurrence, dans son pays, il a par exemple raté la vague soul-pop anglaise engagé du début des années 1980 (the Redskins, the Housemartins, Latin Quarter, etc.). Au même moment, il se tournait vers le dancerock dans son orientation cosmopolite diffusé par les grandes maisons de disque, les majors.

David Bowie s'est même mis comme marque sur le marché boursier de Wall Street, afin de récolter 55 millions de dollars par obligations à rembourser à 8% par le cash de ses ventes d'albums et des produits dérivés. Cela lui permettait de récolter d'un coup ce que les recettes ne lui permettaient d'obtenir qu'en 30 ans. C'est là un esprit mercantile au possible, indigne d'un artiste. On ne sera guère étonné qu'il ait participé à une publicité pour Louis Vuitton, celle pour Vittel où on le voit au milieu de ses nombreux avatars ayant au moins le mérite d'avoir une dimension auto-parodique.

David Bowie a ainsi produit nombre de hits (Space Oddity, Life on Mars?, Changes, Starman, Ziggy Stardust, Fame, Let's dance, etc.), mais à part de manière relative avec la trilogie berlinoise, il n'aura jamais été en mesure de produire une œuvre complète, un album synthétique de son époque et de sa culture, une production issue de la réalité et du peuple. Il sera toujours resté un artiste célébrant son individualité qui serait unique, ses choix éclectiques en fait baroques et décadents.