Tintin contre les animaux
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Il est communément admis que Tintin est un ami des animaux. Il possède un chien, le fameux Milou, qui l'accompagne dans toutes ses aventures. Néanmoins, à y regarder de plus près, Hergé a bien construit les bande dessinées en faisant évoluer Tintin contre les animaux.
Hergé est le fruit de son milieu, il baigne dans la culture de la bourgeoisie catholique de la communauté francophone du royaume de Belgique. L'univers de Tintin est logiquement borné de références coloniales, patriarcales et catholiques.
Il était donc impossible que des préoccupations authentiquement progressistes servent de trames de fond à une enquête de Tintin. Au contraire, quelle que soit la région du monde que Tintin et ses compagnons parcourent, ils ont toujours le comportement d'européens arrogants, dominant la nature ou, à défaut, la détruisant. Hergé est parfaitement conscient de cela, le respect de la vie animale est une valeur étrangère à sa culture. Pour exemple, dans l'album Le Crabe aux Pinces d'Or, alors qu'il se fait confisquer sa bouteille de vin par un membre de l'équipage cosmopolite du cargo Karaboudjan, Haddock lance "végétarien" parmi un flot d'insultes (dernière vignette, p.55).
Au travers des différents albums, le sort réservé aux animaux évolue, mais le message reste le même : la nature est un terrain de compétitions sur lequel seuls les vainqueurs restent vivants et en liberté.
L'album le plus critiqué de la série est sans doute Tintin au Congo, essentiellement pour son caractère raciste. Cette aventure est aussi un véritable massacre, les animaux y sont détruits de manière systématique. Les girafes seront l'objet d'un film documentaire réalisé par Tintin, et, pour cela, elles sont épargnées.
Mais ce sont bien les seules. Dans l'émission « 30 millions d'amis » diffusée sur TF1 le 29 juillet 1978, Hergé reconnaît avoir maltraité les animaux dans l'aventure africaine de Tintin. Cependant il cherche à fuir sa responsabilité en accusant l'époque. Selon lui, au moment où il réalise les planches, les récits de la vie africaine sont peuplés de chasses extraordinaires. S'il faut souligner que les colons européens ont été de grands exterminateurs de la vie animale et végétale dans de nombreuses régions du continent africain, ces destructions étaient le fait de la bourgeoisie coloniale. Hergé accuse l'époque, mais la responsable est la bourgeoisie, sa classe qui ne participe pas à la vie africaine, mais la domine, l'exploite et la détruit.
Tintin ne sera pas moins barbare. L'antilope, par exemple, est montrée comme une espèce qui pullule d'individus tous semblables les uns aux autres. Tintin, au cours d'une partie de chasse, pense même tirer sur le même animal et croit le manquer à quinze reprises. Il découvrira sans remords (p.16) un amoncellement de cadavres. Les animaux jugés hostiles, requins, boa et autres serpents, crocodiles, moustiques, et buffles, sont blessés ou tués sans état d'âme, parfois même sans qu'il soit recherché les preuves de leur supposée agressivité.
Le boa (p.34-35), comme le léopard (p.37) sont des animaux jugés dangereux, d'autant plus que leur appétit n'a pas de limite. On sent ici évidemment l'influence de l'église catholique quant aux réputations qui sont faites aux animaux : le serpent de la bible et le félin maléfique sont tués par là où ils "pêchent" (selon une vision éminemment religieuse). Tintin forcera le boa à l'autocannibalisme en lui faisant dévorer sa propre queue, et au léopard, il fera manger une éponge avant de lui jeter un saut d'eau, pour lui faire gonfler le ventre. La rédemption du singe, curieux et voleur, passe par la mort par balle, avant d'être dépecé afin que sa peau serve de costume de camouflage à Tintin.
Les animaux chassés pour leur prestige, comme le lion, l'éléphant, ou le rhinocéros, ont vocation à devenir des trophées. L'ivoire des défenses de l'éléphant, la peau du lion ou la tête du rhinocéros deviennent des objets qui intègrent le mobilier de style colonial du bourgeois européen revenu en métropole, comme on peut le voir chez Marc Charlet, l'un des membres de l'expédition revenu du Pérou dans l'album Les 7 boules de cristal (p.19), en 1948.
Car la cruauté envers les animaux n'est pas cantonnée aux vignettes de Tintin au Congo. Chacune des aventures est l'occasion de montrer la domination de l'homme européen sur la nature. Tous les livres pourraient être intitulés « Tintin contre les animaux ».
Les animaux sont souvent vus en nuisibles, comme les moustiques de Tintin au Congo (p.10) qui piquent Milou, ils freinent l'avancée des héros. On verra aussi le capitaine Haddock pester contre un lézard « démontable » alors que celui-ci vient de perdre un morceau de queue dans « le temple du soleil ». Des animaux semblent se fondre dans le décor, comme l'âne qu'on chevauche dans Le Crabe aux Pinces d'Or et ne font l'objet d'aucune remarque ni attention particulière, un gag tout au plus pour le Yack ridiculisé dans Tintin au Tibet, par le fait qu'il broute l'écharpe de Tintin endormi.
Les animaux que l'on utilise comme moyen de transport, comme le cheval des 7 boules de cristal, les chameaux du « coke en stock » ou les lamas du Temple du Soleil sont représentés avec des traits hautains, des comportements "aristocratiques", sur un mode anthropomorphiste qui, la aussi, rejoint la tradition catholique attribuant des caractères humains aux animaux. Ce comportement "aristocratique" est jugé insupportable car il remet en cause la supériorité affirmée des héros humains (Tintin et Haddock) eux mêmes déjà marqués par l'attitude aristocratique et coloniale. A la fin de l'album, Haddock tiendra même absolument à se venger d'un lama qui lui avait craché au visage en lui crachant à son tour au visage !
Comme nous l'avons vu, dans Tintin, les humains écrasent la nature et quand on écrase la nature, on ne peut s'y intéresser réellement et encore moins la comprendre. En vérité, les lamas ne sont pas des animaux soumis à leur soi-disant "mauvais caractère" et qui crachent quand l'envie leur en prend. Pourtant, c'est encore cette vision qui est colportée aujourd'hui comme le montre actuellement la lamentable campagne de la RATP pour inciter au civisme des passager où l'on voit notamment un humain à tête de lama cracher son chewing-gum par terre. C'est dire le niveau de culture extrêment faible de la bourgeoisie sur les animaux dans un pays imprégné de catholicisme comme la France.
Les animaux qui vivent en liberté représentent une menace. Soit cette menace est annulée par la domestication ou la fuite, soit c'est la destruction de l'animal. Aïcha, le guépard de « coke en stock » reçoit une leçon de la part de Milou, et se réfugie auprès des humains, le tapir du « temple du soleil » est défendu par Zorrino, qui dit de lui qu'il n'est pas méchant car il peut être facilement apprivoisé. Zorrino représente d'ailleurs la caricature de l'"indigène" qui, du point de vue réactionnaire et colonialiste, est forcément plus proche des animaux (il s'agit d'un jugement péjoratif pour Hergé mais la compréhension de la nature constitue bien évidemment une valeur positive pour nous).
L'ours brun dans le même album, ou le gorille de L'Ile noire sont des forces de la nature, Tintin et ses compagnons ne peuvent s'y opposer et préfèrent prendre la fuite. Le gorille énorme de L'Ile noire (1937-1938) est en fait directement inspiré de King-Kong, film classique de monstre, sorti quelques années auparavant (1933), où toute la nature est frappée de gigantisme pour être impressionante, sans aucun souci de réalisme.
Quant au majestueux condor, aux serpents et alligators qui croisent le chemin de l'aventurier, ils seront tués, le plus souvent abattus à distance, à l'aide d'une arme à feu. Les animaux dont on ne peut devenir maître sont détruits par Tintin et ses amis.
A vrai dire, le seul animal qui apparait avec Tintin dans les différentes aventures sans qu'il le maltraite physiquement, c'est le chien Milou. Hergé avait pris le parti de faire parler le fox-terrier dans les premiers albums, à partir de L'Ile noire, ce n'est pour ainsi dire plus le cas.
Néanmoins, Milou sera capable d'exposer ses sensations et ses pensées aux lecteurs au travers de bulles qui lui sont propres. Milou a des pensées beaucoup moins construites que celles du héros qu'il sert. Il apparaît souvent comme un complément de Tintin : le flair pour trouver des pistes, l'aboiement pour alerter en cas de danger, les crocs en cas de bagarre. Notons également que Milou est un fox-terrier, à ceci près qu'il est de couleur blanche, qui n'existe pas.
Milou est donc en tout cas l'attribut de Tintin, comme le couteau suisse pour Mc Gyver ou la batmobile pour Batman (l'image de l'animal-machine s'incarne aussi dans le célèbre sous-marin en forme de requin inventé par le Pr. Tournesol dans Le Trésor de Rackham Le Rouge).
S'il est un outil dans les mains de Tintin, Milou est aussi une « bête ». Le catholicisme de Hergé transpire ici de façon indéniable. Milou est une créature vicieuse : il est gourmand (scène d'intro du Crabe aux Pinces d'Or), voleur (Le Crabe aux Pinces d'Or, p.51) colérique, notamment en présence d'un chat (L'Ile noire).
Milou consomme également de l'alcool, dès que l'occasion se présente, et souvent au point d'être ivre : « le secret de la licorne » pp. 22-23, p.54, aux côtés de Tintin et Haddock dans « le crabe aux pinces d'or », p.55, seul et par goût dans « les 7 boules de cristal », p.53. Dans Tintin au Tibet, Milou boit le Whisky qui s'échappe de la gourde de Haddock (p.18-19), ivre, sa conscience se dédouble et lui apparaît sous la forme de Milou-ange et Milou-démon. Imagerie chrétienne, donc.
Pour Hergé, l'homme civilisé ne fait pas partie de la nature, contrairement aux « sauvages » africain. Au contraire, l'humain a vocation à dominer les autres espèces. Les animaux qui sont domestiqués peuvent devenir des animaux de compagnie, à l'image de Milou, à condition d'être dénaturés. Pour les animaux libres, il faut les classer et les différencier selon une grille dangerosité/utilité. Pour ceux qui sont en bas de cette hiérarchie et dont l'homme est au sommet, la mort peut être donnée sans remord.
La logique développée par Hergé au fil des aventures de Tintin est celle de l'animal qui doit être au service de l'humanité et les animaux qui n'en seront pas capables, créatures inférieures, peuvent être exterminées.
Concluons avec un extrait d'une critique absolument abjecte sur le site « Actua BD » d'un « bestiaire » de Tintin & Milou; rarement on peut lire une expression aussi misérable que minable, aussi barbare que ridicule:
Avec beaucoup de pertinence et d’honnêteté intellectuelle, Gérard Lippert nous explique le massacre de nombreux animaux par Tintin au Congo. Il nous signale que l’époque coloniale était différente de la nôtre, où l’on a appris progressivement que la nature a des limites qu’il faut respecter. Il signale aussi que l’équilibre de la nature repose sur des régulations brutales de populations animales auxquelles l’homme doit participer lorsque la pression démographique met en péril à la fois la vie de l’animal et celle de l’homme. Une observation objective propre à faire réfléchir les écologistes empressés, mal renseignés sur la surpopulation désastreuse de certaines espèces surprotégées.
Au début de sa carrière, Hergé ne se gêne pas pour désintégrer à l’explosif un rhinocéros du Congo. Lippert nous explique ce geste par une méditation perspicace : « Forer la peau cornée et y placer un bâton de dynamite est, bien plus qu’une mise à mort barbare, un désir de sonder les mystères de la profondeur, au-delà des surfaces opaques ».