12 avr 2017

A propos du mouvement démocratique actuel en Guyane

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Carte de la Guyane

Un large mouvement social fait de grèves et de blocages a commencé en Guyane depuis le mois de mars 2017.

La Guyane Française est un territoire colonisé par la France au XVIe siècle. L'esclavage y a été implanté sur la côte mais le territoire est resté largement naturel (94 % de forêt équatoriale) et peu habité. Le territoire est connu pour ses bagnes servant à la déportation de prisonniers politiques et de droits commun au XIXe siècle. Le bagne de Cayenne a reçu de nombreux communards après 1871.

Les peuples autochtones issus de la forêts amazonienne ont subi négativement la présence française (notamment à cause des maladies) et comptent aujourd'hui entre 6000 et 9000 personnes.

C'est un territoire d'une taille équivalente à celle de la région Nouvelle-Aquitaine mais ne comptant que 252 000 habitants (en 2014). Les descendants d'esclaves locaux représentent prêt de la moitié de la population de la population, soit autant que les différentes populations immigrées plus ou moins récemment (chinois, libanais, brésiliens, haïtiens, surinamais, guyaniens, hindustanis, javanais du Suriname, laotiens, saint-luciens, etc.). Les français issus de la métropole représentent environ 12 % de la population.

La croissance démographique est très importante en Guyane en raison de l'immigration. La population n'était que de 157 000 habitants en 1999 et pourrait dépasser les 400 000 habitants d'ici à 2030 selon les projections de l'INSEE. Cette situation engendre de nombreuses difficultés pour les masses et est en grande partie à l'origine du mouvement social en cours.

Manifestation Guyane

Parallèlement, la situation locale est intimement liée à la présence de la base spatiale de Kourou (depuis 1964), et donc au complexe militaro-industriel français. À proximité de l’équateur le lancement de fusées est facilité car on y bénéficie d’un effet d’entraînement beaucoup plus grand, à la manière d’une fronde.

La possession d’une base de lancement spatial si proche de l’équateur est d’une importance capitale pour l’impérialisme français, elle assure son indépendance militaire et spatiale vis-à-vis des impérialismes russes et américains.

L’économie de la Guyane souffre d’investissements très faibles dans les autres domaines que le spatial qui représente 83 % des exportations et 15 % du PIB. Il s’agit d’un cas typique d’économie coloniale portant sur un nombre restreint de marchandises ou de matière premières. Symbole de cela, les coupures électriques répétées dues au fait qu’à lui seul le centre spatial consomme 60 % de l’électricité fournie par le seul barrage du pays.

Cortège des 500 frères - Guyane

Conséquence de ce faible développement économique, les exportations y sont huit fois plus faibles que les importations, 90 % du PIB a pour origine des financements publics – c’est à dire des commandes de l’état – et 31 % des actifs travaillent dans la fonction publique (contre 18 % en métropole). On a là un sous-développement caractérisé des forces productives.

Les conséquences sociales de cette arriération économique sont terribles. Le taux de chômage est de 22 % et culmine à 46,5 % chez les moins de 25 ans. Le taux de pauvreté y est de 40 % contre 14,3 % en métropole. L’illettrisme y est au beaucoup plus fort, et seulement 12 % des 15-25 ans sont titulaires du baccalauréat.

Les fortes importations et le sous développement du marché local amènent une hausse des prix de 11,5 % par rapport à la métropole alors que le revenu annuel moyen y est inférieur de 44 %. A cela se conjugue les écarts de salaire avec les fonctionnaires qui bénéficient de primes spéciales, ce qui tire encore plus les prix vers le haut.

En terme de santé la situation est aussi désastreuse, la Guyane dispose de seulement deux hôpitaux et deux maternités. Il y a proportionnellement moitié moins de médecins généralistes qu’en métropole, et quatre fois moins de spécialistes.

Cortège des 500 frères - Guyane

Les mafias, notamment surinamaises et haïtiennes, prospèrent en raison de ce contexte économique et de la situation géographique de la Guyane. Elles sont principalement liées à l’orpaillage illégal (recherche d'or dans les rivières, qui pollue et est cause de graves dommage à la forêt et aux peuples autochtones) et au trafic de cocaïne. Avec 42 homicides par an, la Guyane a un taux de criminalité comparable à celui du Brésil voisin et loin devant Marseille.

Dès lors, quelle est la nature du mouvement social en Guyane ?

Le 20 Mars 2017 un collectif composé de la section EDF de l’UTG (Union des Travailleurs Guyanais), du collectif des « 500 frères » et du collectif « Toukan » a initié une grève pour protester contre la cession du Centre Hospitalier de Kourou à un opérateur privé et réclamer des moyens supplémentaires pour faire face à la violence et la criminalité.

Forêt amazonienne en Guyane

Les revendications du collectif  « Pou Lagwiyann dekolé » (Pour que la Guyane décolle) portent principalement sur l’insécurité, la lutte contre les mafias, le développement économique et le manque d’infrastructures et de moyens dans la santé et l’éducation.

Il s’agit d’un mouvement démocratique porté par le besoin de civilisation et de progrès des masses, avec des revendications telles que :

  • des moyens policiers pour faire face aux mafias et à leur violence ;

  • l’expulsion des criminels étrangers liés aux mafias ;

  • la construction de 5 lycées, 10 collèges et 150 classes de primaires ;

  • la transformation du centre médico-chirurgical de Kourou en hôpital public ;

  • 30 millions d’euros de crédit pour le Centre Hospitalier de l’Ouest Guyanais (CHOG) ;

  • le renforcement du réseau électrique ;

  • l'adaptation des programmes scolaires pour faire face à la culture et la réalité locale ;

  • une meilleur reconnaissance pour les peuples autochtones et Bushinengués (ou « noirs marrons »).

Forêt amazonienne en Guyane

Le cahier des revendications remis au gouvernement le 30 mars 2017 est disponible ici.

La considération générale est que la Guyane est « abandonnée par la France » et qu'il faut des moyens pour y remédier. Le gouvernement français a proposé le 1er avril 2017 un plan d'aide d'un milliard d'euros, qui a été considéré comme insuffisant par les organisations.

Le mouvement est largement suivi par la population, preuve de son enracinement dans les masses et de sa nature démocratique. De plus, malgré le fait que certaines revendications soient liées à la présence d’étrangers sur le territoire, la xénophobie est clairement rejetée et l’immigration assumée comme constitutive de l’identité guyanaise.

À côté de revendications propres à la situation locale, la question de l'insécurité est primordiale. En témoigne la place prépondérante du collectif des « 500 frères », qui s’opposent cagoulés aux mafias et à la violence mais qui se définissent comme non-violents (sur leur écusson les pistolets sont tournés vers le bas).

Dans cette vidéo, on voit à l'issu du la grande marche du 28 mars 2017 le leader des « 500 frères » Mickael Mancée (un ancien policier ayant démissionné pour fonder le collectif) entonner un kamougué (chant traditionnel guyanais) mêlant revendications pour la reconnaissance de la culture populaire nationale, lutte contre les mafias et valorisation de la Nature.

Le mouvement social en Guyane est un mouvement démocratique avec les larges masses affrontant l’État et les monopoles pour leur arracher les moyens d’amélioration de leur existence, exiger la sécurité et la lutte contre les mafias.

Nature GuyaneCependant, en raison de l'absence d'une structure communiste capables de porter les revendications démocratiques, celles-ci sont limitées à des considérations syndicales, et il est surtout fait appel à l’État, en tant que fournisseur d’infrastructures et de moyens financiers.

L'amélioration de la situation en Guyane dépend pourtant surtout du développement des forces productives locales, plutôt que du renforcement de sa dépendances vis-à-vis de l’État.

L’intérêt des masses de Guyane, pour voir leur revendication aboutir, est donc de lutter pour la Démocratie Populaire.

La Démocratie Populaire en France aura pour tâche particulière en Guyane de reconnaître les droits spécifiques des peuples autochtones et Bushinengués, de combattre les mafias, d'empêcher l'immigration illégale, de garantir la sécurité, la santé et l'éducation des masses, de permettre la diversification et le développement économique local, en plus des infrastructures spatiales, auxquelles doivent être associées les masses.

Les masses de Guyane doivent aussi prendre conscience du danger que représente pour elles le fascisme et en particulier le programme fasciste du Front National de Marine le Pen. Sa volonté de développer une « zone ultra marine d'investissement prioritaire » ne relève pas du développement économique local, mais du pillage des ressources naturelles au service des monopoles, selon les besoins l'impérialisme français dans sa concurrence avec les autres impérialismes.

Guyane savaneDe la même manière, le doublement des effectifs de police promis par le Front National de Marine Le Pen engendrerait surtout un renforcement d'une police militaire au service de l'impérialisme et du maintient de l'ordre bourgeois, plutôt que celui d'une police au service du peuple.

Enfin, de par leur lien particulier avec la forêt amazonienne dont la santé est primordiale pour la biosphère, les masses populaires de Guyane doivent prendre conscience de leur grande responsabilité historique à cette égard, de leur possibilité d'être à l'avant-garde de la grande lutte mondiale pour la défense de la biosphère.

C'est là une direction inévitablement à prendre dans la bataille pour la démocratie populaire en Guyane, terre au coeur de la Nature et en même temps de la conquêtes spatiale, véritale symbole de l'avenir.

 
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