27 aoû 2009

Michéa et le « Jura Libertaire » contre mai 1968

Submitted by Anonyme (non vérifié)

La bourgeoisie craint la contestation généralisée. Les masses qui grondent s’y avancent chaque jour davantage. Partant de là, il faut pour la bourgeoisie éradiquer le patrimoine de la dernière grande expérience de contestation généralisée: mai 1968.

Le site « Jura Libertaire », en mettant en avant Michéa, contribue à cette destruction du patrimoine révolutionnaire.

Michéa est en effet une figure intellectuelle anti-mai 1968. D’abord, Michéa reprend la position de Nietzsche: la démocratisation est le mal absolu. Rien n’est pire qu’une société de masses.

C’est un discours réactionnaire, qui considère qu’« avant, c’était différent. » Jean-Claude Michéa, agrégé de philosophie (le plus jeune de France à l’époque), explique ainsi au sujet du « conseil de classe » dans les lycées:

« Autrefois c’était le lieu où les professeurs jugeaient, en toute indépendance, le travail des élèves. Le balancier est allé dans l’autre sens. Désormais le conseil de classe tend à devenir le lieu où les représentants des parents et des élèves jugent, à l’américaine, le travail des professeurs. »

Il va de soi que tel n’était pas le point de vue des lycées de mai 1968. En mai 1968, les lycées et les étudiants se sont révoltés contre toutes les institutions scolaires, et n’appréciaient certainement pas ce « conseil de classe » prétendument idéal!

Mais la position de Michéa est logique: il n’a pas fait mai 1968, il est issu du Parti « Communiste » français, qui a été farouchement opposé à mai 1968. Et paradoxalement, il critique de la même manière mai 1968 aujourd’hui, non pas par la droite… mais par la gauche!

Le Jura libertaire n’est en effet pas un site libertaire, mais un site d’ultra gauche, ce qui est bien différent. Le site « Jura libertaire » considère que mai 1968 a été le « dernier assaut révolutionnaire en France », proposant même des documents du mouvement.

Mais il résume mai 1968 à l’activité des situationnistes et des enragés, c’est-à-dire des activistes d’ultra gauche. Les masses sont expulsées de l’histoire de mai 1968. Et Michéa justement fait exactement la même chose, en faisant semblant de prendre le parti du peuple contre les étudiants – mais ce parti du peuple, c’est le parti des seuls ultra-gauchistes. Michéa dit en effet, dans le document sur le site du « Jura libertaire »:

« Pour un peu, tout le monde aurait presque oublié que les critiques les plus impitoyables de la contestation étudiante — autrement dit du «Mai 68» officiel — ont été formulées, à l’époque, par les situationnistes. »

Il faut bien comprendre que Michéa est un disciple du théoricien réactionnaire américain Lasch, l’un des principaux théoriciens anti-mouvements de jeunesse des années 1960-1970. Lasch dit au sujet des révolutionnaires de ces années que « s’ils embrassèrent la cause du radicalisme, ce ne fut pas d’abord parce qu’elle promettait des résultats pratiques, mais parce qu’elle constituait une nouvelle manière de dramatiser leur moi ».

On appréciera comme il se doit cette vision bourgeoise du Black Panther Party, du Weather Underground, de la Black Liberation Army, etc. etc.

Cette thèse de Lasch se trouve dans « La culture du narcissisme », paru en 1979, où de la même manière que les auteurs fascistes, il explique qu’en raison du libéralisme les gens ont un « vide intérieur », qu’ils sont faibles devant les épreuves, que « l’idéologie du développement personnel, optimiste à première vue, irradie résignation et désespoir profond. »

Lasch pratique ainsi l’élitisme: « avant, c’était différent. » Niant la terrible exploitation des masses populaires aux USA, il fantasme sur un âge d’or passé:

« L’éducation de masse, qui se promettait de démocratiser la culture, jadis réservée aux classes privilégiées, a fini par abrutir les privilégiés eux-mêmes. La société moderne, qui a réussi à créer un niveau sans précédent d’éducation formelle, a également produit de nouvelles formes d’ignorance. Il devient de plus en plus difficile aux gens de manier leur langue avec aisance et précision, de se rappeler les faits fondamentaux de l’histoire de leur pays, de faire de s déductions logiques, de comprendre des textes écrits autres que rudimentaires. » (Christopher Lasch, « La culture du narcissisme »).

En France, Michéa est le diffuseur de la pensée de Lasch, en laquelle il se reconnaît totalement.

Voilà le personnage que le « Jura Libertaire » soutient. Et cela n’est pas qu’une simple « erreur », mais bien une faute, car en arrière-plan, il y a toute la campagne bougeoise contre 1968.

Mai 1968 suit le putsch gaulliste de 1958, qui a instauré la cinquième république, où le président est pratiquement un roi élu, où les élections parlementaires suivant les présidentielles sont quasiment des plébiscites.

Mai 1968 a fait vaciller cette cinquième république, mai 1968 a fait vaciller l’ordre bourgeois, la classe ouvrière a réussi une grande grève générale, l’extrême-gauche s’est alors formidablement développée, la contestation des valeurs bourgeoises a pu s’élargir.

Pour la bourgeoisie aujourd’hui, qui veut une société correspondant à ses exigences, mai 1968 doit aujourd’hui être éradiqué en tant que patrimoine révolutionnaire.

On a beaucoup critiqué le caractère social-démocrate du NPA de Besancenot, mais l’une des preuves de son caractère réformiste, c’est justement l’abandon du nom de « Ligue Communiste Révolutionnaire », issue des Jeunesses Communistes Révolutionnaires, une organisation historique de mai 1968.

Et il faut bien voir que tous les auteurs d’extrême-droite justifient leurs positions soi-disant de « gauche » par rapport justement à mai 1968.

L’un des principaux intellectuels d’extrême-droite, Alain de Benoist, affirme ainsi au sujet de mai 1968 la même chose que Michéa:

« Il n’est pas exagéré de dire que c’est finalement la droite libérale qui a banalisé l’esprit « hédoniste » et « anti-autoritaire » de Mai 68. » (Mai 68).

Alain Soral ne dit lui non plus pas autre chose:

« Contrairement à l’idéologie à la fois nihiliste et ultra-libérale de la culture rap (je ne parle pas du baratin pseudo-révolutionnaire des textes, mais de la réalité du rap comme moyen d’ascension ultra-individualiste par l’inféodation au pouvoir du show-biz), la culture musulmane, elle, ne produit pas des délinquants drogués et suicidaires, mais des hommes élevés dans des valeurs. Des valeurs de dignité et de respect qui ressemblent beaucoup, finalement, à celles qu’on inculquait aux hommes de France, et à moi-même, avant la déferlante du néo-matriarcat à l’américaine importé par mai 68 » (Interview par le site Oumma.com, janvier 2004).

Le « Jura Libertaire » peut bien refuser la critique et parler de « sermon stalinien » et mettre en avant Orwell, cela n’y changera rien.

Surtout que la thèse d’Orwell – communisme = fascisme, est déjà présente dans tous les livres d’histoire des lycées français, et que ses oeuvres (« 1984 » et « La ferme des animaux ») sont régulièrement étudiée en français!

Tout cela révèle la culture universitaire, la culture bourgeoise. Se prétendre révolutionnaire et faire l’apologie d’un agrégé de philosophie encensé par le Figaro et tout un pan de l’extrême-droite, qui a rejoint le Parti « Communiste » français après mai 1968, forme une contradiction intenable pour qui s’affirme révolutionnaire!         

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