Pseudo-Denys l'Aréopagite - 5e partie : un esprit initiatique
Submitted by Anonyme (non vérifié)Pseudo-Denys l’Aréopagite est donc quelqu'un qui puise dans le néo-platonisme, mais il résout le conflit entre la conception d'un Un divin isolé (comme chez Plotin) et celle d'un monde d'en bas rempli d'entités magiques issus du Un divin (comme chez Proclus).
Il résout cette opposition entre en haut et en bas au moyen de l'incarnation, Jésus étant à la fois Dieu et homme, dans une même unité. Jésus permet donc un « appel d'air », faisant entrevoir comment accéder au divin depuis le monde matériel.
Cependant, il s'agit bien ici d'un ajout au néo-platonisme : la base du christianisme n'est pas tant l'incarnation, que ce qu'elle permet : la concrétisation pratique, à travers des rituels, de ce qu'a formulé le néo-platonisme.
L'une des preuves de cela est que chez Pseudo-Denys l’Aréopagite, les enseignements authentiques sont présentés comme une doctrine secrète. Cela va de pair avec le principe hiérarchique : seuls les réels initiés peuvent comprendre, seuls les hiérarques peuvent savoir.
Pseudo-Denys l’Aréopagite se situe ici tout à fait dans la tradition néo-platonicienne d'une élite spirituelle, devant masquer ses enseignements. On avait déjà cela dans l'Académie de Platon, a fortiori chez les néo-platoniciens aux conceptions magico-mystiques : c'est encore vrai dans le christianisme à l'initial.
La raison en est bien sûr que l'effondrement de l'esclavagisme maintient, tout de même, tout un système hiérarchique, qu'il faut bien accepter et qui se reflète par conséquent dans le système religieux. L'aspiration démocratique est déviée vers les cieux, la bataille pour la démocratie étant limitée à la tentative d'être soi-même illuminé.
Pseudo-Denys l’Aréopagite explique ainsi :
« Avant d'expliquer la hiérarchie ecclésiastique, on fait observer que les mystères de la religion chrétienne ne doivent pas être divulgués devant les profanes, mais que ceux qui, véritables Anges de la terre, ont la mission d'administrer les sacrements et d'instruire, ne peuvent légitimement les faire connaître qu'aux initiés (…).
Ne divulguez pas indiscrètement les choses saintes; ayez-les, au contraire, en grand respect, et honorez les mystères de Dieu par la pureté sublime des notions que vous en exposerez, les couvrant d'un voile impénétrable aux yeux des profanes et ne les faisant connaître aux saints même qu'à la lumière mystique d'une explication irréprochable.
Comme notre foi le sait par l'enseignement des Écritures, Jésus, suprême et divine intelligence, et principe souverainement efficace de toute hiérarchie, sainteté et perfection, Jésus envoie aux bienheureux esprits qui sont au-dessus de nous des illuminations tout à la fois plus transcendantes et moins obscures, et les façonne, autant qu'ils en sont capables, à l'image de sa propre lumière.
Également, par la sainte dilection qui nous entraîne vers lui, le même Jésus calme la tempête de nos soucis dissipant, et rappelant nos âmes à l'unité parfaite de la vie divine, nous élève au sacerdoce et nous confirme dans la grâce habituelle et la fécondité permanente de ce noble ministère.
Bientôt, par l'exercice des fonctions sacrées, nous approchons des anges, essayant de nous placer comme eux dans un état fixe d'immuable sainteté.
De là, jetant le regard sur la divine splendeur de Jésus béni, recueillant avec respect ce qu'il nous est permis de voir, et enrichis de la science profonde des contemplations mystiques, nous pouvons être consacrés et consacrer à notre tour, recevoir la lumière et la communiquer, devenir parfaits et mener lès autres à la perfection. »
Pareillement, il dit au sujet de la cérémonie pour les défunts :
« Si les profanes voyaient ou entendaient réciter ces saintes cérémonies, ils en riraient éperdument sans doute et prendraient en pitié notre erreur. Mais il ne faut pas que cela nous étonne ; car s'ils ne croient pas, ils ne comprendront pas, comme dit l'Écriture. »
En quoi consiste alors cette Église aux enseignements secrets ? En des pélerins sur le chemin de l'illumination.
Pseudo-Denys l’Aréopagite reprend directement les conceptions néo-platoniciennes – expier, être illuminé, tendre à la perfection – pour justifier sa division tripartite de l’Église :
« Les diacres forment l'ordre sacré qui purifie; les prêtres, l’ordre qui illumine; les évêques, l'ordre qui perfectionne. La classe des purifiés se compose de ceux qui ne peuvent encore être admis à la vue et à la participation d'aucun sacrement ; la classe des illuminés est celle du peuple saint; la classe des perfectionnés est celle des pieux moines.
C'est ainsi que notre hiérarchie, distribuée en des ordres que Dieu lui-même a établis, est rendue conforme aux hiérarchies célestes, et qu'elle conserve, autant qu'il est possible aux choses humaines, comme l'empreinte de Dieu et les traces de son auguste origine. »
On a ici une démarche totalement magique : le christianisme n'est nullement un message s'adressant de la même manière à tous, au moyen de la Bible. Il s'agit d'une école de pensée ultra-hiérarchisée et à la démarche mystique, où l'élite relève d'une juste « compréhension » d'une illumination.
Ne pas voir cela, c'est ne pas comprendre ce qu'est le christianisme lorsqu'il émerge et se développe. Il est un message universel, mais sa démarche n'est pas universaliste et le clergé n'est pas qu'un outil : il est un vecteur.
La description par Pseudo-Denys l’Aréopagite des cérémonies de la consécration monacale en dit long sur son esprit mystico-religieux :
« Le prêtre se tenant debout devant l'autel prononce la formule de la consécration monacale.
L'initié, placé derrière le prêtre, ne fléchit ni les deux genoux, comme l'ordre sacerdotal, ni même un seul genou, comme les diacres; mais il se tient debout pendant qu'on récite sur lui la prière déterminée.
L'ayant achevée, le consécrateur s'avance vers l'initié et lui demande avant tout s'il renonce à toutes les distractions du siècle, c'est-à-dire, non seulement aux divers genres de la vie commune, mais même aux folles imaginations des mondains.
Puis il lui expose ce que c'est que la vie parfaite, en l'avertissant qu'il doit s'élever au-dessus d'une sainteté médiocre. Il en reçoit la promesse formelle d'agir ainsi, le marque du signe de la croix, lui coupe la chevelure en invoquant les trois Personnes de l'éternelle béatitude, le dépouille de son premier vêtement pour lui en imposer un autre, lui donne, aussi bien que tous les prêtres qui l'entourent, le saint baiser, et l'admet à la participation des saints mystères. »
Voici également la description de la cérémonie de consécration des saints ordres :
« Celui qui doit être élevé à la dignité épiscopale fléchit les genoux devant l'autel. Là, on lui impose sur la tête le livre des divines Écritures ; le prélat consécrateur étend la main sur lui et récite de pieuses invocations.
C'est ainsi que se fait l'ordination des évêques.
Le prêtre se met aussi à genoux devant l'autel. L'évêque alors lui impose la main droite sur la tête, prononce de saintes prières et opère ainsi la consécration sacerdotale.
Le diacre amené devant l'autel ne fléchit qu'un genou; sa tête est ombragée par la main droite du pontife, et sa consécration s'achève par les prières fixées pour la consécration des diacres.
Au reste, l'hiérarque consécrateur trace sur chacun d'eux le signe de la croix ; on publie leur nom et l'ordre qu'ils reçoivent, et on termine par la cérémonie du saint baiser, tous les membres de la hiérarchie, l'évêque à leur tête, saluant ainsi celui qui est promu à quelqu'un des ordres sacrés. »
Saisir ce caractère initiatique du christianisme initiatique permet d'avoir un regard matérialiste dialectique sur sa nature historique.