2 mar 2012

L'argent roi, une thématique fasciste

Submitted by Anonyme (non vérifié)

L'argent est un thème majeur de la campagne présidentielle 2012 en France, mais il faut bien entendu voir au-delà de cette échéance importante du calendrier de la démocratie bourgeoise.

En fait, l'argent est la thématique principale de l'anti-capitalisme romantique que porte notre époque. Selon le point de vue de l'anti-capitalisme romantique, la crise du capitalisme que nous vivons présentement n'est pas une crise générale mais simplement une crise financière. L'ennemi désigné par l'anti-capitalisme romantique est donc le monde de la finance, invisible et cosmopolite, le sacre de l'argent roi contrôlé par des puissances mondialistes...

L'anti-capitalisme romantique est d'ailleurs très bien partagé par les frères jumeaux fasciste et social-démocrate. Ainsi, lors de son discours du Bourget du 22 janvier, François Hollande a déclaré :

« Je vais vous confier mon secret, ce secret que j’ai gardé depuis longtemps mais que vous avez sans doute découvert : j’aime les gens, quand d’autres sont fascinés par l’argent. [...]

Avant d’évoquer mon projet, je vais vous confier une chose. Dans cette bataille qui s’engage, je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. »

Sur un ton similaire, dans son discours de Châteauroux du 26 février, Marine Le Pen a clamé :

« Oui, c'est la guerre. L'ennemi mondialiste a remporté beaucoup trop de batailles. Il suffit, comme je le fais souvent, de sillonner les routes de France, d'apercevoir – ici ou là – des champs abandonnés, des villages à moitié ravagés par l'on ne sait quel ennemi invisible. [...]

Sur un trône, les amis de Sarkozy et Hollande ont mis l'argent. L'argent roi qui décide de tout, l'argent roi qui vaut plus que nos vies. »

Quant à Jean-Luc Mélenchon, il n'a pas hésité à proclamer qu'il fallait « frapper l'argent roi ».

Cette convergence dans les expressions, au point que les discours deviennent interchangeables, est la conséquence logique d'un raisonnement anti-matérialiste qui forme le cœur même du fascisme.

Cette thématique de l'argent roi nous envoie en effet directement aux origines du fascisme qui, comme l'historien Zeev Sternhell l'a démontré, prend sa source dans notre pays.

Une des grandes figures originelles du fascisme est donc Proudhon en ce sens qu'il incarne une rébellion idéaliste contre l'« argent roi » et la finance. Pour reprendre la phrase de Pier Paolo Pasolini, dans son film Salò ou les 120 jours de Sodome, les fascistes sont bien les véritables anarchistes, en tant que rebelles perclus de romantisme.

En outre, la thématique de l'argent roi et de la finance invisible omnipotente conduit nécessairement à l'antisémitisme, comme le démontre d'ailleurs l'exemple historique de Proudhon.

En effet, du point de vue de l'anticapitalisme romantique, les juifs auraient les mêmes propriétés que l'argent. Eux aussi seraient « invisibles », transnationaux, quasiment liquides au point de s'immiscer « partout ». Les juifs seraient des « traîtres » par excellence. Selon l'approche antisémite, les juifs représenteraient une sorte de puissance « sans visage » mais bien réel et qui « contrôlerait tout ». Les antisémites nourris à la pensée de l'anticapitalisme romantique regardent donc les juifs comme « une abstraction néanmoins bien réelle », au même titre que l'argent.

L'anticapitalisme romantique qui conçoit l'analogie entre l'argent et les juifs, en soulignant l'abstraction de ces derniers, est tellement prégnant qu'il se manifeste même dans la forme de certains monument dédiés à la mémoires des personnes juives exterminées par les nazis.

C'est le cas par exemple du mémorial de la Shoah érigé au cimetière du Père Lachaise à Paris. Cette sculpture représente un être à peine humanisé dont le visage est tout simplement effacé et le corps tout juste esquissé, s'estompant à la limite de l'invisibilité... On imagine que le sculpteur a voulu exprimer la destruction non personnifiée et déshumanisé des juifs dans leur ensemble, mais il n'a fait que colporter l'idée de l'abstraction des personnes juives.

Toujours au chapitre de l'anti-capitalisme romantique, la France n'est pas seulement le pays de Proudhon mais aussi celui de Zola. Or Zola est l'auteur d'un roman aujourd'hui largement oublié : L'Argent, fortement imprégné d'antisémitisme et dont l'intrigue s'inspire du krach de l'Union générale (rebaptisé l'Universel dans le roman) en 1881-82.

A la différence de Proudhon, Zola est en particulier connu pour sa longue tribune « J'accuse » paru dans le journal L'Aurore pour dénoncer l'orchestration judiciaire pour faire condamner Alfred Dreyfus. Cet épisode historique est très connu mais la fameuse tribune de Zola finalement très peu commentée. En réalité, Zola ne se consacre pas du tout à l'antisémitisme que sous-tend pourtant l'affaire Dreyfus. Zola n'évoque brièvement l'antisémitisme au détour d'une seule phrase :

« C'est un crime d'empoisonner les petits et les humbles, d'exaspérer les passions de réaction et d'intolérance, en s'abritant derrière l'odieux antisémitisme, dont la grande France libérale des droits de l'homme mourra, si elle n'en est pas guérie. »

Zola adopte en fait une démarche bien française de l'intellectuel institutionnalisé et intégré pleinement au légalisme républicain. Ainsi, pour Zola, l'erreur judiciaire ne s'explique de manière technique et non par l'idéologie dominante de la bourgeoisie. Il n'en demeure pas moins que « J'accuse » a contribué à rétablir une vérité jusqu'alors bafouée, mais il est remarquable que son auteur joue pleinement la carte du réformisme bourgeois sous un vernis intellectuel qui fait aujourd'hui encore recette en France (la fameuse presse d'opinion ultra formaliste et peu encline aux investigations, où les journalistes essaient avant tout de prouver qu'ils ont « une plume »). D'ailleurs, écrivain naturaliste, Zola n'en est pas moins une figure de l'exaltation romantique de la classe ouvrière. Zola donne dans le lyrisme de la misère indéniablement contre-révolutionnaire puisqu'elle esthétise la défaite de la classe ouvrière.

Pour en revenir plus spécifiquement à L'Argent, il faut noter que ce roman était un des plus lus de la série des Rougon-Macquart dans les années 20-30. En période de crise capitaliste, la thématique de l'argent roi était alors très présente comme maintenant.

Au sens strict, L'Argent ne peut être considéré comme un roman antisémite car tous les propos outrageants sont prêtés à Saccard, le spéculateur catholique qui voue une indéfectible haine au financier juif Gundermann. Pourtant, la thématique de l'argent roi entraîne inévitablement Zola vers la perception de la personne juive en tant qu'abstraction faisant corps avec l'argent, comme nous l'avons précédemment expliqué. Ainsi, Gundermann n'est pas décrit selon ses traits de personnalité mais par le simple fait qu'il soit juif. Sa judéité fait office de descriptif, ni plus ni moins. C'est sa judéité qui est censée expliquée sa froideur, son insensibilité et son inhumanité, autant de traits caractéristiques qui en font une figure abstraite qui ne fait qu'un avec l'argent lui-même. A un Saccard « bon vivant » s'oppose un Gundermann « à peine vivant ».

« Ah ce Gundermann, ce sale juif, qui triomphe parce qu'il est sans désirs ! C'est bien la juiverie entière, cet obstiné et froid conquérant, en marche pour la souveraine royauté du monde, au milieu des peuples achetés un à un par la toute-puissance de l'or. Voilà des siècles que la race nous envahit et triomphe, malgré les coups de pied au derrière et les crachats. Lui a déjà un milliard, il en aura deux, il en aura dix, il en aura cent, il sera un jour le maître de la terre. »

« Autrefois, dans les spéculations sur les terrains de la plaine Monceau ; Saccard avait eu des discussions, toute une brouille même avec Gundermann. Ils ne pouvaient s’entendre, l'un passionné et jouisseur, l'autre sobre et d’une froide logique. »

L'opposition de caractère entre un Saccard rondouillard antithèse d'un Gundermann efflanqué et glacial est reprise dans l'adaptation au cinéma réalisée par Marcel L'Herbier en 1928, très audacieuse à l'époque sur le plan de la mise en scène (long travelling, contre-plongée spectaculaire, mouvements de caméras à 360°). Film muet, le film s'ouvre tout de même sur une scène à la Bourse accompagnée de véritables sons enregistrés au palais Brogniart. La projection du film en salles était synchronisée avec le passage des disques 78 tours, ce qui témoigne de l'inventivité formelle de son auteur.

Peu de scènes sont consacrées au personnage de Gundermann et sa judéité n'est jamais évoquée. Pourtant, le thème de l'argent roi est au cœur de l'œuvre jusqu'à la scène finale qui montre l'attrait irrésistible de l'argent. Certains intertitres du film le montrent clairement :

« La puissante banque Gundermann contrôle une grande partie du pétrole mondial ; sa formidable organisation et les agents qu'elle entretient partout dans le monde fait qu'elle est renseignée sur toutes les affaires ».

« Saccard ne connaît pas la trève. L'argent qu'il a cru asservir est son maître ».

L'affiche du film (voir ci-contre), même si elle dépeint le financier catholique Saccard (mais rien ne le signale de prime abord), apparaît immédiatement antisémite avec cette énorme main crochue qui ramasse tout... Plus tard, Marcel L'Herbier décrirait en ces termes le cinéma français des années 30 : « « C'est le moment fatidique où la France se trouva envahie par une nuée de producteurs balkaniques. Depuis cette invasion jusqu'à la seconde guerre mondiale, il nous a semblé trop souvent que la France était dépossédée de SON cinéma ».

Pour les communistes, la critique de l' « argent » n'a aucun sens. L'argent n'existe pas en tant que tel mais en tant que rapport de production. Par conséquent, les communistes ne critiquent pas l'argent, mais la marchandise en tant que produit d'un mode de production.

« La monnaie, ce n'est pas une chose, c'est un rapport social. Pourquoi le rapport de la monnaie est-il un rapport de la production, comme tout autre rapport économique, tel que la division du travail, etc. ? Si M. Proudhon s'était bien rendu compte de ce rapport, il n'aurait pas vu dans la monnaie une exception, un membre détaché d'une série inconnue ou à retrouver. 

Il aurait reconnu, au contraire, que ce rapport est un anneau, et, comme tel, intimement lié à tout l'enchaînement des autres rapports économiques, et que ce rapport correspond à un mode de production déterminé, ni plus ni moins que l'échange individuel. Que fait-il, lui ? Il commence par détacher la monnaie de l’ensemble du mode de production actuel, pour en faire plus tard le premier membre d'une série imaginaire, d'une série à retrouver ». (Karl Marx, Misère de la philosophie)

Les communistes critiquent la « marchandise » et pas l'« argent ». Les communistes parlent de « bourgeois » et pas de « riches ». Tout propos chargé de romantisme et de populisme insistant sur « l'argent » ou sur « les riches » est fasciste ou tendanciellement fasciste.

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