27 avr 2007

Il y a 70 ans mourait Antonio Gramsci, l'un des plus grands penseurs communistes!

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Il y a 70 ans Gramsci mourrait, quelques jours après avoir été "libéré" de prison, le 27 avril 1937.

Lors du procès suivant son arrestation en 1926, le juge représentant l'Italie fasciste avait affirmé qu'il fallait "empêcher ce cerveau de penser pendant vingt ans."
 
L'Italie fasciste connaissait en effet l'importance d'Antonio Gramsci, qui a été le dirigeant et l'organisateur du mouvement communiste en Italie lors de la première vague de la révolution mondiale, issu d'Octobre 1917 en Russie.
 
Il figure ainsi côte à côte avec d'autres grands révolutionnaires, qui aborderont des sujets et des problèmes similaires et de la même manière que lui, comme Mao Zedong en Chine, Jaques Roumain à Haiti, José Mariatégui au Pérou, Rosa Luxembourg en Allemagne, Alfred Klahr en Autriche, Georgi Dimitrov en Bulgarie...
 
Comme tous ces penseurs, Gramsci a non seulement rejoint les rangs du Mouvement Communiste International, contribué à fonder le Parti Communiste, mais a également analysé son propre pays, son histoire, le rôle de la culture.
 
Gramsci a ainsi analysé toute la société italienne, toute l'histoire des différentes classes sociales, mais également de l'unité italienne, des rapports très contradictoires entre le Nord industriel et le Sud agricole, et bien évidemment du fascisme.
 
Il a cherché à comprendre comment la bourgeoisie maintenait son "hégémonie" sur les masses, comment les associations, les institutions jouent un grand rôle pour encadrer les idées et les masses elles-mêmes.
 
Voilà pourquoi Gramsci explique de cette manière le succès initial du journal communiste « L'Ordre nouveau »: « Avoir su traduire en langage historique italien les principaux postulats de la doctrine et de la tactique de l'Internationale communiste » et « Avoir soutenu au sein du Parti socialiste, ce qui signifiait alors la majorité du prolétariat, le programme intégral de l'Internationale communiste et pas seulement une partie de ses thèses. » (Le programme de l'Ordine Nuovo, 1924).
 
Assumer les principes du Mouvement Communiste International et les appliquer dans les conditions concrètes de son pays: tel était son principe.
 
Gramsci a donc toujours été intransigeant sur le caractère bolchévik du Parti Communiste.
 
« Il serait mauvais que le mouvement ouvrier devienne un terrain de chasse ou un sujet d'expériences pour l'outrecuidance de pédagogues mal avisés, mauvais qu'il perde son caractère de combat militant passionné, pour se consacrer à l'étude objective et à la "culture" désintéressée.
 
Ni une "étude objective" ni une "culture désintéressée" n'ont de place dans nos rangs ; rien donc qui ressemble à ce que la conception humaniste, bourgeoise, de l'école considère comme l'objet normal de l'enseignement.
 
Nous sommes une organisation de lutte, et dans nos rangs on étudie pour accroître, pour affiner les capacités de lutte des individus et de toute l'organisation, pour mieux comprendre les positions de l'ennemi et les nôtres, pour mieux y adapter notre action de chaque jour.
 
Pour nous, l'étude et la culture ne sont rien d'autre que la conscience théorique de nos buts immédiats et suprêmes, et de la façon dont nous pourrons parvenir à les traduire en actes. » (L'école du Parti)
 
Mais Gramsci ne s'est pas contenté de poser les principes du Parti Communiste, il a également toujours expliqué le rapport de celui-ci avec la question du pouvoir, de la révolution. Il s'agit pour le prolétariat de se poser en classe dominante.
 
« Existe-t-il une volonté des masses laborieuses prises dans leur ensemble et le Parti communiste peut-il soutenir qu'il va "obéir à la volonté des masses en général" ?
 
Non. Il existe, dans l'ensemble des masses laborieuses, plusieurs volontés distinctes : il existe une volonté communiste, une volonté maximaliste, une volonté réformiste, une volonté démocratique libérale. Il existe même, en un certain sens et dans une certaine limite, une volonté fasciste.
 
Tant que subsiste le régime bourgeois, et que le monopole de la presse est aux mains du capitalisme, et que par conséquent le gouvernement et les partis bourgeois ont la possibilité de poser les problèmes politiques en fonction de leurs intérêts, présentés comme l'intérêt général, tant que sera supprimée ou limitée la liberté d'association et de réunion de la classe ouvrière et que l'on pourra diffuser impunément les mensonges les plus impudents contre le communisme, il est inévitable que les classes laborieuses restent dans un état de désagrégation, autrement dit qu'elles aient plusieurs volontés.
 
Le Parti communiste "représente" les intérêts de la masse travailleuse tout entière, mais il ne "réalise" que la volonté d'une partie déterminée des masses, de la partie la plus avancée, de cette partie (prolétarienne) qui veut renverser le régime existant par des moyens révolutionnaires pour fonder le communisme. 
 
Que signifie plus généralement la formule de l'Avanti! : "Il faut suivre la volonté des masses"? Elle signifie la tentative de justifier son propre opportunisme, en se cachant derrière la constatation qu'il existe encore des couches attardées de la population laborieuse qui sont sous l'influence de la bourgeoisie, qui "veulent" la collaboration avec la bourgeoisie.
 
Mais ces couches existeront toujours tant que le régime bourgeois sera le régime dominant ; si le Parti "prolétarien" obéissait à "cette volonté", il obéirait en réalité à la volonté de la bourgeoisie, en d'autres termes il serait un parti bourgeois, et non un parti prolétarien. Le Parti "prolétarien" ne peut pas se mettre à la remorque des masses, il doit précéder les masses, tout en tenant compte objectivement de l'existence de ces couches attardées.
 
Le Parti représente non seulement les masses travailleuses, mais aussi une doctrine, la doctrine du socialisme, et c'est pourquoi il lutte pour unifier la volonté des masses dans le sens du socialisme, tout en se tenant sur le terrain réel de ce qui existe, mais qui existe en se mouvant et en se développant.
 
Notre parti réalise, la volonté de la partie la plus avancée de la masse qui lutte pour le socialisme et qui sait qu'elle ne peut pas avoir la bourgeoisie pour alliée dans une lutte qui justement vise la bourgeoisie elle-même.
 
Dans la mesure où elle coïncide avec le développement général de la société bourgeoise et avec les exigences vitales de toute la masse laborieuse, cette "volonté" est en constant progrès, elle s'élargit, elle conquiert des couches toujours nouvelles de travailleurs, elle désagrège les autres partis ouvriers - "ouvriers" par leur composition sociale, non pas en raison de leur orientation politique. » ("La volonté des masses")
 
C'est parce qu'il a défini le Parti Communiste de manière correcte que Gramsci a pu être le penseur de la bataille pour le pouvoir prolétarien et a pu développer le concept qu'il a appelé "hégémonie."
 
Pour se poser comme classe dominante, la classe ouvrière doit posséder l'hégémonie dans tous les domaines, et c'est le rôle du Parti Communiste que de l'assurer.
 
Quelle est la démarche de Gramsci? Celui-ci part nécessairement de la réalité matérielle: « Chaque groupe social, naissant sur le terrain originel d'une fonction essentielle, dans le monde de la production économique, crée en même temps que lui, organiquement, une ou plusieurs couches d'intellectuels qui lui donnent son homogénéité et la conscience de sa propre fonction, non seulement dans le domaine économique, mais aussi dans le domaine politique et social. » (Cahiers de prison).
 
A ce sujet, Karl Marx expliquait dans l'avant-propos à la Critique de l'économie politique que:
 
« Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rap­ports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui corres­pondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives maté­rielles.
 
L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à la­quel­le correspondent des formes de conscience sociales déterminées.
 
Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général.
 
Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience.
 
A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient ces rapports en deviennent des entraves.
 
Alors s'ouvre une époque de révolution sociale.
 
Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l'énorme superstructure. Lorsqu'on considère de tels bouleversements, il faut toujours distin­guer entre le bouleversement matériel - qu'on peut constater d'une manière scientifiquement rigoureuse - des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu'au bout.
 
Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de boule­ver­se­ment sur sa conscience de soi; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives socia­les et les rapports de production.
 
Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s'y substituent avant que les conditions d'existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société.
 
C'est pourquoi l'humanité ne se pose jamais que des problèmes qu'elle peut résoudre, car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours, que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de devenir. »
 
Les questions posées par le capitalisme, questions auxquelles l'humanité peut répondre, ne sont pas comprises spontanément par celle-ci: il y a besoin d'une pensée révolutionnaire.
 
De la même manière, la bourgeoisie est représentée politiquement; la classe dominante dispose de penseurs, d'intellectuels, de personnel politique pour défendre sa conception du monde; Karl Marx expliquait dans L'Idéologie allemande :
 
« Les uns seront les penseurs de cette classe, les idéologues actifs, capables de s'élever à la théorie, qui tirent leur substance principale de l'élaboration de l'illusion que cette classe se fait sur elle-même, tandis que les autres auront une attitude plus passive et plus réceptive en face de ces pensées et de ces illusions parce qu'ils sont les membres réellement actifs de cette classe et qu'ils ont moins de temps pour se faire des illusions et des idées sur leurs propres personnes.
 
A l'intérieur de cette classe, cette scission peut même aboutir à une certaine opposition et à une certaine hostilité des deux parties en présence.
 
Mais dès que survient une collision pratique où la classe tout entière est menacée, cette opposition tombe d'elle-même, tandis que l'on voit s'envoler l'illusion que les idées dominantes ne seraient pas les idées de la classe dominante et qu'elles auraient un pouvoir distinct du pouvoir de cette classe.
 
L'existence d'idées révolutionnaires à une époque déterminée suppose déjà l'existence d'une classe révolutionnaire. »
 
Voilà pourquoi Gramsci ne se contente pas de parler des intellectuels au sens "traditionnel" du terme, mais élargit la notion, pour lui attribuer une fonction politique et culturelle, afin de contribuer à la compréhension du rôle du Parti Communiste pour que le prolétariat se pose en classe dominante.
 
Gramsci explique à ce sujet :
 
« L'action politique (au sens strict) est-elle nécessaire pour qu'on puisse parler de parti "politique"?
 
Dans le monde moderne, ou peut observer que, dans de nom­breux pays, les partis organiques et fondamentaux, pour des nécessités de lutte ou pour d'autres raisons, se sont divisés en fractions, dont chacune prend le nom de "par­ti" et même de parti indépendant.
 
C'est pourquoi souvent l'état-major intellec­tuel du parti organique n'appartient à aucune de ces fractions mais opère comme s'il était -une force directrice complètement indépendante, supérieure aux partis et parfois même considérée comme telle par le publie.
 
Cette fonction, on peut l'étudier avec plus de précision si on part du point de vue qu'un journal (ou un groupe de journaux), une revue (ou un groupe de revues), sont eux aussi "partis" ou "fractions de partis" ou encore "fonction de tel parti".
 
Qu'on pense à la fonction du Times en Angleterre, à celle qu'eut le Corriere della Sera en Italie, et aussi à la fonction de ce qu'on nomme la "presse d'information", soi-disant "apolitique" et même à la presse spor­tive et à la presse technique.
 
Du reste, le phénomène offre des aspects intéressants dans les pays où se trouve au gouvernement un parti unique et totalitaire [fasciste] : car ce parti n'a plus des fonctions franchement politiques, mais seulement techniques, de pro­pa­gande, de police, d'influence morale, et culturelles.
 
La fonction politique est indirecte : car, s'il n'existe pas d'autres partis légaux, il existe toujours d'autres partis de fait et des tendances qui échappent à la contrainte légale, contre lesquelles on polémique et on lutte comme dans une partie de colin-maillard.
 
De toute façon, il est certain que dans de tels partis prédominent les fonctions culturelles, ce qui donne naissance à mi jargon, en fait de langage politique : c'est-à-dire que les questions politiques revêtent des formes culturelles et comme telles, deviennent insolubles. » (Notes sur Machiavel)
 
Si l'on veut prendre un exemple historique, on peut dire que De Gaulle à Londres avec son petit état-major correspond parfaitement à cette idée d'état-major intellectuel coupé de son propre parti.
 
La fondation de ce parti puis l'intégration du PCF à celui-ci - pour mieux le neutraliser - se déroulera au fur et à mesure de la seconde guerre mondiale impérialiste.
 
Le PCF, en "oubliant" De Gaulle isolé, n'a pas vu dans quelle mesure celui-ci faisait une proposition stratégique à la bourgeoisie française, au nom de la bourgeoisie impérialiste, proposition pouvant et de fait étant accepté, et cela d'autant plus que la bourgeoisie industrielle et Pétain voyaient leur allié nazi s'effondrer.
 
Est-ce à dire que le Parti de la révolution socialiste peut lui aussi se composer de "fractions", qui s'uniront au fur et à mesure?
 
Les trotskystes ont tenté de s'approprier Gramsci et de justifier leur propre pratique qui est précisément celle de fractions s'unifiant un jour hypothétique en Parti.
 
Tel n'est pas le point de vue de Gramsci, qui en communiste authentique a rompu avec la tradition social-démocrate; comme il l'affirme au sujet de la fondation du Parti: « Les fractions eurent leur sépulture à Livourne lorsque surgit le Parti Communiste dont un des caractères essentiels est d'être nécessairement, comme parti de la révolution prolétarienne, un parti idéologiquement et organiquement compact, fondu en un seul bloc. » (L'Avanti contre le Mezzogiorno).
 
« Car il est bon que le camarade Bordiga ne feigne pas d'ignorer cette vérité élémentaire : dans un Parti communiste, poser le problème de l'organisation d'une fraction veut dire poser un problème de scission. » (Après la dissolution du "comité d'entente")
 
« La loyauté de tous les membres du Parti envers le Comité central ne doit pas être purement organisationnelle et disciplinaire, mais doit devenir un véritable principe d'éthique révolutionnaire. Il faut en inculquer profondément la conviction parmi les masses du Parti, afin que les initiatives fractionnelles et, plus généralement, toute tentative de désagréger l'unité du Parti se heurtent inévitablement à une réaction spontanée et immédiate de la base qui les étouffe dans l'oeuf.  L'autorité du Comité central, entre deux congrès, ne doit jamais être remise en question et le Parti doit devenir un bloc homogène. Ce n'est qu'à cette condition que le Parti pourra vaincre ses ennemis de classe. » (Les cinq premières années du Parti Communiste d'Italie)
 
Se fondant sur la notion bolchévik du Parti Communiste, Gramsci développe sa conception de Parti comme "intellectuel collectif", et précise de cette manière les conditions d'existence du Parti de la révolution :
 
« Quand un parti devient-il historiquement "nécessaire"?
 
Quand les conditions de son "triomphe", de son inéluctable transformation en État sont au moins en voie de formation et laissent prévoir normalement leurs développements ultérieurs. Mais quand peut-on dire, dans de telles conditions, qu'un parti ne peut être détruit avec des moyens normaux [allusion au fascisme]? 
 
Pour répondre à cette question, il faut développer un raisonne­ment : pour qu'un parti existe, il est nécessaire que confluent trois éléments fonda­men­taux (c'est-à-dire trois groupes d'éléments) :
 
1. Un élément diffus d'hommes communs, moyens, qui offrent comme participa­tion leur discipline, leur fidélité, mais non l'esprit de création et de haute organisation.
 
Sans eux, le parti n'existerait pas, c'est vrai, mais il est vrai aussi que le parti n'existerait pas plus « uniquement » avec eux. Ils constituent une force dans la mesure où se trouvent les hommes qui les centralisent, les organisent, les disciplinent, mais en l'absence de cette force de cohésion, ils s'éparpilleraient et s'anéantiraient en une poussière impuissante.
 
Il n'est pas question de nier que chacun de ces éléments puisse devenir une des forces de cohésion, mais on les envisage précisément au moment où ils ne le sont pas et où ils ne sont pas dans les conditions de l'être, ou s'ils le sont, ils ne le sont que dans un cercle restreint, politiquement sans effet et sans conséquence.
 
2. L'élément principal de cohésion qui centralise sur le plan national, qui rend efficace et puissant un ensemble de forces qui, abandonnées à elles-mêmes, seraient zéro ou guère plus ; cet élément est doué d'une puissante force de cohésion, qui cen­tralise et discipline et également, - sans doute même à cause de cela, - invente (si on entend "inventer" dans une certaine direction, en suivant certaines lignes de force, certaines perspectives, voire certaines prémisses) : il est vrai aussi que tout seul, cet élément ne formerait pas le parti, toutefois, il le formerait davantage que le premier élément considéré.
 
On parle de capitaines sans armée, mais en réalité, il est plus facile de former une armée que de former des capitaines.
 
Tant il est vrai qu'une armée constituée est détruite si les capitaines viennent à manquer, alors que l'existence d'un groupe de capitaines, qui se sont concertés, d'accord entre eux, réunis par des buts communs, ne tarde pas à former une armée même là où rien n'existe.
 
3. Un élément moyen, qui doit articuler le premier au second élément, les mettre en rapport par un contact non seulement "physique" mais moral et intellectuel.
 
Dans la réalité, pour chaque parti existent "des proportions définies" entre ces trois éléments et on atteint le maximum d'efficacité quand ces "proportions définies" sont réalisées. » (Notes sur Machiavel)
 
Comme on le voit, la conception de Gramsci est absolument léniniste, il n'y a ni remise en cause de la nécessité des cadres, ni tolérance petite-bourgeoise pour les fractions et autres conception de multiples états-majors au sein d'une même organisation.
 
Mais pourquoi alors les trotskystes tentent-ils de s'approprier Gramsci? Surtout alors que Gramsci disait que :
 
« Le Ve Congrès de l'Internationale communiste et le XIIIe Congrès du Parti communiste russe ont unanimement condamné, comme opportuniste et petite-bourgeoise, la politique de l'opposition russe dirigée par le camarade Trotski.
 
Cependant, le camarade Trotski continue son action sous une nouvelle forme. Son livre sur Lénine en a représenté la première tentative. De nombreux camarades se sont laissé séduire par la valeur littéraire de ce livre, mais les organes du Parti communiste russe et du Parti communiste allemand se sont chargés aussitôt de soumettre à une critique scientifique sévère la tendance de cet ouvrage. Nous en sommes maintenant à la seconde attaque de Trotski.
 
Dans le troisième volume de ses oeuvres (1917) qui vient de paraître, il y a une préface d'environ 60 pages. De même qu'autrefois les épigones de Marx ont, sous son drapeau, tenté la révision du marxisme, de même aujourd'hui, au nom du léninisme, Trotski veut réviser le bolchevisme. » (Comment il ne faut pas écrire l'histoire de la révolution bolchevique - A propos du 1917 de Léon Trotsky)
 
Pourquoi, de la même manière, certains en Italie tentent-ils de "remplacer" Staline par Gramsci, affirmant que Gramsci est soit-disant l'intermédiaire entre Lénine et Mao Zedong?
 
La raison en est la suivante : Gramsci a bien compris, comme Mao Zedong, que tout est culturel, et que toute pensée a une empreinte de classe.
 
Mais adhérer à une idée ne suffit pas être organisé; c'était la principale critique d'ailleurs des bolchéviks aux menchéviks, pour qui il suffisait de s'affirmer d'accord avec l'organisation pour en faire partie.
 
Or, Gramsci dit : « État = société politique + société civile, c'est-à-dire hégémonie cuirassée de coercition » (Notes sur Machiavel).
 
C'est-à-dire que chez Gramsci il y a donc d'un côté les structures officielles d'Etat et de l'autre la multitude d'associations "privées" qui diffuse l'idéologie de la classe dominante de manière non-officielle, et donc "cimente" son hégémonie dans tous les aspects de la vie quotidienne.
 
Mais qu'en est-il pour l'Etat socialiste? C'est dans cette brèche, dans ce que Gramsci n'a pas expliqué, pour des raisons historiques puisque ses analyses ont été faites en prison et sorties "sous le manteau", que les opportunistes s'engouffrent.
 
Les opportunistes intègrent dans l'Etat socialiste des "associations" qui sont censés, à plus ou moins long terme, se fondre avec l'Etat comme coercition, c'est-à-dire la dictature du prolétariat.
 
Ces associations, ce sont les "comités anti-libéraux" pour la gauche du P"C"F, les associations de lutte et certains syndicats pour la LCR, tout comme dans les années 1970 la liquidation de la Gauche Prolétarienne était "justifiée" par l'apparition de nouvelles organisations dans la société civile (mouvement du Larzac, LIP, etc.), mais c'est également la ligne des pseudos-maoïstes népalais qui veulent une République ultra-démocratique, etc.
 
Mais on peut également voir que c'est la "tactique" du P"C"F avec ses listes électorales "citoyennes", le "sous-commandant" Marcos, les FARC, etc., bref tous ceux qui en appellent à la "société civile".
 
Les recherches de Gramsci se voient donc retourner en leur contraire et, au lieu de servir la compréhension de l'Etat, "justifient" le menchévisme et les pratiques anti-parti, au nom de la "société civile."
 
Voilà pourquoi des gens comme François Mitterrand (pour son "union de la gauche") voire certains fascistes ont pu se revendiquer de Gramsci: pour eux le concept d'hégémonie de Gramsci est le pendant moderne du "Prince" de Machiavel.
 
Sarkozy lui-même affirmait au Figaro (18 avril 2007) que : "Au fond j'ai fait mienne l'analyse de Gramsci, le pouvoir se gagne par les idées".
 
Or, tel n'a jamais été le point de vue de Gramsci; celui-ci n'est pas un partisan du "machiavélisme" pour prendre le pouvoir.
 
Au contraire, Gramsci interprète Machiavel comme quelqu'un qui explique comment un idéal peut se réaliser politiquement.
 
Au sujet de l'ouvrage "Le Prince", écrit à Florence par Machiavel au 16ème siècle, Gramsci dit que: « Entre l'utopie et le traité scolastique, formes sous lesquelles se présentait la science politique jusqu'à Machiavel, celui-ci a donné à sa conception la forme imaginative et artistique, grâce à laquelle l'élément doctrinal et rationnel se trouve personnifié par un condottiere, qui représente de façon plastique et "anthropomorphique" le symbole de la volonté collective. » (Petites notes sur la politique de Machiavel)
 
Gramsci pose ainsi la question de la DIRECTION, en des termes qui sont les mêmes que ceux qui seront développés à la lumière du marxisme-léninisme-maoïsme: « Que des socialistes, qui se disent encore marxistes et révolutionnaires, prétendent vouloir la dictature du prolétariat, mais ne pas vouloir la dictature des "chefs", ne pas vouloir, autrement dit, que l'autorité s'individualise, se personnifie, vouloir la dictature, mais ne pas la vouloir sous la seule forme où elle est historiquement possible, est à soi seul révélateur de toute une ligne politique, de toute une préparation théorique "révolutionnaire".
 
Le problème essentiel de la dictature du prolétariat n'est pas celui de la personnification physique de la fonction de direction.
 
Le problème essentiel consiste dans la nature des rapports que les chefs ou le chef ont avec le parti de la classe ouvrière et dans la nature des rapports qui existent entre ce parti et la classe ouvrière ; ces rapports sont-ils purement hiérarchiques, de type militaire, ou bien ont-ils un caractère historique et organique ?
 
Le chef, le parti, sont-ils des éléments de la classe ouvrière, sont-ils une partie de la classe ouvrière, en représentent-ils les intérêts et les aspirations les plus profondes et les plus vitales, ou n'en sont-ils qu'une excroissance, une institution surimposée par la violence ? » (Un "chef", 1924)
 
Et parce qu'il pose la question des chefs comme direction exprimée par les masses, Gramsci a également développé une pensée très proche de la ligne de masses telle que Mao Zedong l'a expliquée, dans le cadre concret de l'Italie fasciste.
 
Dans « Notre ligne syndicale » (1923), Gramsci constate par exemple que « Chaque tentative pour organiser les militants révolutionnaires des syndicats a abouti à un échec et n'a servi qu'à renforcer la prédominance des réformistes dans la grande organisation. (...)
 
Nous sommes donc par principe contre la création de nouveaux syndicats. À condition qu'ils restent avec la masse, qu'ils partagent ses erreurs, ses illusions, ses déceptions, les militants révolutionnaires représentent la classe dans son ensemble, ils sont le plus haut niveau de sa conscience.
 
Si une décision des dictateurs réformistes forçait les révolutionnaires à sortir de la Confédération générale du travail et à s'organiser séparément (ce qui, bien entendu, ne saurait être exclu), la nouvelle organisation devrait proclamer et poursuivre effectivement un seul objectif : obtenir sa réintégration, reconstituer l'unité de la classe et de son avant-garde la plus consciente. (...)
 
Pour le capitalisme et le fascisme il est indispensable d'empêcher la classe ouvrière d'exercer sa fonction historique qui est de guider les autres classes opprimées de la population (paysans, surtout dans le Midi et dans les Iles ; petits-bourgeois urbains et ruraux) ; c'est- à-dire qu'il faut absolument détruire partis et syndicats, organisations extérieures à l'usine et concentrées territorialement, qui exercent une influence révolutionnaire sur tous les opprimés et empêchent le gouvernement de donner à son pouvoir une assise démocratique.
 
Mais les exigences de la production font que les capitalistes ne peuvent vouloir la destruction de toute forme d'organisation : à l'intérieur de l'usine, la discipline et la bonne marche de la production exigent un minimum de constitutionnalité, un minimum d'accord de la part des travailleurs. »
 
Tout pareillement, Gramsci analyse les situations concrètes, les rapports de force, comme lorsqu'il constate que: « Il existe déjà pour la révolution italienne un problème chargé d'inconnues, celui de Rome, de la capitale politique et administrative, où le prolétariat industriel n'est pas assez nombreux pour l'emporter sur la bourgeoisie qui, elle, est nombreuse. » (Le problème de Milan, 1924)
 
La politique révolutionnaire se fait dans la classe, en profondeur, dans la durée et en choisissant ses terrains, elle n'a donc rien à voir avec une apparition ostentatoire, superficielle et sans lendemain dans les manifestations encadrées par la social-démocratie et devant les yeux de l'ennemi.
 
Gramsci pose le problème d'une manière stratégique; il ne nie pas l'existence de villes majoritairement non ouvrières (comme Rome), qui ne pourront être prises par la révolution qu'en dernier lieu, puisque c'est là que le rapport de forces en termes sociaux, culturels et militaires est le plus défavorable.
 
Les lieux d'intervention se fondent donc sur l'analyse de classe et en vue de la révolution, il est donc clair que les grandes villes qui comme Paris qui sont devenues historiquement des places fortes de la contre-révolution (bourgeoisie, institutions, forces policières et médias) ne doivent pas obnubiler les révolutionnaires.
 
C'est sur tout le territoire que doivent se constituer et se disperser les détachements du Parti. Le mythe de la grève générale culminant en une insurrection en un coup, associé avec une vision putschiste de la prise du pouvoir central parisien sont une grave déviation bourgeoise typiquement jacobine et française provenant de la révolution de 1789, avec tous ses prolongements blanquistes qui durent jusqu'à nos jours : les leçons de la Commune de Paris doivent être tirées et ces résidus bourgeois doivent être éliminés une bonne fois pour toutes de l'esprit des révolutionnaires.
 
Gramsci expose également évidemment la relation dialectique entre réformistes et ultra-gauchistes:
 
« Savamment répartis, sans exception, aux points stratégiques les plus importants, capables de travailler silencieusement et méthodiquement, capables de se plier et de disparaître quand le tourbillon révolutionnaire devenait plus violent, les réformistes ont soudé des chaînes très solides à l'intérieur desquelles la classe ouvrière milanaise circule aujourd'hui sans même s'en apercevoir.
 
Cette absence d'organisation révolutionnaire s'exprimait de façon extrêmement significative dans un scénario typique de Milan : quand la manifestation de rue était à son apogée et que, de tous les coins de la ville, la masse grouillait jusque dans ses éléments les plus misérables et les plus apathiques, c'étaient les anarchistes qui prenaient le dessus dans la direction du mouvement ; quand l'agitation était moyenne et que les grandes phrases suffisaient, alors les maximalistes étaient les lions ; quand au contraire c'était la stagnation et que ne subsistaient que les forces organisées les plus actives, alors la direction appartenait aux réformistes. » (Le problème de Milan, 1924)
 
La nécessité de la construction du Parti s'impose, qui seule permet de faire pièce aux oscillations entre gauchisme et réformisme, qui sont unis dialectiquement comme deux gravures différentes que les opportunistes impriment sur la même médaille qu'est le mouvement des masses, en fonction de sa température du moment.
 
Gramsci a ainsi pu analyser le fascisme, ses formes d'organisation, son expression politique, sociale et culturelle:
 
« La caractéristique du fascisme consiste en ce qu'il est parvenu à constituer une organisation de masse de la petite bourgeoisie. C'est la première fois dans l'histoire qu'une chose pareille se produit. L'originalité du fascisme réside en ce qu'il a trouvé la forme d'organisation adaptée à une classe sociale qui a toujours été incapable d'avoir une unité et une idéologie unitaire : cette forme d'organisation est celle de l'armée en campagne.
 
La Milice est donc le pivot du Parti National Fasciste ; on ne peut dissoudre la Milice sans dissoudre également le Parti tout entier. » (La crise italienne)
 
Son analyse se situe clairement dans la problématique du front populaire, du front antifasciste, de la révolution amenant une république populaire antifasciste, allant de manière ininterrompue vers le socialisme:
 
« Ces partis [réformistes] cultivent l'illusion de résoudre la lutte contre le fascisme sur le terrain parlementaire, en oubliant que la nature fondamentale du gouvernement fasciste est d'être une dictature armée et ce, en dépit de toutes les guirlandes constitutionnelles qu'on cherche à accrocher à la milice nationale. Cette dernière d'ailleurs n'a pas éliminé l'action du squadrismo ni la pratique de l'illégalité.
 
Dans sa véritable essence, le fascisme est constitué de forces armées agissant directement pour le compte de la ploutocratie capitaliste et des agrariens. Abattre le fascisme signifie, en définitive, écraser définitivement ces forces, et cela ne peut se faire que sur le terrain, par l'action directe. Une solution parlementaire, quelle qu'elle soit, sera toujours impuissante.
 
Quel que soit le caractère du gouvernement qui pourrait être formé à partir d'une telle solution, qu'il s'agisse du replâtrage du gouvernement Mussolini ou de l'avènement d'un gouvernement soi-disant démocratique (ce qui est, par ailleurs, assez difficile), la classe ouvrière ne pourra avoir aucune garantie que ses intérêts et ses droits les plus élémentaires seront protégés - même dans les limites tolérées par un État bourgeois et capitaliste - tant que ces forces n'auront pas été éliminées. » (La crise de la petite-bourgeoisie)
 
Gramsci a étudié l'Italie comme aucun théoricien communiste n'a étudié la France; l'Italie a eu Gramsci et ses analyses approfondies de la réalité, la France a eu Thorez expliquant que tout se jouait politiquement au centre!
 
Nous avons besoin en France d'analyses ayant la profondeur et le caractère authentiquement communiste de celles effectuées dans les années 1930 par José Mariatégui au Pérou, Antonio Gramsci en Italie, dans les années 1970 par Ibrahim Kaypakkaya en Turquie, par Caru Majumdar en Inde!
 
Pour le PCMLM, avril 2007.
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