Humanisme, Lumières, Bourgeoisie - 7ème partie : le classicisme, stade suprême du féodalisme en France
Submitted by Anonyme (non vérifié)La formation de l’État national français se fait donc en alliance avec l’Église, mais une Église qui n’a pas l’hégémonie et ne peut pas faire du baroque l’idéologie dominante. C’est le classicisme qui prédominera, en tant que forme idéologique féodale de « haut niveau », puisque royale et nationale.
Le protestantisme allemand s’est vu happé par les féodaux allemands en quête d’indépendance, alors que sa version anglaise, l’anglicanisme, est une religion monarchiste également. La Hollande fait figure de bastion intellectuel et culturel, mais cela ne se découvrira que par la suite, lorsque la bourgeoisie se renforcera réellement ; ainsi, le 17ème siècle appartient à la France dans l’histoire du monde.
La France est en effet alors un grand pays, aux ressources nombreuses, et l’élévation culturelle, au-dessus de la féodalité, est un événement d’une portée mondiale. La preuve de ce saut qualitatif est l’immense production culturelle et idéologique de cette période.
L’État français est alors tendu vers un effort commun, dans une organisation sociale « organique », où tous les éléments politiques, sociaux, culturels, idéologiques… se confondent et s’unissent.
Ce phénomène sera le rêve des « despotes éclairés » en Europe, et plus tard, après l’effondrement de la féodalité, la référence du romantisme (même si, en apparence, c’est au Moyen-Âge qu’il est fait référence).
Le caractère organique de la période classique de la France se révèle dans l’alliance, contre-nature, de la comédie et de la tragédie.
La comédie, portée par Molière, est l’expression de la bourgeoisie, de sa nature urbaine, de son mode de vie où commence à apparaître l’accumulation comme valeur essentielle (L’avare Harpagon fait ainsi cette célèbre réplique : « Hélas ! mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami ! On m’a privé de toi ; et puisque tu m’es enlevé, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie ; tout est fini pour moi, et je n’ai plus que faire au monde ! Sans toi, il m’est impossible de vivre »).
La tragédie, portée par Corneille (davantage tourné vers l’aristocratie) et Racine (davantage tourné vers la religion), est l’expression de la féodalité et de ses valeurs aristocratiques. L’aristocrate est aristocrate par le sang et doit accepter ce destin, bon gré mal gré. Ses valeurs doivent être la vertu, les valeurs conformes à la hiérarchie dans la société, à la bienséance.
Bourgeoisie et aristocratie sont elles-mêmes subordonnées à la monarchie ; les pièces jouées à Versailles pour Louis XIV sont le symbole du caractère supérieur de la monarchie alors absolue.
La pensée scientifique elle-même est marquée par ce caractère « organique », le roi étant la tête, la figure centrale du corps social. En effet, ce sont les mathématiques qui dominent alors la pensée scientifique française, en tant qu’expression du besoin de gestion d’un monde ordonné, hiérarchisé.
Les grandes figures des mathématiques que sont René Descartes et Blaise Pascal sont de fervents religieux, leur pensée est pétrie dans l’ordre monarchique. Il s’ensuit un progrès dans la complexité scientifique, mais une vision totalement mécanique.
Pascal orientera ses mathématiques vers le calcul, inventant la machine à calculer. Descartes ne voit quant à lui « aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose » (Principia, IV, 203). Les animaux sont donc des « machines », une pensée que prolongera le religieux Nicolas Malebranche, toujours au 17ème siècle.
Cette tendance sera lourde de conséquence, marquant en France une rupture quasi unique au monde entre nature et culture. Les jardins à la française, où les bosquets sont taillés en forme géométrique, deviennent le symbole d’une dénaturation profonde du noyau dur de la nation française se formant.
La preuve de ce caractère national est que la bourgeoisie elle-même conservera cette optique ; seule la classe ouvrière pourra la balayer, en faisant passer la France dans le socialisme tendant à la communauté universelle.
La nation française s’est formé à l’époque classique, dans un esprit « géométrique. » Les architectes Mansart et Le Vau sont en quelque sorte des mathématiciens comme Pascal et Descartes.
La littérature elle-même a une forme quasi géométrique, puisque comédie et tragédie sont exactement codifiés, les règles se voulant immuables (règle des trois unités en tragédie avec un monde seulement aristocratique, divertir et instruire pour Molière avec un monde seulement bourgeois, etc.).
L’arrière-plan de la littérature est lui-même géométrique, puisque c’est durant cette même période que la langue française s’unifie, devenant langue nationale. Le rôle central revient à François de Malherbe, de qui reste l’image d’un puriste maniaque ayant même osé affirmer au roi : « Quelque absolu que vous soyez, vous ne sauriez, Sire, ni abolir ni établir un mot, si l’usage ne l’autorise. »
C’est Nicolas Boileau, dans L’art poétique (1674), qui résumera parfaitement cet « esprit français » de type « géométrique » :
Enfin Malherbe vint, et, le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir,
Et réduisit la muse aux règles du devoir.
Par ce sage écrivain la langue réparée
N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée.
Les stances avec grâce apprirent à tomber,
Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber.
Tout reconnut ses lois; et ce guide fidèle
Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle.
Marchez donc sur ses pas; aimez sa pureté,
Et de son tour heureux imitez la clarté.
Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre,
Mon esprit aussitôt commence à se détendre,
Et, de vos vains discours prompt à se détacher,
Ne suit point un auteur qu’il faut toujours chercher.
Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d’un nuage épais toujours embarrassées;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d’écrire apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Surtout qu’en vos écrits la langue révérée
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.
En vain vous me frappez d’un son mélodieux,
Si le terme est impropre, ou le tour vicieux;
Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme,
Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme.
Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain
« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément » : cela sera une logique parfaite pour les mathématiques, la « méthode » préconisée par Descartes. Cette apogée du féodalisme sous la forme classique pave ainsi, malgré elle, la voie au matérialisme.
Mais cette logique parasitée par la monarchie d’un côté, la religion de l’autre, pousse à la pensée mécanique. Descartes entend « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature », sans aucune considération pour le réel, sans voir le double aspect du travail sur le monde.
C’est cela qui explique que la France au eu jusqu’à présent d’excellents mathématiciens, mais que la dialectique reste considérée, même chez les « marxistes », comme une mystique, une élucubration « allemande » de Hegel (les deux seuls réels auteurs ayant compris la dialectique en France ayant été Politzer, d’origine hongroise, et Kojève, d’origine russe).
Par le classicisme, la nation française acquière la force de caractère l’amenant à être raisonnable, mais cet esprit raisonnable confine au fanatisme, au refus des sauts qualitatifs, des changements complets : c’est cela qui explique le « tempérament » français « cotonneux », « ouaté », que l’on retrouve en période de crise, durant l’Occupation ou mai-juin 1968… et également le refus obstiné de reconnaître la nature, et l’humanité comme étant une de ses composantes.