Histoire de l'astronomie - 1re partie : la Mésopotamie
Submitted by Anonyme (non vérifié)Les civilisations qui ont vécu en Mésopotamie du 4ème au 1er millénaire avant JC sont quasiment ignorées dans l'enseignement de l'Histoire. On évoque brièvement le Croissant fertile et on passe directement à la civilisation égyptienne. Pourtant, la Mésopotamie est certainement le berceau de la première civilisation qui mérite qu'on s'attarde sur ce qu'elle a été.
La Mésopotamie est une région qui se trouve entre le Tigre et l'Euphrate, son nom signifie d'ailleurs « entre deux fleuves » en grec. Dans cette région, les recherches archéologiques montrent la présence humaine depuis au moins 8 500. Mais l'apparition de la civilisation véritable ne devient une certitude qu'à partir de la période d'Uruk, période qui couvre le 4ème millénaire avant JC et fait référence à Uruk, la ville de cette époque d'où proviennent les découvertes archéologiques les plus nombreuses.
La période d'Uruk est caractérisée par :
* le perfectionnement de l'irrigation, l'utilisation généralisée de l'araire (outil d'agriculture qui laboure la terre en creusant des sillons) et du boeuf qui facilitent l'agriculture et améliorent sa productivité,
* la propagation de la roue et la domestication de l'âne combinées au développement des artisanats de la laine, de la poterie et du métal permettent un essor commercial.
Ces progrès dans l'agriculture et le commerce entraînent :
* une augmentation considérable de la taille des villes et des bâtiments,
* la hiérarchisation de la société : apparition des premiers esclaves et du roi-prêtre,
* l'instauration de l'administration et de la comptabilité,
* le développement de l'art avec la sculpture.
La période d'Uruk correspond donc tout à fait à la description de l'avènement d'une civilisation faite par Engels (qui n'avait pourtant pas étudié cette civilisation).
« L'accroissement de la production dans toutes les branches - élevage du bétail, agriculture, artisanat domestique donna à la force de travail humaine la capacité de produire plus qu'il ne lui fallait pour sa subsistance. Elle accrut en même temps la somme quotidienne de travail qui incombait à chaque membre de la gens, de la communauté domestique ou de la famille conjugale. Il devint souhaitable de recourir à de nouvelles forces de travail. La guerre les fournit: les prisonniers de guerre furent transformés en esclaves. En accroissant la productivité du travail, donc la richesse, et en élargissant le champ de la production, la première grande division sociale du travail, dans les conditions historiques données, entraîna nécessairement l'esclavage. De la première grande division sociale du travail naquit la première grande division de la société en deux classes: maîtres et esclaves, exploiteurs et exploités.
[...]
La richesse augmenta rapidement, mais en tant que richesse individuelle; le tissage, le travail des métaux et les autres métiers qui se différenciaient de plus en plus donnaient à la production une variété et un perfectionnement croissants ; désormais, à côté des céréales, des légumineuses et des fruits, l'agriculture fournissait aussi l'huile et le vin, qu'on avait appris à préparer. Une activité si diverse ne pouvait plus être pratiquée par un seul et même individu : la seconde grande division du travail s'effectua : l'artisanat se sépara de l'agriculture. L'accroissement constant de la production et, avec elle, de la productivité du travail accrut la valeur de la force de travail humaine; l'esclavage qui, au stade antérieur, était encore à l'origine et restait sporadique, devient maintenant un composant essentiel du système social; les esclaves cessent d'être de simples auxiliaires ; c'est par douzaines qu'on les pousse au travail, dans les champs et à l'atelier. Par la scission de la production en ses deux branches principales : agriculture et artisanat, naît la production directe pour l'échange ; c'est la production marchande.
[...]
Une telle société ne pouvait subsister que dans une lutte continuelle et ouverte de ces classes entre elles, ou sous la domination d'une tierce puissance qui, placée apparemment au-dessus des classes antagonistes, étouffait leur conflit ouvert et laissait tout au plus la lutte de classes se livrer sur le terrain économique, sous une forme dite légale. L'organisation [antérieure] fut remplacée par l'État. »
Engels (1884) L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat.
C'est au cours de cette période florissante d'Uruk que la civilisation sumérienne (appelée aussi civilisation de Sumer) conquiert la Mésopotamie. Au cours de leur règne naît l'écriture qui marque un saut qualitatif en permettant la synthèse des savoirs transmis oralement jusque là.
L'ensemble de ces avancements rend possible une approche rationnelle du savoir.
Dans le domaine des sciences, les mathématiques progressent grâce à l'utilisation du système sexagésimal, autrement dit les personnes instruites comptent sur une base 60. Cette base sera utilisée plus tard pour diviser les heures en 60 minutes et les minutes en soixante secondes.
Pour ce qui est de l'astronomie, les connaissances de l'époque transparaissent essentiellement au travers du panthéon sumérien. Il est hiérarchisé et l'une de ses trois figures principales s'appelle An, le dieu-ciel. Ensuite viennent les divinités astrales : Nanna, le dieu-Lune, Utu, le dieu-Soleil et Inanna, la déesse-Vénus.
La civilisation sumérienne avait donc déjà identifié la planète Vénus, lui donnant une place spéciale à la mesure de la Lune et du Soleil. Mais comment était-il possible de distinguer Vénus de toutes les autres étoiles ? Car à l'oeil nu, Vénus n'est rien d'autre qu'une étoile particulièrement brillante ! Tout réside dans l'observation du mouvement des étoiles. En effet, si on regarde le ciel toute une nuit, on peut observer que toutes les étoiles bougent. Comme le Soleil, elles se lèvent et elles se couchent. Cependant, si chaque étoile bouge dans le ciel, elles suivent toutes la même trajectoire (étant donné qu'en réalité, c'est la Terre qui tourne sur elle-même et non les étoiles qui tournent toutes autour de la Terre!). Vénus, par contre, est une planète du système solaire. Par conséquent, elle ne suit pas la même trajectoire que les étoiles.
Dans la civilisation sumérienne, il y a donc eu des observations suffisamment méticuleuses pour réussir à détecter la planète Vénus.
Par la suite, au cours du 3ème millénaire, aucun progrès notoire n'est noté.
De 2300 à 2150, la dynastie d'Akkad dirige la Mésopotamie. La civilisation akkadienne reprend et renomme le panthéon sumérien. On y retrouve Anu, le dieu-ciel, Sîn le dieu-Lune, Shamash, le dieu-Soleil et Ishtar, la déesse-Vénus.
Si on ne constate pas d'avancée sur le plan de l'astronomie, le grand apport de la civilisation akkadienne est l'unification de la Mésopotamie qui n'était jusqu'alors qu'une juxtaposition de différentes cités-états. Les nombreuses guerres monopolisent alors les forces de la Mésopotamie.
Cependant, l'unification des cités va permettre, grâce à l'essor économique qui s'en suit, un rebond dans l'évolution de la civilisation.
En effet, Engels explique que :
« Comme l'État est né du besoin de refréner des oppositions de classes, mais comme il est né, en même temps, au milieu du conflit de ces classes, il est, dans la règle, l'État de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée.
[...]
Avec cette organisation pour base, la civilisation a accompli des choses dont l'ancienne société n'était pas capable le moins du monde. Mais elle les a accomplies en mettant en branle les instincts et les passions les plus ignobles de l'homme, et en les développant au détriment de toutes ses autres aptitudes. La basse cupidité fut l'âme de la civilisation, de son premier jour à nos jours, la richesse, encore la richesse et toujours la richesse, non pas la richesse de la société, mais celle de ce piètre individu isolé, son unique but déterminant. Si elle a connu, d'aventure, le développement croissant de la science et, en des périodes répétées, la plus splendide floraison de l'art, c'est uniquement parce que, sans eux, la pleine conquête des richesses de notre temps n'eût pas été possible. »
Engels (1884) L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat.
Toutes les conditions sont alors réunies pour cette période de floraison de l'art et de la science.
A la suite de la civilisation akkadienne, celle de Sumer reconquiert la Mésopotamie. Mais, en 2016 avant JC, elle est détrônée par la civilisation babylonienne. Cette dernière règnera simultanément avec la civilisation assyrienne (l'une prenant parfois l'ascendant sur l'autre) jusqu'en 539 avant JC, date d'arrivée de l'envahisseur perse.
Lors du règne de la civilisation assyro-babylonienne, on observe effectivement de grandes avancées culturelles et scientifiques.
Les objets les plus remarquables de l'époque :
* le code de loi d'Hammurabi : une stèle de 2,5 mètres de haut relatant près de 280 décisions de justice,
* les ziggourats, temples gigantesques dont un exemple célèbre est la ziggourat de Babylone qui a inspiré la Tour de Babel (mais dont il ne reste quasiment rien aujourd'hui),
* l'épopée de Gilgamesh, probablement l'oeuvre littéraire la plus ancienne,
* les tablettes mathématiques YBC7289, qui représente un algorithme permettant d'obtenir une approximation de la racine carrée de 2, et Plimpton 322, qui donne 15 triplets de nombres qui correspondent au théorème de Pythagore (sans que celui-ci soit énoncé explicitement).
Dans le domaine de l'astronomie, les connaissances sont tout bonnement impressionnantes, comme le montrent les nombreuses tablettes qui ont été retrouvées. Les sujets abordés vont du calendrier aux listes des constellations.
Les instruments utilisés sont :
* la clepsydre : sorte d'horloge à eau composée d'un récipient gradué dans lequel l'eau s'écoule à partir d'un autre récipient,
* le gnomon : tige plantée verticalement sur une surface plane dont on observe l'ombre, l'ombre la plus courte correspondant au midi ; l'ombre la plus courte de l'année indique quant à elle le solstice d'été et la plus longue le solstice d'hiver,
* le polos : instrument spécifiquement mésopotamien qui correspond à une amélioration du gnonom.
Le plus ancien calendrier daterait du 19ème siècle avant JC (certaines personnes attestent cependant que le calendrier babylonien provient de l'amélioration du calendrier sumérien).
Il est déjà relativement proche de notre calendrier actuel. C'est un calendrier luni-solaire, c'est-à-dire que les mois sont lunaires (divisés en 28 jours) et que les années sont solaires (divisées en 12 mois et correspondant aux quatre saisons).
Dans la pratique, un nouveau mois débute lorsque le croissant de la nouvelle Lune est observé. On compte alors quatre semaines de 7 jours, semaines qui correspondent approximativement aux 4 quarts de Lune (une autre explication avancée pour la semaine de 7 jours consiste à dire qu'elle correspondrait aux 7 objets célestes spéciaux alors connus, à savoir la Lune, le Soleil, Saturne, Jupiter, Mars, Vénus et Mercure).
A l'époque déjà, le septième jour de chaque semaine était un jour sacré (chacun de ces septièmes jours étant dévolu à un ou deux dieux en particulier) et de nombreuses activités étaient interdites. Le 28ème jour du mois était un jour de repos. Les babyloniens célébraient également le 49ème jour étant donné qu'il représentait une « semaine de semaines » (soit sept semaines).
Pour pourvoir passer au mois suivant, il fallait attendre la nouvelle Lune. Or, un cycle lunaire totalise plus de 28 jours. Deux ou trois jours, en dehors de toute semaine, étaient donc régulièrement ajoutés à la fin du mois.
De la même manière, les 12 mois du calendrier babylonien ne coïncidaient généralement pas avec le déroulement d'une année solaire. Il était courant d'ajouter un mois intercalaire.
Mais toutes ces intercalations n'étaient pas rigoureusement déterminées. C'est le roi qui décrétait, sur conseil des personnes spécialisées dans le domaine, s'il fallait rajouter un jour ce mois-ci ou un mois cette année-là.
Pour ce qui est des observations astronomiques, la civilisation de Babylone était connue pour consigner des relevés détaillés de ce qui été observé. Deux tablettes très connues relatent ces observations.
L'Enûma Anu Enlil est une compilation de textes astronomiques. Il comprend 68 à 70 tablettes dont le contenu consiste principalement en présages (un total de 6500 à 7000) en fonction d'observations de phénomènes atmosphériques ou célestes.
Les 13 premières tablettes concernent les levers et couchers de la Lune au cours de chaque jour du mois.
La 14ème expose des principes mathématiques basiques permettant de prédire les mouvements de la Lune.
Les tablettes 15 à 22 sont dédiées aux éclipses lunaires, donnant notamment les dates et les cités dans lesquelles elles se produisent.
Les tablettes 23 à 29 concernent l'apparition du Soleil, sa couleur et sa relation aux nuages et les tablettes 30 à 39 parlent des éclipses solaires.
Les tablettes 40 à 49 se rapportent aux phénomènes météorologiques et aux tremblements de terre, avec une attention particulière dévolue à la foudre.
Les 20 dernières tablettes sont dédiées aux étoiles et aux planètes.
La tablette d'Enûma Anu Enlil présentée ici sur la droite parle de Nisannu (correspondant à Mars-Avril) et de la couleur de l'aurore.
Certaines lignes ont été traduites et voici un extrait de ce qu'on peut y lire :
4. Si en Nisannu, l'aurore normale a l'air saupoudrée de sang, alors il y aura des batailles dans la pays.
5. Si, le premier jour de Nisannu, l'aurore a l'air d'être saupoudrée de sang, alors les céréales vont disparaître dans le pays, ce sera une période de privations et de la chair humaine sera mangée.
6. Si, le premier jour de Nisannu, l'aurore a l'air d'être saupoudrée de sang et que l'aurore est fraîche, alors le roi va mourir et le pays connaîtra un grand deuil.
La seconde tablette, à gauche, donne le même genre de prédictions :
22. Si sept disques s'élèvent dans le ciel, alors l'habitant d'un village viendra conquérir le trône, le pays du roi va se rebeller contre lui et il sera assiégé et tué.
23. Si le premier jour de Nisannu, deux disques s'élèvent dans le ciel, le roi va mourir.
24. Si le 11ème jour de Nisannu, trois disques s'élèvent dans le ciel, une grande armée va périr.
25. Si le 12ème jour de Nisannu, cinq disques s'élèvent dans le ciel, le roi sera en exil.
Une des tablettes de l'Enûma Anu Enlil est particulièrement connue : la tablette 63 ou tablette de Vénus d'Ammisaduqa (la date de la première version est estimée entre 1646 et 1626 avant JC). Cette tablette, qui liste les levers et les couchers de Vénus sur 21 ans, constitue le premier texte établissant un mouvement astral périodique.
Elle contient, parmi les présages, des observations de ce type :
L'année d'observation 5 s'écoule de 26 Dumuzi à 14 Addaru (une estimation la faisant s'écouler du 21 juillet 1639 au 21 février 1637 avant JC) et Vénus apparaît au Nisan 29 et, après 12 jours d'apparition s'élève au plus haut le Ayar 11. Vénus disparaît au Kislimu 27. Deux mois et trois jours après, elle réapparaît au Shabatu 30.
Le Mul-Apin (dont la première version date probablement de 1200 à 1000 avant JC) est composé de trois tablettes comprenant un catalogue de 71 étoiles et constellations, avec leurs relatifs, la position des planètes, la durée des nuits pendant une année, tout cela accompagné de présages concernant le pays.
On y trouve des références à l'Etoile des Etoiles ou les Sept Dieux (les Pléiades), le Jeune Boeuf du Paradis (la constellation du Taureau), le Berger Fidèle du Anu (Orion), le wagon du Paradis (la Petite Ourse) et l'étoile qu'elle contient : l'Héritier du Temple Sublime (l'Etoile Polaire) et bien d'autres encore.
Les étoiles étant décrites les unes par rapport aux autres, cette tablette donne la première carte céleste connue (même si elle n'est pas explicitement dessinée).
On remarque donc que les connaissances en astronomie sont étroitement liées à un désir de prédire l'avenir du pays ou du roi.
De manière plus générale, l'étude de l'astronomie en Mésopotamie nous apprend que toutes les connaissances, même imparfaites, proviennent des interactions que nous entretenons avec notre environnement.
Mao distingue deux phases dans l'acquisition des connaissances en prenant l'exemple de personnes enquêtant sur une ville qu'ils ne connaissent pas :
« Le premier jour ou les deux premiers jours, ils ont vu la ville, sa topographie, ses rues et ses maisons, ils sont entrés en contact avec beaucoup de personnes, ont assisté à des réceptions, des soirées, des meetings, entendu différentes interventions, lu divers documents ; ce sont là les côtés apparents et des aspects isolés des phénomènes, avec leur liaison externe.
Ce degré du processus de la connaissance se nomme le degré de la perception sensible, c'est-à-dire le degré des sensations et des représentations.
En agissant sur les organes des sens des membres du groupe d'enquête, ces différents phénomènes rencontrés à Yenan ont provoqué des sensations et fait surgir dans leur cerveau toute une série de représentations, entre lesquelles s'est établi un lien approximatif, une liaison externe : tel est le premier degré de la connaissance.
A ce degré, les hommes ne peuvent encore élaborer des concepts, qui se situent à un niveau plus profond, ni tirer des conclusions logiques.
La continuité de la pratique sociale amène la répétition multiple de phénomènes qui suscitent chez les hommes des sensations et des représentations.
C'est alors qu'il se produit dans leur cerveau un changement soudain (un bond) dans le processus de la connaissance, et le concept surgit.
Le concept ne reflète plus seulement l'apparence des choses, des phénomènes, leurs aspects isolés, leur liaison externe, il saisit les choses et les phénomènes dans leur essence, dans leur ensemble, dans leur liaison interne.
Entre le concept et la sensation, la différence n'est pas seulement quantitative mais qualitative.
En allant plus loin dans cette direction, à l'aide du jugement, de la déduction, on peut aboutir à des conclusions logiques. »
Mao (1937) De la pratique.
On peut effectuer une comparaison avec l'astronomie babylonienne et la présenter comme se situant au stade de connaissance sensible. Le ciel est minutieusement observé et on en tire une description certes détaillée mais dont l'interprétation ne peut que se faire dans la religion (la religion vient donc du concret, de notre rapport au monde). L'astronomie babylonienne n'est pas encore une vraie science mais, comme la connaissance rationnelle vient de la connaissance sensible, elle constitue une première étape dans la découverte de la nature des étoiles et des lois de l'univers.