23 nov 2009

Dynamitons le concept de « classicisme », masque du baroque et du formalisme, fondement de l’idéologie bourgeoise française du « panache » et du « raisonnable » !

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Dans le second article traitant du baroque caractérisant la société française -La culture de la société française devient grotesque (et nécessite une critique réaliste s’opposant au formalisme-, il a été affirmé que « là où il y a du baroque, il y a le formalisme, et inversement. »

Cette affirmation est très lourde de conséquence pour la compréhension de la société française. En effet, la culture française dans son interprétation bourgeoise est considérée comme ayant vécu son apogée à l’époque de Louis XIV, avec le « classicisme. »

C’est une pièce maîtresse de l’idéologie bourgeoisie. La révolution ne pourra pas triompher dans la guerre de positions tant que cette place forte n’est pas vaincue.

En effet, si l’on regarde bien, on voit que le concept de « classicisme » appliqué à cette période a été utilisé d’abord par Stendhal, en 1817, et la bourgeoisie n’a eu cesse d’affirmer cela depuis, se mettant en valeur comme le prolongement, l’aboutissement de la civilisation. C’est un point essentiel dans le dispositif idéologique pour empêcher la classe ouvrière de s’affirmer en tant que classe révolutionnaire devant prendre le pouvoir.

D’ailleurs, cette affirmation de la bourgeoisie ne va pas sans soucis, bien entendu. Les historiens des arts et de la littérature n’ont eu cesse de buter sur une contradiction terrible: comment se fait-il que le classicisme, théoriquement (donc) apogée de la culture française, côtoie le baroque, expression bien connue de la réaction féodale, notamment italienne et espagnole ?

C’est là précisément qu’est très utile le principe comme quoi il n’y a pas de mentalité baroque sans un pendant formel. Il permet justement de dynamiter le « classicisme », une notion bourgeoise totalement fausse.

Et c’est donc d’une grande importance pour la révolution en France, non seulement sur le plan culturel, mais également pour une compréhension juste des luttes de classe par la classe ouvrière, en général et en France. Mais pourquoi justement la bourgeoisie affirme-t-elle que, alors que l’aristocratie va à son effondrement, elle atteindrait son apogée culturelle cent ans auparavant ?

Cela ne tient pas, à moins que la bourgeoisie ne se pose ainsi en tant qu’aboutissement absolu de l’évolution de la culture française, comme classe assumant la civilisation, civilisation que, pour des raisons diverses, l’aristocratie n’aurait elle pas été en mesure d’assumer…

Nous touchons ici le cœur du dispositif bourgeois consistant en l’invention de la « civilisation française ».

Comprenons bien cela. Dans le document « Pour faire face à la pression, il faut comprendre le caractère baroque de notre époque » il a été dit que le classicisme est une période d’équilibre stratégique entre l’aristocratie et la bourgeoisie, période se situant entre le baroque (réaction féodale à l’humanisme) et les Lumières (offensive de la culture bourgeoise).

En fait, le classicisme n’existe justement pas, précisément pour cette raison. Le classicisme c’est en fait le formalisme, et ce formalisme est donc le pendant du baroque. Si le baroque coexiste avec le « classicisme », c’est justement que celui-ci est en fait le formalisme! Voilà le mystère incompris des historiens bourgeois qui se voit résolu!

Prenons ici toute une série d’exemples pour bien comprendre cette situation, caractérisée par l’équilibre entre la bourgeoisie et l’aristocratie, équilibre plutôt favorable à cette dernière, sous l’égide du Roi dont l’appareil bureaucratique tente de se placer « au-dessus » des classes, tout en tirant sa légitimité sociale de la féodalité.

Il est bien connu que, dans le prétendu « classicisme », les deux plus grands représentants de la tragédie sont Corneille et Racine. Or, que voit-on ? Que Corneille fait sans nul doute partie du baroque, dont il est le représentant dans la tragédie. Racine, lui, est on ne peut plus formaliste; ses tragédies sont épurées, « impeccables » par rapport à l’obéissance aux lois « classiques »; ses oeuvres n’ont pas d’élément baroque.

Racine pourtant représentait les valeurs d’une couche sociale qui était tout autant défendu par Corneille. L’existence apparemment contradictoire de leurs formes tient à ce que Racine représente la tentative de l’aristocratie de se poser comme norme éternelle (Racine est à ce titre également le représentant des couches sociales liées à l’appareil d’État, notamment la noblesse de robe), alors que Corneille est lui davantage l’expression de la crise idéologique et une tentative de la combattre (Horace, Le Cid, L’Illusion comique).

Nous avons l’aspect positif (l’aristocratie domine encore) et l’aspect négatif (l’aristocratie fait face à un trouble).

Le baroque et le classicisme se côtoient ainsi, sans frictions, en toute complémentarité, au sein de la tragédie, comme d’ailleurs de toutes les expressions relevant du « classicisme. » Ainsi donc, de la même manière, François de Malherbe, considéré comme la grande figure du classicisme (Boileau dira « Enfin Malherbe vint… ») et de la « pureté » absolue et maniaque de la langue française, a des œuvres qu’on peut clairement rapprocher du baroque. Là aussi, le baroque et le formalisme se rejoignent.

Mais le meilleur exemple est le château de Versailles. L’extension initiale du château de Versailles bâtie par Le Vau était baroque, avant que Hardouin-Mansart ne continue son oeuvre en le réorganisant… de manière « classique. »

Parallèlement à ce palais « classique », Louis XIV se fit faire un château plus « personnel », à Marly-le-Roi, et si Hardouin-Mansart participa à la construction, ce château là fut lui… de type baroque. Et lors de l’entrée à Paris de Louis XIV et de la Reine en 1660, de grandes fêtes urbaines sont organisées, pour certaines relevant du « classicisme », mais la plupart du baroque…

D’un côté le baroque, de l’autre le formalisme. Et si l’on prend Le Brun, considéré par Louis XIV comme « le plus grand peintre du XVIIe siècle français », on voit qu’il relève du classicisme, mais qu’il se laisse parfois aller et donne libre recours au « panache » de manière baroque (cuirasses, perruques, costumes, mouvement, couleurs rares, affirmation de la puissance, etc.).

Impossible de ne pas voir ici que l’on a des éléments essentiels de l’identité française telle qu’elle l’est définie par la bourgeoisie: d’un côté le raisonnable (« démontré » culturellement par ce qui est pour nous le formalisme), de l’autre le panache (relevant pour nous du baroque).

Nous voyons ici le génie de la bourgeoisie française. Elle a assimilé la période de la fondation de l’Etat absolu, car c’est là qu’elle a puisé son modèle d’État sur le plan administratif. Rappelons nous à quel point le jacobinisme est une composante essentielle de la révolution de 1789.

Les grands corps d’État de la République forment en fait une aristocratie du mérite. A côté de formalisme absolu des écoles Polytechnique, des Mines etc. coexiste un monde baroque: celui de la « République des Lettres » c’est-à-dire les artistes, etc.

La République est ainsi une Monarchie absolue inversée. La France n’est pas une « démocratie » bourgeoise, elle est une « république » bourgeoise. Si l’on ne comprend pas cela, on ne peut pas faire avancer la révolution.

Prenons un exemple de phénomène relevant justement de cette situation. Le succès de l’Action française et des monarchistes jusque 1940 s’explique ainsi : ceux-ci forment une réaction à la réaction, et entendaient « améliorer » la République en la détruisant pour que l’État reprenne ses fondements initiaux ! C’est là que résidait leur cohérence.

Et cela explique aussi la censure de la bourgeoisie au sujet de Voltaire. Ce dernier est exclusivement connu pour ses œuvres polémiques, considérées comme le modèle des Lumières. Pourtant, c’est une interprétation subjective imposée par la bourgeoisie, en fonction de ses intérêts.

Car à côté de ses pamphlets et contes philosophiques dont le ton outrancier (notamment très violemment raciste anti-oriental) et la bizarrerie ramènent au baroque… Voltaire était en effet tragédien !

La principale figure des Lumières pratiquait le même formalisme que les défenseurs de l’aristocratie Corneille et Racine! Voltaire a écrit 27 tragédies, et était connu à son époque précisément pour cela, ce que évidemment aucun manuel de littérature d’aujourd’hui n’explique…

Et pour cause. On est là au cœur du dispositif idéologique bourgeois. La mentalité du « Français », censé être « raisonnable » et pourtant plein de « panache », se fonde très précisément sur l’intégration par la bourgeoisie du formalisme (aspect principal) et du baroque (aspect secondaire) portés par l’aristocratie.

La bourgeoisie a simplement masqué cette contradiction formalisme-baroque en qualifiant le tout de « classicisme. »

Ce qui ne tient pas du tout; comme on l’a vu Racine et Corneille sont également contradictoires, tout comme d’ailleurs certaines œuvres de Molière, dont certaines œuvres relèvent clairement du baroque de par leurs personnages bizarres et absurdes, comme l’Avare, ou bien entendu Don Juan.

Nous verrons dans quelle mesure ce « plaquage » fait par la bourgeoisie aboutira à ce que sa principale figure intellectuelle au 19ème siècle, Victor Hugo, est précisément d’une nature totalement contradictoire, jouant à la fois sur le romantisme et réalisme, de manière incohérente et justement « républicaine. »

Pour l’instant comprenons bien que la France est une « république » bourgeoise où la mentalité qui prédomine (« raisonnable » + « panache ») est directement issue de la volonté de la bourgeoisie de s’affirmer comme prolongement de l’aristocratie sur le plan de la civilisation.

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