12 mai 2013

L'âge roman - 4ème partie : Civitas Dei

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L'art roman obéit en fait et en quelque sorte au principe de « Civitas Dei » ; une citoyenneté religieuse devient possible, il ne faut plus refuser le monde et vivre reclus, mais façonner une société conforme aux enseignements du christianisme.

En arrière-plan, on a l'oeuvre de Saint Augustin, De Civitate Dei contra paganos (la Cité de Dieu contre les païens), datant du 5ème siècle.

Par conséquent, la liturgie de l'âge roman, façonnée par l'ordre de Cluny, vise le fastueux dans la mesure où il faut de grandes salles, où les moines peuvent se rassembler par dizaines et dizaines. Dans le même ordre d'idées, les bâtiments pour les pèlerins de passage doivent marquer les esprits, comme par exemple à Vézelay et Saint Gilles, sur la route de Saint-Jacques de Compostelle.

On retrouve par conséquent des tympans et des chapiteaux. Les chapiteaux sont les parties supérieures de colonnes, avec des ornements. Le mot tympan désigne une membrane tendue (comme entre l'oreille externe et l'oreille moyenne) et, en architecture, une décoration semi-circulaire qui existait déjà à Rome.

En raison des références architecturales romaines justement, on parle d'art « roman » (l'expression a été forgé par l'historien français Charles de Gerville au 19ème siècle).

Le tympan symbolise souvent le jugement dernier : il s'agit de marquer les esprits. Sur celui de Saint Hilaire, en Saône et Loire, on peut voir un pape aux toilettes (son trône, juste en face, est vide), qui meurt donc sans avoir pu se confesser une dernière fois, et par conséquent on voit les diables arracher son âme (par la bouche), représentée par un enfant.

Cependant, cela posait un problème théorique majeur. En effet, le premier christianisme se mettait à l'écart du monde. Or, si le nouveau christianisme considère qu'ici-bas il peut exister une vie suivant les règles du Civitas Dei, alors il y a toute une complexité qui se surajoute.

Si auparavant il y avait ceux et celles qui iraient au paradis et les autres en enfer, avec une coupure très stricte et unilatérale, la revendication de la vie terrestre multiplie les possibilités de « pécher » et le risque est que, devant l'impossibilité d'être « pur », les masses se détournent de la religion, considérée comme impraticable.

C'est pourquoi, dans le prolongement de l'âge roman, au 12ème-13ème siècle, émergera la notion de « purgatoire » qui sera intégrée dans la théologie chrétienne.

A côté de cela, et ce dès l'âge roman, le principe des « reliques » va se généraliser, au point que même des bouts d'os des saints seront considérés comme des reliques à part entière. La religiosité populaire s'est précipitée dans le culte des saints et les églises se devaient d'en posséder, par prestige tant religieux que politique, puisque les pèlerinages permettaient de véritables mobilisations populaires.

Le picard Guibert de Nogent (vers 1055 - vers 1125), un des chroniqueurs de la première croisade, a écrit une œuvre au sujet des reliques, De Pignoribus sanctorum (Les reliques des Saints). Il y a décrit les nombreuses superstitions et les trafics. Il raconte ainsi :

“ « Sachez, s'écriait-il, sachez que dans cette petite boîte est renfermé un morceau du pain que notre Sauveur a broyé — masticavit — de ses propres dents. Et si vous hésitez à me croire, voilà un éminent personnage (c'est de moi qu'il parlait), dont vous connaissez tous la vaste science, qui pourra confirmer mon dire, s'il en est besoin. » — J'ai rougi, intimidé surtout par la présence de tous ces gens que je savais disposés à défendre le fourbe. Je me suis tu, plus pour éviter les invectives des assistants que par crainte de l'orateur lui-même, que j'aurais dû sur-le-champ dénoncer comme faussaire. Que dirai-je ? Ni les moines, ni les clercs ne s'abstiennent de ces honteux trafics, au point de faire, en ma présence et sans que j'aie le courage de m'y opposer, des déclarations hérétiques touchant notre foi. ”

Ce qu'on voit surtout ici, c'est que le christianisme est bien un mélange de platonisme tardif, influencé par les « néo-platoniciens » (Plotin, Proclus), de type magique, et le stoïcisme (l'aristotélisme tardif et décadent).

Le christianisme propose ni plus ni moins qu'un culte des saints où ceux-ci sont une porte vers le Ciel et Dieu lui-même ; le nouveau christianisme porte en lui une sacralisation de son propre personnel.

Cela est sans aucun doute un effet inattendu aux yeux de l'aristocratie, qui pensait simplement disposer d'un personnel administratif façonnant des dispositifs idéologiques mobilisant les masses en leur faveur.

Le culte des saints qui se développe à l'âge roman souligne que les masses cherchent des issues, et aussi que le clergé n'hésite pas à s'émanciper de l'aristocratie qui l'a formé. Le point culminant sera la politique d'affirmation de la papauté par le pape Grégoire VII, qui forcera Henri IV du Saint-Empire à effectuer la fameuse pénitence de Canossa.

A cette occasion, le roi dut effectuer un voyage en plein hiver pour s'agenouiller devant le pape pour que soit levée son excommunication provoquée par le refus royal d'abandonner au profit du pape la nomination des évêques. Cela sera lourd de conséquences historiques et jouera bien sûr plus tard au profit de la volonté nette des princes allemands à rompre avec le pape.

L'âge roman est ainsi constitué d'une idéologie dont l'aristocratie est à l'origine, mais dont le vecteur s'est affirmé en autonomie, voire en indépendance. Dans cet esprit de Civitas Dei, on retrouve dans l'art roman le thème de la « Jérusalem céleste ».

Et on le retrouve politiquement : la preuve de l'indépendance du clergé consiste en les multiples croisades, lancées par le christianisme. Le contrôle de Jérusalem aurait marqué la primauté absolue du clergé sur les aristocraties européennes et leurs différentes volontés d'empire.

On estime que pas moins de 22 millions de personnes périront en raison de ces croisades dont le principe même repose sur le processus d'autonomisation de l'Eglise.